Ressources humaines
A l’heure où beaucoup de médias et entreprises sont confrontés à une baisse d'activité et réinventent leurs modèles, il existe des méthodes pour garder les équipes motivées. Témoignages.

C’est une spirale infernale: érosion des ventes, baisse du chiffre d’affaires, réduction des effectifs… Quand les mauvais signaux s’accumulent dans l’entreprise, que le problème est structurel, et donc amené à durer, comment le management doit-il s’adapter? La tentation naturelle du manager, dans un contexte de décroissance, c’est le repli. Il communique à minima, gère les affaires courantes, et s’efforce de sauver sa peau. «D’autant qu’il y a bien souvent une coupure entre la direction, les managers de proximité, les équipes..., pointe Xavier Alas-Luquetas, président du cabinet Eleas. Dans ces moments-là, le management intermédiaire ne fait plus son travail de courroie de transmission. Résultat, les salariés peuvent avoir le sentiment d’être un peu livrés à eux-mêmes.» Et si, même en phase de décroissance, situation assez répandue dans tous les secteurs en transformation (médias, régies, entreprises classiques…), il y avait une autre voie à trouver pour le management? Comment mobiliser les salariés dans ces phases de décroissance? Quel mode de communication choisir? 

Première réponse: manager en période de décroissance, cela implique de donner un cap clair, en repartant des basiques. «Quelle est la vocation de l’entreprise, sa valeur centrale?, liste Caroline Facy, associée à La Voie des hommes, coauteur de Manager au quotidien pour les Nuls (First). Cela demande du courage et de la pédagogie, pour expliquer aussi des renoncements: il y a des pans d’activité où nous sommes allés et où nous n’irons plus.» Et surtout il faut se projeter: donner un cap à deux ans, avec des indicateurs mesurables à deux ans.
Le plus efficace, c’est de choisir la transparence, en partageant tous les chiffres avec les équipes. «Ce discours vrai est indispensable, note Philippe Soullier, président de Valtus, cabinet de conseil en management de transition. D’autant que les salariés ne sont pas dupes: par exemple, chez Pixmania les salariés à la logistique sentaient bien que l’activité était en baisse.» Ce dirigeant d’un magazine grand public (qui préfère s’exprimer en off) est aussi confronté à la décroissance: «Aujourd’hui je réalise 40% de ma marge brute sur d’autres activités que la presse, et il a fallu redéployer l’activité, dit-il. Pour que les salariés restent motivés, je fais un point annuel sur la stratégie où tout le monde peut poser des questions, et une autre session de communication par trimestre, plus une newsletter. Il faut dire où l’on en est, où l’on va, précisément. Et je propose beaucoup de formations pour accompagner cette transformation du modèle marketing: de la relation-lecteur vers la relation-client.»

Investir la dimension relationelle

Les bons leviers à activer pour le manager en période de décroissance sont avant tout culturels, selon Pierre Hurstel, ancien DRH monde de EY et conseil aux dirigeants avec Matière à réflexion: «Si l’entreprise a pris l’habitude de ne motiver les gens qu’avec de l’argent, quand elle se retrouve en situation de crise, elle ne sait plus comment faire, explique le consultant. C’est pour ça qu’il faut avoir autre chose à raconter dans le discours managérial.» Il faut construire un «vivre ensemble» basé sur d’autres thèmes que la rémunération: développer la loyauté à la «maison», à la marque. «Cela permettra une forme de solidarité dans les périodes de vaches maigres», dit Pierre Hurstel.
Dans des périodes de crise, les salariés sont capables bien souvent, de s’engager encore davantage et cela peut aussi être un levier. «Cela fonctionnera surtout s’il y a de la relation et du contact, or les managers ont tendance à fuir dans ces périodes-là, relève Maurice Thévenet, professeur en management à l’Essec et au Cnam. Il faut donc investir la dimension relationnelle. Autre impératif: dans des situations de crise, l’ensemble des comportements sont sur- ou mésinterprétés, donc les dirigeants doivent être exemplaires.»
Enfin, le plus important c’est de donner des perspectives: «Toutes les activités d’une entreprise ne peuvent pas être en décroissance en même temps, souligne Philippe Soullier. Il y a des réponses opérationnelles pour enrayer la décroissance: prolonger le cycle de vie des produits qui se portent bien, créer de nouvelles offres à partir d’offres établies, reconvertir les produits qui montrent des signes de faiblesse…» Cela peut aussi être l’occasion de prendre des virages de grande ampleur: «Par exemple, une entreprise de vente à distance par catalogue très malmenée a pris le virage du digital et réadapté toute son offre», dit le président de Valtus.
Offrir des perspectives, c’est aussi le défi auquel est confronté la presse quotidienne régionale: «Il y a à la fois la mise en péril du modèle économique par la baisse de valeur des imprimés et de la publicité et la nécessité d’aller vers de nouveaux modèles, analyse Jean Viansson-Ponté, président de l’Union de la presse en région et du SPQR. En même temps, il faut tempérer la décroissance de la PQR car l’audience n’a jamais été aussi importante: en cumulé cela représente 18 millions de visiteurs uniques, 750 millions de pages vues tous les mois.» Enfin, la décroissance n’est jamais une fatalité: «On l’observe dans tous les secteurs, ces contextes-là créent des opportunités, permettent de repenser la configuration de l’entreprise et de ce qui s’y passe et de faire vraiment bouger les lignes», conclut Xavier Alas-Luquetas.

«Ne pas faire croire que tout va bien»

Edouard Boccon-Gibod, ex-président de Metronews, aujourd’hui directeur général de Christies
«Quand j’étais à la tête de Metronews, j’ai dû gérer cette décroissance. J’ai commencé par identifier les points forts de la marque, en l’occurrence du titre, c’est-à-dire sa valeur ajoutée: quels sont les services qu’il rend? En quoi se distingue-t-il? Autrement dit, je me suis attaché à décortiquer ce que le marché attendait du produit. Il faut aussi avoir une politique de rémunération de ses commerciaux extrêmement incitative. Et au jour le jour, il y a un devoir d’exemplarité du manager: il doit être très mobilisé. J’étais le premier commercial de l’équipe, je faisais moi-même le tour des agences médias.
En termes de communication, je me suis efforcé de partager les enjeux de la mutation et de la crise avec l’ensemble de l’entreprise. C’est-à-dire que je n’ai rien caché, je n’ai pas cherché à faire croire que tout allait bien. Je communiquais tous les mois sur les succès comme les échecs, y compris avec les instances représentatives du personnel. Cela implique de mettre en place un pacte de confiance avec elles.
Il a fallu expliquer les décisions douloureuses: la diminution  du nombre d’exemplaires, la réduction du nombre de villes ouvertes… Pour garder la foi, il faut avoir confiance en son produit, en ses équipes et partager les succès. En l’occurrence nous avons réussi à nous imposer sur le digital alors que personne ne nous attendait: numéro deux des applications news téléchargées en 2014, et numéro deux en nombre d’utilisateurs uniques par mois, derrière Le Monde. A tous points de vues, cela a été une expérience exceptionnelle pour moi.»

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