Etude
Selon l'étude semestrielle Boléro/Stratégies, le moral des directeurs du digital est plutôt en berne. Les raisons de leur blues: un manque d'autonomie et de moyens. Revue de détails.

Ils ont une rémunération qui fait rêver, des offres d’emploi à foison, un job en perpétuelle évolution… et pourtant les responsables digitaux font plutôt grise mine, selon le Baronet Boléro-Stratégies des responsables digitaux, réalisé deux fois par an. Leur moral, avec une note de 9,4/20 a baissé en un semestre (11,4/20). Comment s’explique ce blues des responsables digitaux? Cela concerne-t-il tous ces managers?
«La plupart des directeurs du digital ont été nommés en 2014 et aujourd’hui nous assistons peut-être à la fin de l’état de grâce, analyse Pierre Cannet, le PDG de Blue Search. Ils sont arrivés pour évangéliser les entreprises et se rendent compte au fur et à mesure que ce n’est pas si simple et qu’ils peuvent être pris dans des jeux politiques.» Autre explication selon François Pinochet, directeur et cofondateur de Boléro: «Nous arrivons à un stade où il y a de plus en plus de reporting sur ces fonctions, la mesure de leur action se rationalise et ce n’est pas toujours réjouissant.»
Pour autant, au global le moral des responsables digitaux n’est pas catastrophique: «Ils ont toujours de l’espoir, de l’envie et confiance en l’avenir, constate François Pinochet, directeur et cofondateur de Boléro. Mais ils s’impatientent, trouvent que la digitalisation de l’entreprise ne va pas assez vite et n’ont pas suffisamment de moyens.» Du coup, leur motivation en pâtit.
L’étude analyse les raisons de cette insatisfaction et il y a trois facteurs clés: d’abord l’implication de la direction générale sur ces sujets qui ne doit pas être juste «de façade». Ensuite le degré d’acculturation digitale de l’entreprise et de la hiérarchie: plus il y a de chemin à parcourir et plus ils ont tendance à se décourager. Enfin l’implication de l’équipe directe est aussi stratégique.

Au forceps

Autres facteurs clés pour que les responsables digitaux soient épanouis: leur présence au comité de direction et leur autonomie. Ce que confirme Cécile Lagé, directrice digital clients innovation de FDJ: «Ce moral assez bas m’a surpris, parce que ce n’est pas ce que je vis. Mais il y a des natures de postes très différentes pour les responsables digitaux ou CDO (chief digital officer).» Elle-même fait partie du comité exécutif, tout comme Anne Browaeys au Club Med et a du coup beaucoup plus de marges de manœuvre: «A la FDJ je pilote le marketing et le digital, le poste de CDO est donc réintégré afin de rendre le digital présent partout, plutôt que de le considérer comme une entité à part», explique la directrice «Digital clients innovation» de la FDJ. La participation au Comex signifie la maîtrise des budgets et des moyens humains souvent élargis. Même si les équipes digitales restent majoritairement limitées: selon l’étude de Boléro, deux tiers des responsables digitaux sont à la tête de services de deux à neuf personnes. Et dans un cas sur cinq, leur équipe compte plus de dix personnes. Certainement dans les groupes.
Autre point de blocage pour les responsables digitaux: le budget et l’informatique. Quand d’un côté, ils dépendent d’une direction marketing et ont peu de marges de manœuvre sur le budget et de l’autre n’ont pas de prise sur les systèmes d’information, au cœur de tous leurs projets, il y a de quoi s’arracher les cheveux.
Par ailleurs la question de la rémunération n’est pas du tout un sujet de mécontentement dans ces fonctions plutôt bien payées: «Les CDO, il s’agit de profils rares, bien souvent recrutés au forceps par des cabinets, du coup leur salaire est élevé», relève Pierre Cannet.
Ce que confirme Cécile Lagé de la FDJ: «Sur toutes les fonctions digitales, nous avons besoin de nouvelles compétences et l’on est nécessairement obligés d’investir dans les salaires, car ces profils sont très demandés.» 
Pour autant, les chief digital officer ou responsables digitaux ont-ils de l’avenir? «Je suis toujours convaincu que chief digital officer, c’est un job qui n'a vocation à exister que pour une durée déterminée, note Pierre Cannet, de Blue Search. Mais pour autant, si c’est la fin de l’état de grâce, le métier a encore quelques années devant lui, car les comités de direction ne sont pas tous “digitalisés”, loin de là.» D’ailleurs les responsables digitaux eux-mêmes sont optimistes sur leur avenir: 72% d’entre eux jugent leur fonction stratégique et estiment qu'elle peut être un tremplin vers d’autres activités. Seulement 15% d’entre eux estiment que leur fonction a vocation à se dissoudre dans l’organisation.

Avis d’expert 

«La motivation est liée à la responsabilité»

François Pinochet, directeur et cofondateur de Boléro

 

Comment analysez-vous ces résultats?

François Pinochet. La note globale du moral des responsables digitaux s’établit à 9,4 contre 11,4, en décembre 2015: nous sommes donc passés en dessous de la moyenne. L’état d’esprit des responsables digitaux n’est donc globalement pas très positif, y compris parmi ceux qui sont les plus impliqués. Mais il y a une corrélation directe entre le niveau hiérarchique dans l’entreprise, la participation ou non au comité de direction, et leur motivation. Plus ils ont de responsabilité et plus ils sont mobilisés. Cela se retrouve également dans la façon dont ces professionnels se considèrent: ceux qui se considèrent comme des «geeks» («On pense à moi pour résoudre des problèmes techniques») ont le moral dans les chaussettes (4,9/20). Tout comme ceux qui se définissent comme des Apôtres («je dois porter la digitalisation de l’entreprise») qui ont le blues: 6,7/20.

Quelle est la méthodologie de ce baromètre?

F.P. Nous avons interrogé durant le mois de mai une centaine de professionnels. Leurs fonctions sont assez hétérogènes: 38% sont responsables du digital, 27% occupent une autre fonction en charge du digital, 16 % sont directeurs marketing, 12% sont des chief digital officer (CDO), et 7% sont directeurs de la communication. La moitié des personnes interrogées a entre 30 et 45 ans et un quart a moins de 30 ans. A noter que moins d’un tiers d’entre eux (31 %) participe au comité de direction de l’entreprise.

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