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Méditer, respirer, se reconnecter à soi-même… La «mindfulness», ou pleine conscience, adoptée par Google et de nombreuses start-up californiennes, gagne du terrain dans les entreprises françaises. Enquête.

La mindfulness, ou pleine conscience en français, est en train de débarquer dans les entreprises françaises, après avoir conquis Google et de nombreux dirigeants de la Silicon Valley (lire ci-dessous). Les 16 et 17 avril, à Paris, un séminaire sur la pleine conscience est ainsi organisé à guichets fermés par le «search inside yourself leadeship institute», issu de Google. Les centres commerciaux Unibail-Rodamco sont aussi en train de s’y convertir. Le Numa, l'espace de coworking parisien, a mis en place une session de formation une fois par mois: Axa Banque y envoie ses salariés chaque semaine (lire ci-contre). Grenoble école de management a même créé une chaire intitulée «Mindfulness, bien-être au travail et paix économique»… Pourquoi un tel engouement?

Inspirez, expirez

«La pleine conscience, cela consiste à être capable de revenir à soi, de s’accorder un temps d’écoute et de regard de soi, en position “meta”, explique Stéphane Faure, enseignant, spécialiste de la pleine conscience, co-organisateur de l’événement la Bulle open mind, le 9 avril dernier. Concrètement, il s’agit de réapprendre à respirer, à se recentrer, tout le monde peut s’y mettre et c’est gratuit.» Dans le Top 4 des papes de la pleine conscience, il y a le docteur américain Jon Kabat Zinn, Chade-Meng Tan (un des premiers ingénieurs de Google), le psychiatre français Christophe André, et le moine Matthieu Ricard.

Si cette pratique débarque dans l’entreprise, c’est d’abord parce qu’elle répond à un besoin réel: le digital induit une accélération du travail, et produit des dégâts collatéraux, stress, voire burn-out, difficultés de concentration. Ce n’est pas un hasard si les entreprises en pointe dans le digital sont les premières à s’y intéresser. «Les jeunes du Numa sont tellement hyperconnectés qu’ils peinent à se concentrer, dit Eric Neumand, fondateur d’Akayogi, qui assure des séances de formation à l’espace de co-working. Dans un monde où nous sommes sollicités en permanence, la méditation aide à reprendre son souffle.»
Si les entreprises françaises se saisissent de la pleine conscience, c’est d’abord pour ses vertus antistress. «Nous avons testé une formation pilote, avec douze senior managers, entre mai et juillet 2014, explique Armelle Carminati, membre du directoire de Unibail-Rodamco. 1h30 une fois par semaine, durant cinq semaines. Complété par un entretien individuel avant et après.»

Plein intérêt

Selon la dirigeante, la pleine conscience est devenue indispensable dans l’open-space: «Le continuel dépassement de soi donne beaucoup de puissance et d’intensité mais éloigne du présent, de l’instant, note-t-elle. Certains participants ont expliqué que cela leur permettait d’être mieux préparés et armés pour des  négociations compliquées, pour des pitchs.» Unibail-Rodamco hésite à le généraliser: «Il y a un débat pour savoir si c’est à l’entreprise de financer ce temps de rechargement des collaborateurs, confie-t-elle. Et puis les salariés ont du mal à persévérer quand il n’y a plus le formateur à côté d’eux.» 

De son côté, la société Akayogi est en train de former à la méditation le comité exécutif d’un grand de groupe de luxe à l’international. A Grenoble école de management, Dominique Steiler, fondateur, en 2012, de la chaire «Mindfulness, bien-être au travail et paix économique» (avec HP, MMA…), explique sa démarche: «L’intérêt premier de la “mindfulness” est de pouvoir dégager de nouveaux espaces de liberté pour le manager et ses équipes. Améliorer son discernement pour prendre la décision la plus juste possible: par exemple, pour trouver le bon mode de réaction si je suis en conflit avec un collègue du comité de direction, sans fuir ni l’agresser.» La chaire a déjà convaincu quelques sociétés de s’y mettre: bien souvent via son service innovation. 

Problème, en passant les murs de l’entreprise, la pleine conscience peut vite être instrumentalisée. Certaines études citées par Chade-Meng Tan (de Google) démontrent qu’après une séance de méditation, l’efficacité des salariés augmente, les chances de signer un contrat s’accroissent. Ce lien entre quête de la performance et pleine conscience est dangereux selon Thierry Chavel, auteur de La Pleine Conscience, pour travailler en se faisant du bien (Eyrolles, 2012) qui dirige le seul Master 2 de coaching en France: «Pas question qu’elle soit organisée par l’employeur. Il y a des entreprises californiennes qui à force de l’avoir intégré, virent un peu à la secte. Je suis pour la pratique d’une autre forme d’écoute, tant que ce chemin est volontaire et un peu confidentiel.»

Avis d’expert

«Un monsieur méditation chez Starbucks» 

Loïc Lemeur, cofondateur de LeWeb, installé à San Francisco

La «mindfulness» a la cote dans la Silicon Valley?
LOIC LEMEUR. Oui, début mars se tenait la conférence Wisdom 2.0, un événement créé il y a six ans: il a attiré 2500 personnes cette année. Cela correspond aussi à une prise de conscience du risque d’addiction aux nouvelles technologies, en particulier aux réseaux sociaux, et des problèmes de concentration induits. Cela rejoint aussi une tendance des dirigeants de la Silicon Valley à partir lors de retraites (digital detox), qui peuvent durer jusqu’à dix jours, dans un silence total. Moi-même je suis devenu un pratiquant de la méditation, j’y consacre une heure chaque matin. Et c’est devenu pour moi aussi important que de prendre une douche.
La pleine conscience intéresse aussi entrepreneurs et sociétés…
L.L. Plusieurs dirigeants de la Silicon Valley se sont convertis à la mindfulness: Ewan Williams, le cofondateur de Twitter, Jeff Weiner CEO de Linked In… Chez Google, Chade-Meng Tan en a même fait un projet d’entreprise: «Search inside yourself», mis en œuvre depuis 2007. L’enseigne Starbucks est allée jusqu’à créer un poste de «monsieur méditation». Et puis il y a des start-up qui se créent autour du sujet: comme Zen friend, qui propose une aide à la méditation, ou encore Head space dont la valorisation est de 40 millions de dollars. Il y a aussi The path.com, qui assure des formations dans les entreprises.

 

AXA Banque a ouvert un guichet relaxation

Un midi par semaine, une vingtaine de salariés au siège d’Axa banque à Fontenay-sous-Bois (94), se pressent dans une salle de formation, installent leurs tapis et commencent à se livrer à une séance de pleine conscience et de relaxation. «Au programme, des exercices de respiration, de concentration sur le temps présent, ils apprennent également des postures, des gestes pour la pratique quotidienne, décrit Florence Genon-Catalot, responsable formation et communication d’Axa. Cela s’inscrit dans une démarche autour du bien-être au travail: la pleine conscience doit les aider à mieux se recentrer, pour affronter les périodes de stress intense. En revanche, il n’y a pas d’entretien individuel avec chaque formé, comme nous l'avait proposé l’organisme qui nous accompagne. Nous avons trouvé cela trop intrusif. Cela se termine habituellement par un déjeuner, où l’on mange, là encore, en pleine conscience.» 

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