Ressources humaines
Transformation du modèle, difficultés à intégrer des juniors et concurrence féroce des géants du Net, des start-up…, les agences risquent-elles de perdre leur jeunesse? Enquête.

«Le marché publicitaire s’est resserré ces dernières années et le nombre d’agences a diminué, du coup, il est devenu difficile pour les jeunes d’intégrer nos entreprises et de décrocher leur premier contrat à durée déterminée [CDI] Le constat de Stéphane Xiberras, directeur de la création et président de BETC, a le mérite de la franchise. Et le créatif poursuit: «Quand il n’y a pas assez de jeunes dans les agences, la publicité perd de sa spontanéité et son impact diminue. Si, à un moment, on se coupe de cette génération-là, on ne leur donne pas les rênes, on est foutus!» Ce n’est pas le seul problème: une fois qu’elles ont recruté et formé des jeunes talentueux, les agences doivent encore les garder. Or, les chasseurs de talents digitaux n’ont jamais été aussi nombreux: start-up, géants du Net, licornes (Blablacar, Criteo…) ou encore annonceurs. Alors, les agences seraient-elles en train de perdre leur jeunesse?

Pas le moins du monde au regard des chiffres, rappelle Jean-Paul Brunier, président de Leo Burnett et vice-président de l’Association des agences-conseils en communication (AACC). La moyenne d’âge dans les agences s’établirait aujourd’hui à 35 ans (32 ans dans les agences parisiennes), contre plutôt 40 ans dans les entreprises françaises. Autrement dit, les agences continueraient à jouer leur rôle d’école de formation intégrant les jeunes à la sortie des études, avant de les laisser partir, après quelques années, pour d’autres aventures. Sans doute que la vague digitale, en créant de nouveaux besoins, a ouvert la porte des agences à certains d’entre eux, mais les embauches en CDI restent peu nombreuses.

Remise en question

Surtout, les jeunes restent moins longtemps qu’auparavant dans les agences car la concurrence est féroce pour les talents digitaux. «Certains de mes collaborateurs ont été chassés par Google, Facebook et aussi par mes clients», admet Natalie Rastoin, présidente d’Ogilvy France. Même constat chez BETC: «Les Gafa offrent des salaires beaucoup plus élevés, parfois du simple au double, et nous prennent des profils commerciaux ou de consultants», note Muriel Fagnoni, vice-présidente exécutive. Chez DDB Paris, le président, Matthieu Delesseux, relativise: «La concurrence a toujours été terrible pour les agences. Il y a quinze ans, c’était les chaînes de télévision, aujourd’hui, c’est Google ou Facebook. Pour attirer des jeunes talents, il faut aller les chercher, donner des cours à Sciences Po, HEC, etc.» Et le président de DDB croit aussi aux signaux forts envoyés à la génération montante: «Nous venons de nommer un nouveau directeur de la création qui a 30 ans et il insuffle une énergie folle à toute l’agence.»

Les agences ont tout intérêt à se remettre en question, car il y a un réel danger de se couper de ces forces vives. «Normalement, sur le papier, on exerce un métier plus “sexy” que l’activité de Facebook et mille fois plus palpitant que de vendre de l’espace publicitaire chez Google, insiste Stéphane Xiberras. Cela doit nous pousser à nous interroger: à quoi devrait ressembler une agence de publicité? A une start-up!» A l’Iscom, école de communication et de publicité, les étudiants rêvent encore d’intégrer des agences pour leur créativité, selon Virginie Munch, la directrice de l’école, mais ils ont aussi de nouvelles attentes: les valeurs de l’entreprise, le caractère innovant du management, l’environnement de travail flexible… Et les agences doivent en être conscientes. Un risque que ne minimise pas Natalie Rastoin, d’Ogilvy France: «La question de la stratégie d’attractivité est clé, et l’on évoque souvent ce sujet au bureau de l’AACC. Jamais les ressources humaines n’ont été aussi importantes dans nos groupes. Nous devons continuer à constituer des réservoirs de juniors.»

Renforcer la marque employeur

Les agences font d’ailleurs des efforts pour renforcer leur marque employeur. «Avec les générations Y et Z, le principal pilier de la motivation, c’est le sens du travail, loin devant l’argent, rappelle Muriel Fagnoni, de BETC. Alors, dans notre agence, on veille à rendre l’environnement humain, à penser le rôle de chacun et à organiser des rituels pour célébrer des gains de budgets ou la sortie de belles campagnes.» L’agence est labellisée Happy Trainee (recommandée par ses stagiaires). Même effort chez DDB, qui a emménagé dans des bureaux flambant neufs il y a plus d’un an: l’accent est mis sur les conditions de travail. Si la guerre des talents est clairement déclarée pour les jeunes talents digitaux, les agences sont bien décidées à se défendre.

Concurrence féroce

«Les annonceurs internalisent de plus en plus de métiers de l’agence, comme la production digitale ou la gestion de projet. Actuellement, on constate cette migration dans le social media, l’UX ou la data, constate Marc de Torquat, cofondateur et directeur du cabinet Shefferd. Du coup, ces groupes attendent des agences qu’elles interviennent plus sur le conseil et la créativité. Or, il s’agit plutôt d’activités – surtout pour le conseil – réalisées par des seniors.» Et comme les agences sont de plus en plus remises en compétition et doivent rester agiles, elles restreignent leurs embauches et il y a donc moins de places pour les jeunes. «Dans le même temps, les start-up attirent beaucoup de jeunes profils qui auraient pu rejoindre les agences», poursuit-il.  

 

 

Interview

«Les bonnes agences restent des écoles formidables»

Jean-Paul Brunier, président de Leo Burnett et vice-président de l’AACC

 

Pensez-vous que les agences ont un problème d’attractivité des jeunes?

Jean-Paul Brunier. Nous restons dans un métier très jeune, avec une moyenne d’âge autour de 35 ans. Aujourd’hui, mon principal souci, c’est de ne pas avoir assez de places à offrir aux bons candidats. Les bonnes agences restent des écoles. D’ailleurs, le fait que Google ou Apple aille chercher des profils en agence est un bon signe, cela prouve que nous restons des écoles formidables. Notre problème est plus de faire une place aux juniors, car nous avons plus de candidatures que d’offres. Nous aimerions bien en recruter davantage, mais nous ne pouvons pas. L'autre phénomène est lié aux carrières: sans doute sont-elles plus courtes qu’avant dans les agences, les passages sont rapides, avec des allers-retours plus nombreux entre agences digitales et start-up ou Gafa, par exemple. 

 

Quelles mesures compte prendre l’AACC pour rendre les agences plus attractives?

J.-P.B. Nous sommes en train de repenser la «portfolio night», qui permet à la communauté créative publicitaire de rencontrer les talents de demain. Nous rééditons la Journée agences ouvertes, le 22 mars prochain. Ce n’est pas un instrument de conquête, dans le sens où cela s’adresse à des étudiants qui nous connaissent déjà, mais cela permet de montrer la diversité des agences. Il y a aussi l’académie créative AACC-HEC, dont le but est de faire connaître nos organisations créatives. 

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