Emploi
Google, qui compte en France près de 600 salariés - ou «googlers» - , s'ouvre de plus en plus sur ses modes de recrutement et sa politique RH. Exploration.

Le recrutement des meilleurs profils ne serait-il encore pour Google qu'une affaire de technologie? Dans un livre intitulé Work Rules (GCP) et paru en avril, Laszlo Bock, «head of Google's innovative people operations» vante un outil interne baptisé «Q Droid» qui permettrait de mesurer l'aptitude des candidats à faire face aux difficultés inhérentes au poste auquel ils aspirent. Cet instrument intègre aussi bien des tests cognitifs - proche du QI - que l'évaluation de la capacité à travailler en équipe ou encore l'examen des réponses à des questions précises. Google, qui vient d'être sacré «America's best employer», confirme ainsi sa réputation de roi de la quantification humaine. «On mesure tout y compris la prise de poids au recrutement» à lui-même reconnu David Yana, le DRH de Google France, au cours du dernier congrès HR, le 9 avril.

Panopticon

Fort de ses 55 000 «googlers» dans le monde, dont 600 présents en France, l'entreprise implantée dans cinquante pays, a en effet développé des process assez rigides pour réussir ses recrutements. «Hiring is the most important thing you do», rappelle-t-on en interne. Pour s'assurer des embauches de qualité, le groupe a été jusqu'à cumuler 18 entrevues avant de recruter un candidat, y compris par visio-conférence avec des interlocuteurs de l'autre côté de l'Atlantique. «Aujourd'hui, on s'est rendu compte que, au bout de 4 entretiens, ça suffit. Après, le résultat est marginal», concède David Yana, qui souligne qu'il y a «8500 CV traités chaque jour».
À Paris, l'entreprise sise rue de Londres, avec ses open space ou ne traîne pas un papier et son «institut culturel» au mur d'écrans HD, est à l'image du bureau de son directeur général Nick Leeder: tournée non vers ses collaborateurs, mais vers ses ordinateurs. Le géant se veut un champion de la transparence interne et multiplie les indicateurs panoptiques. Les objectifs sont ainsi partagés entre tous les managers. Une performance review (ou peer review) permet à chacun d'être noté par ses pairs deux fois par an. La notification est connue de tous, tandis que les rémunérations restent secrètes, même si un benchmark sauvage a été fait entre salariés. «Cela va parfois plus loin que ce qu'on souhaite», reconnaît David Yana. La transparence repose aussi sur la confiance envers des collaborateurs qui sont tenus de tester eux-mêmes les innovations au lieu de les découvrir comme des utilisateurs lambdas.

Le meilleur et le pire

Pour tout manager, les qualités requises sont de nature «cognitive, d'expertise, de leadership et de “googliness”, c'est-à-dire une façon de collaborer sans être arrogant», explique Le DRH. Il est en effet interdit de se montrer agressif même si l'arrogance est la chose du monde la mieux partagée entre «googlers», dixit un ancien cadre. C'est aussi un véritable état d'esprit qui est demandé: «On ne recrute pas pour un poste donné mais pour un potentiel à un instant T. Nous ne sommes pas dans un monde figé. On recrute des gens capables de se remettre en question et de faire carrière», souligne David Yana. Après avoir beaucoup fait appel à des grandes écoles prédéfinies, la filiale française s'est ouvertes à des profils moins formatés pour favoriser sa créativité.
Si Google valorise classiquement chez ses managers la capacité à transmettre la stratégie de l'entreprise, à se comporter en coach et à considérer chaque collaborateur comme «une personne», il se distingue par l'absence de programme de hauts potentiels. «Pas de happy few» résume le DRH. Autrement dit, tout le monde doit être au top! Pour cela, c'est à chacun de définir son plan de carrière. «Soyez acteur de votre parcours» répète-t-on en interne, même si des «gourous» ayant changé deux fois de poste en cinq ans peuvent être consultés. Il est fortement conseillé de quitter son fauteuil après trois ans, voire deux. Une «mobilité géo-fonctionnelle» qui passe aussi souvent par une expatriation dans un environnement ou aucun syndicat n'est présent (seule exception: l'Argentine).
Résultat, comme toujours chez Google, le meilleur et potentiellement le pire. Avantage indéniable, cette mobilité amène en permanence du sang neuf et de la remise en cause, alors que 20% du temps des salariés peut être consacré à un projet professionnel ou à la découverte d'un autre service. Mais la mobilité obligatoire est aussi une pression difficile à supporter quand elle s'accompagne d'un souci constant de performance qui ignore le répit de la vie privée. Delphine Ernotte, l'encore actuelle directrice d'Orange France, en a tiré les leçons après la crise des suicides: elle conseille aux managers le «lâcher-prise» pour donner plus d'autonomie aux salariés. Chez Google, on est plutôt dans le «peer-control», l'hyper-normatif et l'autonomisation forcée de sa carrière par écran interposé. Et surtout, dans l'injonction permanente à faire table rase du passé. «On a parfois le défaut de vouloir améliorer même ce qui marche», reconnaît David Yana.

Un employeur qui note ses salariés

Olivier Cimelière, directeur associé de l'agence Wellcom, a été directeur de la communication de Google France en 2011.

Les géants des technologies semblent plus enclins que d'autres à quantifier leurs employés. L'avez-vous constaté à Google?

L'ADN de l'entreprise est en effet dans cette culture technologique et d'ingénieur qui passe par une évaluation tous les trois mois avec une note sur 5. À 3,5, c'est une bonne performance. Si cela se répète sur trois ou quatre trimestre, alors cela signifie que vous avez la pleine maîtrise de votre poste, que vous devez changer de statut ou de département. Mais a 2,3 ou 2,8, vous entrez en zone dangereuse. En dessous, c'est la trappe!

L'évaluation peut aussi être confiée à des pairs.... 

Oui, c'est la P review. Elle est faite par des gens en interne, sans lien hiérarchique et qui ont travaillé avec vous sur un projet. Cela peut donner lieu à un petit business interne, puisqu'il y a des primes à la clé qui peuvent aller jusqu'à 500 euros. Certains petits malins s'arrangeaient pour faire monter leur cote. La note remonte ensuite à Londres, avec un comité RH qui remouline les notes. Il y une forte volonté de Google de tout contrôler avec cette carotte qu'est la course à la performance. Mais il ne faut pas sortir des clous.

Google a une forte culture du test. C'est valable aussi pour les individus?

Oui, on teste en permanence. Peut-être que pour un ingénieur, qui a le cerveau plus algorithmique, cela peut fonctionner, mais c'est difficile de dupliquer ce modèle dans la marketing ou la communication. Vous vous retrouvez dans une espèce de lessiveuse qui fait qu'on vous bombarde d'infos. On vous fait subir un stress test comme pour les banques pour voir si vous ne vous noyez pas... Et c'est une cadence de travail énorme.

 

Une majorité d'entreprises recrutent après 1 à 3 entretiens

Selon le cabinet Robert Half, le nombre d'entretiens préalables à un recrutement reste limité dans les entreprises. Près de six sur dix (59%) ont un mode
d'embauche plutôt rapide avec un à trois entretiens. 36,5% ont recours à un process de trois à six entretiens, et seulement 4,5% vont au-delà. Avec quatre entrevues, Google se situe donc encore dans la fourchette haute. Dès le second entretien, l'unique but est de «multiplier les avis et ressentis et ainsi confirmer une décision», souligne Robert Half.

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