Ressources humaines
La communication interne se recompose. Les lignes de partage ne passent plus par les supports ou le cloisonnement interne/externe, mais plutôt par la temporalité. Temps «court» et «long» conditionnent désormais les outils, les messages et le rôle des différents acteurs.

La communication interne n’est plus la terre d’abondance d’autrefois. «Le marché est en baisse depuis quatre ans», résume Edouard Rencker, président de Makheia Group. Nombre de journaux internes, si prisés il y a encore quelques années, ont été arrêtés. Ainsi Bouygues Construction a remplacé les supports print de ses multiples entités par un portail web unique accessible via mobile, tablette et ordinateur.

Le recul du papier ne s'explique pas seulement par la digitalisation de la société. Le mode de consommation de l’information, qui a abattu la muraille séparant l'interne de l’externe, a révélé des comportements de collaborateurs plus jeunes qui ont rendu caduques les identités simples héritées des Trente Glorieuses. Une révolution à plusieurs dimensions, assure Edouard Rencker: «La “vraie vie” a envahi l’entreprise et le vécu social s’est unifié. La distinction cadres/non cadres est aujourd’hui dépassée et les “technos natives” n’ont qu’un lointain rapport avec les quinquas!» Autant de facteurs qui ont achevé de transformer le journal d’entreprise en futur trésor archéologique.

Quand le digital rencontre la réalité

La digitalisation de la communication, corollaire de la transformation de l’entreprise, a fait surgir au sein même des organisations une fluidité inédite de l’information. En se mettant au diapason du monde extérieur, le digital rétablit le lien avec des collaborateurs dont l’intérêt pour les outils traditionnels n’est plus qu’anecdotique. Pour les agences, il s'agit là d'une opportunité qui implique un plan cohérent... mais se heurte à la réalité économique, comme le remarque Laurent-Cédric Verscheure, directeur associé de Verbe: «C’est un exercice difficile et beaucoup d’entreprises ne se sont pas dotées des effectifs nécessaires pour le mener à bien.»

Certaines agences proposent une organisation de la communication interne en mode newsroom pour servir divers supports. Un modèle d’avenir, mais qui, là encore, bute souvent sur la rareté des moyens, estime Laurent-Cédric Verscheure: «C’est une tendance forte, mais toutes les entreprises n’ont pas encore investi dans les profils et les outils pour s’organiser comme un média. Nous sommes cependant de plus en plus sollicités pour produire de l’information en collaboration avec des personnes de l’entreprise à destination de différents canaux.»

Les nouveaux habits du «temps long»

Donnée pour moribonde, la communication à destination des salariés entame donc sa mue. Avec des effets parfois inattendus, comme la revalorisation d'un support papier, qui permet d'émerger dans l'océan du tout numérique. Bruno Scaramuzzino, président de Meanings, estime ainsi que de façon paradoxale, le primat du digital semble susciter un regain d'intérêt pour le print, visiblement trop vite enterré: «Le digital ne peut pas tout. Il permet d'animer des projets, peut être un support pour la production, mais il ne peut pas susciter d’attachement, intégrer une pédagogie. Le digital pose son utilisateur dans une injonction permanente d’interaction et créé un brouhaha continu. Le temps long exige une trace, des repères, des balises. Il est clair que le digital ne peut pas satisfaire une telle demande.»

À l’instar d’Air France, nombre de grandes entreprises, mieux armées que les autres pour détecter les signaux faibles, redécouvrent les vertus du papier. A ceci près que leurs magazines ne ressemblent guère à ceux d’avant la digitalisation. Le mensuel d’antan a vécu: trop proche du temps court, il se démonétise trop vite; trop éloigné du temps long, il ne peut plus fournir un message capable de résister à l’usure du flux permanent, souligne Edouard Rencker. «Le journal officiel interne est mort tout comme les intranets. Leur taux de connexion est trop faible.»

Désormais, c’est au print d’ancrer l’entreprise dans le long terme. Place à des périodicités similaires à celles des revues ou des mooks (publications hybrides entre magazine et livre) présents en kiosque. «Le print va vers une périodicité trimestrielle, confirme Bruno Scaramuzzino. Il peut alors éclairer le temps long.» D’où aussi l’attrait nouveau des rapports annuels, dont les salariés sont devenus les premiers lecteurs, et la floraison de livres et autres «yearbooks».

Apporter la meilleure expérience

L’emprise du digital sur le court terme et l’accélération du temps qu’elle imprime sur le quotidien a une autre implication: le retour de l’oral. Chez TBWA Corporate, l’évolution se manifeste très clairement dans le business, selon Sébastien Hueber, directeur général adjoint: «Il y a cinq ans, nous organisions un Disruption Day tous les deux ans. Maintenant, nous en sommes à quatre ou cinq par an.» Un mouvement qui répond au besoin de redonner du sens à la marque, estime de son côté Bruno Scaramuzzino: «Nous sommes dans un monde à la dérive où les entreprises et leurs collaborateurs vivent des moments durs, où il y a de la souffrance. Ce contexte fait que le sens, l’identité et la marque redeviennent des points centraux.»

L’événementiel, en agrégeant en amont les collaborateurs, devient un outil de mobilisation, de coconstruction du message, voire un facteur d’évolution des organisations, explique Sébastien Hueber. «Cela permet de définir une vision, mais aussi de nouveaux processus de com interne. Chez l’un de nos clients, les questions du journal interne posées aux dirigeants sont désormais élaborées par les collaborateurs», détaille le dirigeant de TBWA. Les agences font face à une configuration nouvelle de la demande, constate Bruno Scaramuzzino: «Le rééquilibrage se fait en faveur du papier et de l’oral, mais aussi, au sein des organisations, en faveur du “middle-management”, facteur clef de la transformation des entreprises, qui attend une vision et des échanges.»

Ces nouvelles tendances ne doivent pas pour autant cadenasser l’écoute des clients, prévient Laurent-Cédric Verscheure, de Verbe: «La vraie question est d’apporter la meilleure expérience au collaborateur. Si elle passe par le papier, alors il faut choisir le papier. Quel que soit le support, ce sont les contenus qui font la différence. La demande actuelle des entreprises est double: elle veulent une bonne gestion du temps court et l’associer au temps long.»

En mode «empowerment»

À mesure qu’elles prennent conscience de l’impossibilité de conserver le traditionnel cloisonnement entre interne et externe, les entreprises comprennent aussi que les collaborateurs peuvent jouer un rôle actif. Fini le temps de l’écoute passive, estime Sébastien Hueber, directeur général adjoint de TBWA Corporate: «La transformation de l’entreprise peut projeter les salariés dans le rôle d’ambassadeurs de la marque à condition de modifier le rôle de la communication interne. Ils doivent avoir la primeur de cette communication afin d’être impliqués en amont.»

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