Ressources humaines
Pourquoi le bien-être au travail, nouveau leitmotiv des DRH, n'est pas juste un gadget. Décryptage d’une tendance de fond.

Une chief happiness officer au sein de l’enseigne de vêtements Kiabi, une directrice des richesses humaines dans l’agence Australie… Aujourd’hui, certains DRH se muent en une sorte de G.O. de l’entreprise, gentils organisateurs du bonheur. Pas question de dénigrer cette tentative de ré-instiller du vivre ensemble, du collectif, dans les entreprises, à un moment où les salariés ont du mal à trouver du sens à leur travail. Au contraire, le mouvement semble plutôt salutaire. D’autant qu’il s’inscrit dans une nouvelle ère de la relation salarié-employeur: «Jusqu’en 2008, un bon employeur se reconnaissait à ce qu’il offrait des salaires généreux, une garantie de l’emploi, une bonne protection sociale… notait Marc Deluzet, délégué général de l’Observatoire social international, lors d’une conférence de l’association française des communicants internes (AFCI), le 29 mai dernier. Depuis la crise de 2008-2009, l’entreprise sociale se reconnaît parce qu’elle propose une bonne qualité de vie au travail, de l’autonomie, du sens…» Autrement dit la qualité de vie, le bien-être deviennent presque une clause du contrat de travail. Pourquoi un tel engouement pour le thème du bien-être? Est-ce suffisant pour transformer l’entreprise en un lieu d’épanouissement, ou n’est-ce qu’un prétexte de communication?

Un levier d'économies 

«Le sujet est clairement dans l’air du temps, cela se retrouve à la fois à travers l’engouement actuel pour le modèle de l’entreprise libérée et la diffusion par Arte du documentaire Le Bonheur au travail, le 25 février dernier, constate Guillaume Aper, président de l’AFCI. Tout le monde s'intéresse aux entreprises qui fonctionnent différemment en termes de gouvernance, de management…» Il y a d’autres raisons au fait que le sujet du bien-être au travail s’impose: «C’est en réaction au problème des risques psycho-sociaux (RPS), la plupart des entreprises ont été obligées de lancer des analyses des RPS, précise Olivier Bas, vice-président d’Havas worldwide Paris et responsable du pôle talents. Et elles se sont dit: autant transformer cette obligation légale en quelque chose de positif.»

Et puis il y a une raison encore plus prosaïque: «Le mal-être génère de l’absentéisme et des maladies professionnelles, le tout pour un coût évalué à 8 milliards d’euros pour les entreprises en 2013», rappelle Olivier Bas. C’est donc un sujet économique sérieux et un levier d’économies, dans une période où la chasse aux coûts bat son plein. Pour enfoncer le clou, certaines études font le lien entre productivité et bien-être: elles évaluent à 30% les gains de productivité possibles grâce à ce levier-là. «Après avoir optimisé l’entreprise et fait des économies à tous les niveaux, la dernière variable sur laquelle on peut encore créer de la compétitivité c’est la variable humaine», constate Luc Vidal, directeur général adjoint d’Inergie, groupe Obea.

Enfin, le bien-être au travail, c’est un peu le joker, la dernière carte abattue par les DRH pour remobiliser les salariés: après avoir échoué avec toutes les autres solutions pour remotiver les collaborateurs: la formation, l’accompagnement, le coaching… «Même si, depuis deux ans, la satisfaction des salariés vis-à-vis de leur employeur est repartie à la hausse dans les baromètres sociaux, note Luc Vidal. En particulier les deux thèmes de l’écoute et du respect se sont améliorées au cours des deux dernières années.»

«Le bonheur est dans le projet»

Justement, comment génère-t-on du bien-être dans l’entreprise? Ce n’est pas en proposant du shiatsu à tous ou en installant des fauteuils relaxant à tous les étages, s’accordent tous les experts en RH. Plutôt en agissant sur des causes plus profondes. «Qu’est ce qui fait que l’on est bien dans son travail: l’utilité du travail que l'on fait, et l’impression de contribuer à un projet qui a du sens, note Olivier Bas. Chez Orange, il a fallu la crise des suicides pour que le nouveau PDG, Stéphane Richard, s’attaque au vrai sujet: quel est le projet économique et social que je propose?»

Le bonheur au travail est un subtil mélange de fierté d’appartenance, de sentiment de contribuer à un projet utile, de relations interpersonnelles de qualité avec les collègues et le manager…  «Bon relationnel, bonne écoute sont autant de nouvelles attitudes des managers et sont parfois évaluées lors des entretiens annuels dans certains groupes», souligne le vice-président d’Havas worldwide Paris.

Selon Bruno Scaramuzzino, président de Meanings, le bonheur est dans le projet: «Je crois beaucoup au management par le projet, cela permet de redonner du contenu, du sens à ce que l’on fait du matin au soir. Cela correspond à une évolution structurelle: le travail remplace l’emploi. Chacun s’arrime à un projet et apporte son propre travail.» La nouvelle recette du bonheur?

J’aime ma boîte… moi non plus

 

La technique est un peu cousue de fil blanc: publier un sondage qui proclame que les salariés aiment leur boîte (à 70% en 2015) puis monter un événement pour qu’ils puissent déclarer cet amour à leur entreprise (le 1er octobre 2015). Depuis 2003, Sophie de Menthon, présidente du mouvement Ethic, organise chaque année l’opération «J’aime ma boîte», et revendique «400 000 entreprises déjà mobilisées pour l’événement». Cela donne lieu à des événements parfois déroutants: le premier baby-foot humain chez Camif, la plus grande chaîne humaine de 900 collaborateurs au siège de Gifi à Villeneuve-sur-Lot… Et l’opération elle-même est souvent la risée des internautes.  

«Avec “J’aime ma boîte”, ils prennent le problème par le mauvais bout, c’est comme si c’était une injonction, et donc cela parait très artificiel, juge Olivier Bas, vice-président d’Havas worldwide Paris. C’est la posture inverse qu’il faudrait promouvoir: tu dois aimer tes salariés.»

Même jugement sévère de Luc Vidal, directeur général adjoint d’Inergie, groupe Obea: «Cela ne se décrète pas, c’est quelque chose de spontané, qui doit être issu de la base.» Le bonheur au travail serait un peu comme la musique selon Bernard Lavilliers: un cri qui vient de l’intérieur…

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