Interview
Un vrai rebond! Alors qu’il reculait depuis la crise de 2007, le mécénat reprend des couleurs. Explications avec François Debiesse, président exécutif d’Admical.

Selon l’étude Admical/CSA, qui vient d’être publiée, le mécénat connait un vrai boom…

François Debiesse. Oui, pour la première fois depuis la crise de 2007, le mécénat rebondit de façon spectaculaire: en deux ans il est passé de 2,8 milliards à 3,5 milliards d’euros, soit une hausse de 25 % en 2015. Jusqu’ici les entreprises étaient confrontées à une baisse de leurs résultats économiques et du coup limitaient le mécénat: il y a deux ans un quart des sociétés mécènes disaient qu’elles n’étaient pas sûres de pouvoir continuer. Aujourd’hui les perspectives sont très optimistes: 79% des mécènes pensent stabiliser ou augmenter leur budget, 10% prévoient de le diminuer et seulement 2% de le supprimer.

Ce rebond n’est pas seulement lié à une amélioration de la conjoncture?

F.D. Non, il y a aussi une prise de conscience plus globale des entreprises: elles sont passées d’une responsabilité sociale autocentrée, à une responsabilité sociétale. Cela commence par la façon dont elles effectuent leur métier, gèrent leurs collaborateurs, leurs clients… Cela répond à une attente forte des salariés: ils sont en quête de sens, et souhaitent que leur employeur sorte de son business pour s’impliquer dans son pays, sur son territoire. Bref cet investissement social est un facteur de fidélisation des collaborateurs.

 

Le mécénat cela permet aussi de mobiliser les salariés…
F.D. Oui cela peut être un ciment social dans l’entreprise. D’ailleurs, si le mécénat financier reste ultramajoritaire (il représente 80% du total), la part du mécénat de compétences dans le budget global augmente et s’établit à 12%. Il s’agit de salariés qui consacrent une partie de leur temps de travail à une cause. Cette participation est plus concrète. Cela se retrouve davantage dans les grandes entreprises mais c’est une voie de développement très importante à l’avenir. En effet quand le mécénat est purement financier cela limite les interactions avec le projet. Aujourd’hui de nombreux salariés sont investis à titre personnel dans des associations, ils souhaiteraient que leur entreprise leur donne du temps. Il est souhaitable qu’un système d’abondement se développe: si un salarié consacre un jour de son temps libre à une association, son employeur ajoute un jour sur son temps de travail.
 
Le mécénat reste toujours un outil de communication?
F.D. Beaucoup de groupes comme Total ou des banques ont pris des coups dans la figure (pas toujours justifiés) parce qu’ils mettaient en avant des actions de mécénat: «Vous faites du mécénat parce que c’est une forme de green-washing.» Du coup, les groupes du CAC 40 qui sont les premiers mécènes sont attentifs à ne pas exagérer cet aspect-là, ils ont peur d’un effet boomerang. Aujourd’hui, on voit émerger de nouvelles motivations au mécénat: plus seulement un bénéfice en termes d’image, mais le fait d’embarquer tout un écosystème: sous-traitants, clients, salariés…
Aujourd’hui la première motivation à se lancer dans le mécénat, c’est de contribuer à l’intérêt général, puis d’exprimer, incarner les valeurs de l’entreprise; et construire des relations avec les acteurs du territoire.
L’objectif de valoriser l’image et la réputation de l’entreprise n’arrive qu’en quatrième position.

 

Quelles sont les entreprises les plus adeptes?
F.D. Si l’on parle de budget, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et groupes contribuent le plus avec 60% du budget mécénat en France. Si l’on parle en nombre de sociétés: les TPE représentent plus de 70% de l’ensemble (environ 170 000 entreprises).
Autre tendance intéressante: avant les sociétés pratiquaient le mécénat de façon individualiste, aujourd’hui on voit de plus en plus de regroupements d’entreprises différentes autour d’un même projet. 13% des mécènes se sont déjà associés à d’autres entreprises pour soutenir des projets. Ce mécénat collectif concerne principalement les ETI et groupes.
 
Quels sont les secteurs les plus soutenus par le mécénat?
F.D. Depuis notre étude 2011 et la crise, le social reste dominant: 17% des investissements, puis vient la culture/patrimoine (15%) et l’éducation (14%). Néanmoins la culture reprend du poil de la bête: elle est passée de 13 à 15% des sommes investies en deux ans. Si les entreprises soutiennent en moyenne 1,7 domaine, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et grandes entreprises diversifient leurs actions et soutiennent en moyenne cinq secteurs différents. Les sociétés privilégient des projets qui s’exercent au niveau local ou régional (81%): une tendance en nette hausse au sein des ETI et groupes qui attachent une importance croissante à leurs relations avec les acteurs de proximité.
 
Les sociétés soutiennent de plus en plus l’entrepreneuriat social…
F.D. Oui il y a une émergence du soutien à l’entrepreneuriat social: des entreprises capables d’intégrer dans leurs objectifs des critères sociaux. Cela représente 175 millions d’euros en 2015 soit 5% budget mécénat. Un financement qui passe souvent par des intermédiaires comme l’Adie, ou France active.
 
La fiscalité du mécénat est-elle incitative?
F.D. L’administration de Bercy est toujours très vigilante sur le mécénat. Nous menons actuellement une bataille pour que la fiscalité soit aussi favorable pour des dons effectués hors de France. Et puis il y a aussi un autre point que nous aimerions voir évoluer : la loi prévoit aujourd’hui un plafond de 0,5% du chiffre d’affaires pour que les dons soient défiscalisables. Une somme atteinte très rapidement par une TPE. On plaide pour qu’il y ait un plafond de 10 000 euros applicable à tous. 

Méthodologie
Etude sur le mécénat d’entreprise réalisée par l’Admical et le CSA, tous les deux ans depuis dix ans. L’enquête a été réalisée par téléphone du 18 janvier au 12 février 2016 auprès des personnes en charge du mécénat dans l’entreprise (selon la taille de la société: chef d’entreprise, responsable de la communication, du marketing, du mécénat, responsable financier). 1003 entreprises de plus d’un salarié et représentatives du tissu économique français selon la taille et le secteur d’activité ont été interrogées. 
 
Admical, militant du mécénat
C'est une association reconnue d’utilité publique fondée en 1979, qui a pour mission de donner aux entreprises l’envie et les moyens d’affirmer et de concrétiser leur rôle sociétal grâce au mécénat. Elle comprend près de 200 adhérents, auxquels elle fournit du contenu via le portail du mécénat (admical.org), réalise des études (baromètre du mécénat) et offre des outils (e-répertoire des mécènes,  les repères Admical), services (learning session, accompagnement juridique…) et organise des événements (L’Admical Forum, Les Labs, Les Oscars du mécénat...). Son président exécutif est François Debiesse, ancien dirigeant de la banque privée de BNP Paribas et de sa fondation de 1999 à 2010. Il a créé en 2009 la fondation de l’Orangerie pour la philanthropie individuelle qu’il préside encore aujourd’hui. A la tête de l’Admical, il a succédé à Henri Loyrette en 2015. 

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