Architecture
Faire tomber les cloisons, favoriser le collaboratif… Les injonctions du digital se retrouvent sur le lieu de travail.

«Aujourd’hui nous passons un tiers de notre temps au bureau ailleurs qu’à notre poste de travail, nous consacrons 29% de notre temps à des activités collaboratives et le flexi-travail est la première attente (à 50%) des salariés pour travailler efficacement, constatait Flore Pradere, responsable recherche entreprise chez JLL (ex Jones Lang Lasalle, conseil en immobilier d’entreprise), lors du Congrès HR, qui rassemblait les DRH de grands groupes, les 7 et 8 octobre. Dans cette étude réalisé avec CSA, nous voyons bien que le numérique induit une révolution à la fois managériale et spatiale.» Ce n'est d’ailleurs pas un hasard si la sémantique de la révolution numérique est très reliée à l’espace de travail: faire tomber les cloisons, favoriser la transparence, faire émerger l'intelligence collective… Comment les bureaux s’adaptent-ils à la révolution numérique qui modifie les façons de travailler? Quelles sont les nouvelles tendances d’aménagement de bureaux?

La tendance numéro un, c’est le collaboratif. Les bureaux ont été conçus pour un travail individuel, avec quelques points de rencontres pour des réunions. Aujourd’hui, le modèle digital qui veut casser les silos impose de nouveaux usages: accorder plus de place à des espaces de partage, de brainstorming… D’où une redéfinition des rôles en vue: sur son poste individuel, le salarié ne fait plus que des tâches très récurrentes et ces nouveaux espaces collectifs deviennent le lieu central du travail. Dans les faits, c’est déjà le cas dans beaucoup d’entreprises où les salariés s’installent avec leur ordinateur portable dans des espaces différents: salle de réunion, cafétéria… Les bureaux doivent donc être plus dynamiques.

Il est vrai que les postes de travail sont de moins en moins occupés, avec le développement des outils nomades de connexion. Ce constat a conduit Engie à réorganiser ses bureaux, comme le relatait Olivier Ghienne, human resources performance & forecast director, lors du Congrès HR: «Dans notre tour de la Défense, j’ai fait réaliser un audit de l’utilisation réelle des postes de travail par les 150 salariés de notre département ressources humaines. Ils ne passaient que 40 à 50 % du temps à leur poste. Nous avons décidé d’opter pour des bureaux partagés.» Le gain de place est notable: «Je regroupe plus du double de personnes sur le même espace qu’avant», soulignait Olivier Ghienne. Le département RH dispose aussi de nouveaux espaces collaboratifs, et d’espaces de détente.

Palette d'espaces

Aujourd’hui, dans les nouveaux bureaux, l’accent est mis sur le «travailler ensemble»: en effet, les tâches individuelles peuvent être réalisées quasiment depuis n’importe quel lieu, à mesure que le poste de travail se virtualise. En revanche, pour les taches collaboratives, il faut être dans les mêmes murs. Et demain l’entreprise sera surtout un lieu de rencontre, où l’on bâtit une culture commune, mène des projets de concert. D’où l’émergence de salles de design thinking pour le brainstorming, d’espaces de concentration ou de déconnexion, de siestes… Toute une palette d’espaces communs qui correspondent à des usages différents.

Cette nouvelle donne de l’espace de travail a aussi prévalu dans l’aménagement du nouveau siège de Crédit agricole (lire ci-contre),  baptisé  Evergreen, installé à Montrouge (92). «Par exemple, les plus beaux emplacements n’ont pas été attribués aux dirigeants mais à des espaces collectifs», relève Flore Pradere. Cela correspond aussi à une nouvelle vision managériale. «Dans ces nouveaux bâtiments, nous avions décidé qu’il y aurait un maximum de 10 % de bureaux individuels cloisonnés et pas forcément attribués sur des critères hiérarchiques», explique Pierre Deheunynck, directeur des ressources humaines du groupe bancaire.

L’autre tendance, c’est l’hybridation: plusieurs usages pour un même espace. Par exemple, le restaurant d’entreprise du Crédit agricole est ouvert avant 11h30 et à partir de 14h30 et sert de lieu de réunion, de réception des clients. Autre nouvel enjeu selon Flore Pradere: la sérendipidité, c’est-à-dire créer des lieux de rencontre fortuite, entre des personnes issues de différents services, métiers. Enfin, pour se sentir au bureau comme chez soi, beaucoup d’entreprises recréent une atmosphère «comme à la maison». Mais cette révolution ne fait pas que des heureux: «Dans notre nouveau siège Evergreen, nous organisons une journée ouverte aux familles, dit Pierre Deheunynck, du Crédit agricole. J’ai appris qu’un manager qui occupe un bureau transparent avait préféré ne pas faire venir ses proches car il avait honte de leur montrer son bureau aux cloisons transparentes.» 

Un nouveau siège pour un nouveau départ au Crédit agricole

«Quand j’ai lancé l’idée d’un nouveau siège pour le Crédit agricole, alors que nous sortions de la crise financière, l’idée a surpris», a relaté Pierre Deheunynck, DRH du groupe bancaire lors d’une intervention au Congrès HR, les 7 et 8 octobre derniers. Il faut dire que la décision survenait quelques mois après la crise des «subprimes» et l’annonce de la perte de 10 milliards d’euros. «A cette époque les équipes étaient sens dessus-dessous, il y avait de nombreux conflits», rappelait le DRH. Pour donner un nouveau souffle, il a décidé de regrouper toutes les équipes disséminées en région parisienne, dans un nouveau siège, à Montrouge (92): un investissement d’un milliard d’euros. «Il fallait recréer un projet d’entreprise», expliquait-il. Le site, baptisé Evergreen, inauguré en juin 2011, qui a accueilli au départ 2200 collaborateurs, en comptera, à terme, 9000. 

 

Avis d’expert

Flore Pradère, responsable recherche entreprises chez JLL (ex-Jones Lang Lasalle)  

 

Vous présentez à l’occasion du Congrès HR, une étude CSA sur l’environnement de travail et la performance?
Flore Pradère. 70% des salariés interrogés établissent un lien entre aménagement du lieu de travail et performance. Chez les collaborateurs qui en sont le plus convaincus, cela renforce leur attachement de cœur à leur entreprise: 85% considèrent que leur bureau crée un sentiment de communauté et d’appartenance. Or les «très satisfaits» de leur environnement de travail ont une posture très positive, très innovante. Il y a même un regard très positif sur le management lié à environnement de travail. Comme si des bureaux agréables nourrissaient un management bienveillant.


Les motivations des salariés pour se rendre au bureau sont aussi intéressantes?
F.P. Quand on demande aux salariés pourquoi ils viennent au bureau, ils répondent d’abord pour travailler avec leurs collègues (61%), et ensuite parce que leur présence est souhaitée par leur management (56%). La révolution managériale du télétravail n’a pas encore eu lieu. Pourtant le manager devra animer une communauté de collaborateurs de plus en plus indépendants, en gardant un sentiment de cohésion. Un défi. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.