Créativité
Selon Muriel Garcia, présidente d’Innov’Acteurs et directrice de l’innovation de La Poste, l'innovation participative n'est pas suffisamment encouragée par les managers. Mais elle s’ouvre tous azimuts à l'ensemble des salariés.

D’après l’étude Innov’Acteurs/Capital Com, présentée en décembre, ce ne sont pas les dirigeants ou les managers qui contribuent le plus à l’innovation, mais les salariés eux-mêmes. Cela vous surprend-il?

Muriel Garcia. Effectivement, quand on demande aux Français «quels sont les acteurs clés de l’innovation?», ils répondent en premier les salariés (26%), puis les dirigeants (22%) et enfin les managers (19%). J’ai vraiment le sentiment que ce sont les salariés qui font vivre l’innovation dans l’entreprise: ce sont leur force de proposition, leurs prises d’initiative et leur autonomie qui font que la société va être plus ou moins innovante. Autre constat intéressant de l’étude: l’innovation reste vraiment une affaire interne à l’entreprise. En effet, si l’on cumule les trois premières réponses des Français à notre enquête, ils jugent à 69%, que l’innovation provient de l’intérieur même des groupes.

 

Qu’est-ce qui coince en matière d’innovation participative?

M.G. Il y a une réelle prise de conscience sur la nécessité de l’encourager. Mais tout n'est pas encore mis en œuvre pour la booster. Les managers restent souvent un frein à la démarche créative, cela se manifeste par de l’indifférence ou un manque de soutien. Ainsi certains d'entre eux n’acceptent pas la participation des membres de leur équipe à un groupe de créativité, souvent pour une question de temps. L’enjeu est de parvenir à créer de l’agilité dans l’entreprise pour dégager ce temps à consacrer à la créativité. Quand les managers jouent le rôle de coachs en matière de créativité, sont dans une posture d’écoute, de bienveillance, cela fonctionne à plein.

 

L’autre tendance forte c’est le fait que l’innovation sort des murs de l’entreprise...

M.G. Oui, c'est la grande évolution. L'innovation participative s’ouvre tous azimuts: les salariés font de l’open innovation aussi bien avec des collègues d'autres filiales, d'autres branches, d'autres métiers dans leur société, qu'avec des personnes de l’exterieur, des sous-traitants, des clients, des fournisseurs... A l’intérieur ou à l’extérieur de l'entreprise, il s’agit de créer des communautés que l’on ouvre et que l'on ferme en fonction des besoins en compétences. Des nouveaux espaces collectifs ont aussi été créés dans les entreprises pour accueillir ces formes de collaboration inédites. Cette ouverture change totalement la donne. Du coup, la définition même de l’innovation participative a évolué: avant c’était «une démarche de management structurée visant l’émission, la production et la réalisation des idées des collaborateurs». Aujourd’hui, on a donc élargi ce concept aux «idées issues de parties prenantes internes et externes».

 

Dans une période où il y a une perte de sens du travail, l’innovation participative y remédie d’une certaine façon…  

M.G. Oui, d’ailleurs il y a quelques années l’accent était mis sur la quantité d’idées produites, alors qu'aujourd’hui il est mis sur le sens donné et la qualité. Cela ne sert à rien de mobiliser les troupes sur la production de cent idées, si au final cinquante ne sont pas exploitées. En plus cela génère de la frustration.

 

Comment fonctionnent aujourd’hui les processus de créativité dans les groupes?

M.G. A tout moment, n’importe quel salarié de l’entreprise peut déposer une idée sur une plateforme collaborative en ligne, accessible à tous. Comme le système le permet et que c’est officiel, les salariés se sentent libres de participer. D’ailleurs les outils numériques sont de vrais facilitateurs de l’innovation participative. Une fois l’idée ajoutée, d’autres collaborateurs peuvent voter dessus, rebondir dessus. Puis le département innovation s’en saisit, et décide, soit de la valider, soit de la recaler, soit de l’intégrer à un autre projet en cours. Pour stimuler cette production créative, les groupes organisent aussi des challenges, des hackathons... Particularité du hackathon: il réunit une communauté pluridisciplinaire interne et externe, et va jusqu’au prototypage de l’idée, dans un délai très court.

 

De quelles manières les entreprises reconnaissent les collaborateurs ayant de bonnes idées?

M.G. Il y a une forte attente selon notre étude: 70% des salariés français espèrent une marque de reconnaissance lorsqu'ils proposent de nouvelles idées. Selon la culture de l’entreprise, cela peut prendre différentes formes. La reconnaissance peut être financière depuis un chèque cadeau de 10 euros à une prime de 3 000 euros (plus rare). Elle peut également être honorifique avec une série de petites attentions comme un petit déjeuner avec le grand patron, la remise d’un trophée... En général les cérémonies de remises de prix ont beaucoup d'impact: c'est une forme de reconnaissance par ses pairs et cela suscite de l'émotion et de la fierté. Enfin, autre aspect crucial, la possibilité de participer à la mise en œuvre de son idée. Les salariés la jugent aussi importante que la reconnaissance financière.

 

Justement, l’étape d’après, c’est la mise en œuvre…

M.G. Oui, entre 30 et 40% des idées proposées sont effectivement mises en application. Il faut compter un délai d’un à trois mois entre le dépôt d’une idée et sa mise en application. Bien sûr certaines idées plus complexes peuvent nécessiter une expertise complémentaire. Il arrive aussi que des suggestions soient bloquées par des aspects réglementaires. L’autre enjeu important, c'est leur déploiement dans l’ensemble de l’entreprise.

 

Vous avez un exemple concret d’innovation issue d’un tel dispositif au sein de La Poste?

M.G. Oui, un directeur des ventes, dont la femme venait d’accoucher et de recevoir un coffret avec des échantillons, a eu l’idée d’inventer un coffret d’accueil pour les nouveaux habitants d’une région. Il a créé ce colis d’accueil comprenant des gâteaux, une carte routière... avec des artisans et des entreprises de la région. Il a lancé ce concept en 2013. Cela a généré un chiffre d’affaires additionnel pour la Poste et a été généralisé à toute la France.

Une étude Innov’Acteurs et Capital Com

Dans la quatrième édition de leur grande enquête annuelle sur l’innovation participative, Innov’Acteurs et Capital Com ont interrogé les Français sur le rôle des salariés dans l’innovation au sein des entreprises et des administrations. Créée en 2002, Innov’Acteurs est une association loi 1901 pour le développement de l’innovation participative dans les organisations. Elle réunit plus de 90 structures privées et publiques autour de moments de professionnalisation, d’échange d’expériences et de partage de bonnes pratiques. Chaque année, Innov’Acteurs organise le «Carrefour de l’innovation participative».

Capital Com est une agence de communication indépendante, fondée en 2005, par Caroline de La Marnierre.

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