Inspirations
Dans le sillage d’une économie florissante, les consommateurs chinois se prennent de passion pour la nourriture. Un rattrapage historique qui profite aux produits importés, notamment français, même si se faire une place sur le marché nécessite de s'adapter aux modes de consommation locaux. Et à la représentation sociale qu'ils induisent.

[Cet article est issu du n°1949 de Sratégies, daté du 3 mai 2018]

 

« Ils mangent à longueur de journée ! » Huit ans après son installation en Chine, Augustin Missoffe, directeur pour la zone Chine et Hong Kong chez Sopexa, est formel. Il y a dans ce pays comme un « besoin de nourriture en abondance » qui confinerait parfois à l’indigestion, à l’image de ces influenceurs suivis en direct par plusieurs centaines de milliers de personnes pour un simple repas au restaurant. Un appétit insatiable qui s’explique par l’histoire récente de la Chine. Depuis la fin des années 1970, le pays a vu les habitudes alimentaires de ses habitants - près d’1,4 milliard actuellement - changer radicalement entre taux de croissance record, ouverture du marché, émergence d’une classe moyenne - dont un tiers de la population fera partie à horizon 2020 - et essor du digital. Le point sur ce qui constitue « le marché de demain » en quatre tendances, à digérer rapidement au regard de l’évolution accélérée des pratiques.

 

La nourriture, c’est la santé

Avec 86 % de consommateurs veillant à la qualité de leur alimentation et 69 % prêts à payer plus pour un aliment jugé plus sain d’après un rapport de Nielsen, la santé est au cœur des préoccupations. « Naturel est le mot-clé du moment », résume Joanna Hutchins, CEO de l’agence Dragon Rouge à Shanghai. Malgré une consommation de protéines animales en plein boom, pas moins de 79 % des consommateurs accordent ainsi plus d'attention aux produits présentant une faible teneur en glucides, en sodium et en sucres. Une tendance qui se justifie aussi par les « les scandales alimentaires de la dernière décennie, toujours présents dans l'esprit de nombreux consommateurs », pointe Joanna Hutchins en référence à la crise du lait contaminé ou à la crise porcine. Avec deux catégories de produits dont ils se méfient particulièrement (les additifs et les « faux aliments »), les consommateurs – en particulier les millennials issus de la politique de l’enfant unique - se soucient plus que jamais de l'origine des produits et du respect de la chaîne du froid. Une situation qui profite aux denrées étrangères, auxquelles sont traditionnellement associées des notions comme la traçabilité.

Les importations, premières bénéficiaires

N’en déplaise à Philippe Candeloro, auteur d'une blague douteuse sur l'alimentation des Chinois, l’époque du « bol de riz » généralisé est largement révolue. La Chine étant devenue le 2e importateur mondial de produits agroalimentaires après les Etats-Unis, les produits étrangers sont rentrés dans les mœurs, avec des origines extrêmement diverses : Amérique du Nord, Europe, Nouvelle-Zélande, Australie, mais aussi des pays asiatiques comme la Malaisie ou la Thaïlande. « En 2015, 80 % des consommateurs achetaient de la nourriture importée », éclaire Augustin Missoffe à propos de cette lucrative tendance pour les marques étrangères. « Les consommateurs sont prêts à payer plus cher et il est fascinant de voir des marques de biscuits européennes ou américaines du quotidien bénéficier d’un positionnement et de prix très élevés », illustre Joanna Hutchins. Dans la même veine, « le produit star actuel est l'avocat, pourtant coûteux avec un prix moyen d'1 euro la pièce », témoigne Augustin Missoffe. Néanmoins, après plusieurs années de croissance, les importations chinoises de produits agroalimentaires ont diminué de 3 % en 2016, avec un montant total de 92,4 milliards d’euros, selon Business France. Cette baisse est principalement due à la chute des importations de céréales (-40 %), alors que d’autres postes d’importation ont continué d’augmenter en 2016 (viande, produits de la mer, boissons et produits laitiers). Ce qui fait dire à Joanna Hutchins que « l’avantage pris par les marques étrangères ne sera pas durable à moyen et long terme », à mesure que « les marques locales améliorent leur qualité et leur marketing ».

Des produits français valorisés

Pour l’heure, les produits importés et notamment tricolores ont la cote. Bénéficiant d’une solide réputation, les exportations françaises de produits agro-alimentaires ont représenté près de 2,4 milliards d'euros en 2017, dont 600 millions pour les produits laitiers (+80 % en un an). « Les produits laitiers sont considérés comme fiables. Le cas Lactalis par exemple a été très peu évoqué dans les médias », rappelle Augustin Missoffe. « Certaines catégories sont fortement associées à la France : le vin, les produits de boulangerie et de pâtisserie, mais aussi les fromages et les yaourts », développe Joanna Hutchins. Côté marques, « Yoplait fait une entrée remarquée sur le marché, tout comme Lesieur, Daucy ou Michel et Augustin que l'on trouve désormais dans un certain nombre de GMS dans le pays », relève Augustin Missoffe. « Certaines marques sont particulièrement connues comme Perrier : son nom en chinois (“Bali shui”, qui signifie “eau de Paris”) est devenu le nom générique de la catégorie “sparkling” [gazeux] », complète Joanna Hutchins. Mais aussi réputées soient-elles, ces marques doivent respecter les codes et les modes de consommation locaux afin de séduire leurs clients.

Une frénésie d'achats en ligne

Même si le supermarché reste le modèle dominant avec près de trois quarts des consommateurs ayant recours à la grande distribution, l’essor rapide du digital et l’urbanisation croissante du pays pèsent sur les habitudes d’achat. « C’est un autre monde. Le principe de base est d'oublier tout ce que l'on sait pour repartir de zéro. Il faut absolument digitaliser son modèle dans un pays où WeChat représente 1 milliard d'utilisateurs uniques par mois », avance Augustin Missoffe, citant le cas d’une chaîne de magasins comme « Hema Fresh, qui répond aux attentes actuelles avec un modèle permettant de faire à peu près tout en on et offline ». Car l'e-commerce s’impose partout, y compris pour les produits alimentaires. « Il existe des magasins en ligne entièrement consacrés à l'importation de marchandises en provenance de pays étrangers et de marques étrangères même si elles sont produites localement », précise Joanna Hutchins. À cette frénésie d'achats en ligne s’ajoute une représentation sociale par l’assiette. « Il faut être dans le bon café ou le bon établissement au bon moment, et immortaliser la scène avec un selfie diffusé sur les réseaux sociaux », illustre encore Augustin Missoffe. Une manière de rappeler que ce que l’on consomme est aussi le reflet de son niveau de vie et de son statut social. Tout sauf un détail en Chine en 2018.

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