DIRIGEANTS
Deux patrons ont été critiqués pour avoir rénové leur bureau à grands frais. En 2015, le bureau du boss peut-il encore être «bling-bling»?

C’est ce que l’on appelle un bureau des plaintes. Le point commun entre Mathieu Gallet, le président de Radio France et Thierry Lepaon, ancien secrétaire général de la CGT?La réfection de leur bureau à prix d’or a provoqué un tollé. Bien sûr, il n’est pas question d’enrichissement personnel. Dans le cas de Mathieu Gallet, on ne peut même pas parler de dépenses excessives, selon l'Inspection générale des finances. Le jeune patron a hérité d’un chantier déjà engagé par son prédécesseur: 105 000 euros de travaux (dont 70 000 euros pour la restauration de boiseries précieuses). Mais, en pleine préparation d'un plan de départs concernant 300 à 380 personnes, le symbole est fâcheux.

Pour le bureau de Thierry Lepaon, la facture était plus légère: 62 000 euros. Mais comme la note arrivait après celle de la réfection de son logement de fonction (100 000 euros), le secrétaire général de la CGT a été poussé vers la sortie du syndicat. Dans un contexte de réductions des coûts, de plans de rigueur à répétition dans les entreprises, de modération salariale… Le bureau du patron peut-il encore être «bling-bling»? N’est-ce pas dangereux pour un PDG de renoncer à son bureau cinq étoiles, symbole de pouvoir?

Mieux s’intégrer en renonçant au faste

Jacques Séguéla se souvient encore de l’arrivée de Vincent Bolloré, nouveau dirigeant d’Havas, après l’éviction d'Alain de Pouzilhac en juin 2005, «une vraie leçon de management» pour le vétéran de la communication française. «Dès le lendemain matin, Vincent Bolloré vient à l’agence, raconte Jacques Séguéla, aujourd’hui conseiller du PDG d’Havas, Yannick Bolloré. Je lui ai fait visiter l’agence et montré le bureau d’Alain de Pouzilhac, pour qu’il s’y installe. Il a refusé tout net et m’a dit: “Donnez-moi le plus petit bureau de l’étage”. Le bureau d’Alain de Pouzilhac a été transformé en salle de réunion.» Renoncer au faste pour mieux s’intégrer, une stratégie qu’aurait pu adopter Mathieu Gallet (lire l’encadré ci-contre). Même si Jacques Séguéla veut relativiser les cas Gallet/Lepaon: «Les deux accusés ont été blanchis au même moment. Derrière cette affaire de bureau, il y a aussi de l’envie et de la jalousie, tout le monde rêve de prendre le bureau du président, signe extérieur d’autorité.»

Supprimer portes et secrétaire

Aujourd’hui, la mode est plutôt au patron immergé dans l’open space: le «bureau-statut» serait même dépassé, selon  Jean-Pierre Lefebvre, cofondateur de l’agence design AKDV (lire ci-dessous). Ces bureaux de luxe seraient en train de passer de mode, à l’heure où l’espace devient de plus en plus précieux: difficile d’imaginer aujourd’hui le bureau de Jean-Pierre Elkabbach, alors président de Public Sénat (1999-2009), qui occupait presque autant de place que l'espace de la rédaction (il servait aussi de salle de réunion).

Selon Jacques Séguéla, la révolution doit se poursuivre à l’étage de la direction: «Je suis pour la suppression des portes des bureaux, et du blocage de la secrétaire, qui ne correspondent plus à un management collaboratif.» Pour autant, la fonction de cadre dirigeant ne peut s’exercer dans l’open space permanent. «En tant que patron, on peut avoir besoin de s’isoler pour gérer des crises, discuter en privé avec des collaborateurs», remarque Delphine Dauge, cofondatrice de l’agence de design Brandimage. «Pour les patrons se pose l’éternel problème de la confidentialité: Brandimage appartient à un groupe coté en bourse, il est des conversations que l’on ne peut avoir devant les collaborateurs.»

Premier flagship de l'entreprise

Le patron ne sera jamais un salarié comme les autres, et Laurent Habib, PDG de l’agence Babel, n’est pas pour brûler tous les attributs du pouvoir: «Le bureau du patron est un lieu très important pour recevoir le client, cela doit être un showroom, c’est le premier flagship de l’entreprise.» Y compris et surtout lorsqu’on travaille dans une enseigne de design, comme Jean-Pierre Lefebvre, d’AKDV: «Je travaille sur une grande table de réunion, très bien dessinée mais peu ostentatoire. En revanche, j’ai choisi une jolie lampe: une Marset du designer barcelonais Joan Gaspar.»

Même lorsque l’on veut rester sobre, on ne peut s’exempter de symboles. «Il y a une logique à ce qu’il y ait un investissement symbolique plus que fonctionnel, qui traduise l’orientation de sa marque et son leadership», estime Laurent Habib. Autrement dit, il s'agit de soigner ce point de rencontre entre la communauté de salariés, des investisseurs, des clients qu'est un bureau… «Mais il faut conjuguer cet investissement avec une certaine modestie dans la rémunération des dirigeants», poursuit Laurent Habib.  Et une certaine transparence. Dans la tour Havas, Jacques Séguéla revendique la transparence des cloisons à l’étage de la direction: tous les bureaux sont en verre. Les boiseries ont décidément vécu.

Avis d’expert

«Le bureau-statut, c’est fini»



JEAN-PIERRE LEFEBVRE, cofondateur d’AKDV



Comment abordez-vous l’aménagement des bureaux de dirigeants?

JEAN-PIERRE LEFEBVRE. Le bureau d’un patron doit correspondre à son management. Avec deux grandes tendances: la logique d’implantation, pour les managers désireux d’être proches de leurs collaborateurs, et l'optique d’exemplarité. D’autres patrons, moins opérationnels, plus stratèges, préfèrent se situer en dehors des flux. Nous avons récemment travaillé pour un cabinet d’avocats, dont les patrons nous ont expréssement demandé d’avoir leurs bureaux au milieu de leurs équipes, pour sentir la vie de l’entreprise.



Les bureaux ostentatoires, c’est fini ?

J-P.L. En voie de disparition dans nombre de secteurs, même si, évidemment, lorsqu’on est le patron de Total, ce n’est pas la même histoire. Nous avons été sollicités par une entreprise, où les consultants nous ont spécifié qu’ils ne voulaient surtout pas de «bureaux de patrons». À une époque, chez Danone, dès que l’on accédait au statut de cadre, on avait le droit à une petite lampe, d’ailleurs assez vilaine… Mais on n’est plus dans une recherche de mobilier statutaire.



Néanmoins, un bureau de patron se doit de renvoyer certains signes…

J-P.L. Ce que l’on va voir dans un bureau de patron, c’est ce qui l’inspire. On a besoin de trouver des éléments de ressourcement. Ce peut être des livres, des objets, des photos de famille… Toutes choses avec lesquelles on peut avoir une relation tactile, représenter éventuellement un réconfort lorsqu’on est un peu à bout. Mais le plus important, c’est que l’on sente que le bureau est connecté à son business.

 

Ce que Mathieu Gallet aurait dû faire…

« Le beau, c’est pour les salariés, estime Delphine Dauge, PDG de Brandimage. Si Mathieu Gallet était arrivé en disant: “Cette pièce, je vais en faire une salle de réunion”, ç’aurait été un acte fort. Nos locaux, par exemple, sont situés dans un hôtel particulier, et au plus bel étage, on ne trouve aucun manager.» Même conseil du briscard de la pub, Jacques Séguéla: «Je connais le bureau du président de Radio France, je l’ai visité plusieurs fois et j’ai eu l’occasion d’admirer ces sublimes boiseries des années, témoins de l’art français des décennies 1950-1960. Bien sûr qu’il fallait le rénover, mais pour le transformer en lieu d’exposition.» 

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