Médias
De plus en plus de groupes mettent en place de grandes newsrooms communes à plusieurs titres afin d'accélérer leur transformation digitale ou simplement par souci d’économies.

Bienvenue dans la nouvelle newsroom infotainment de Mondadori France. Sur ce grand plateau situé dans les locaux du groupe de presse à Montrouge, près de Paris, sont réunis pas moins de 96 journalistes, qui travaillent indifféremment pour les magazines Télé Star, Télé Poche, Closer et les titres jeux, que ce soit pour le print ou le numérique. Ici, les équipes ne sont plus organisées par marque mais par thématique –célébrités, télé, lifestyle, jeux– sous la houlette de Laurence Pieau, jusque-là directrice de la rédaction de Closer.

Une première étape avait été franchie en 2014 avec la fusion des rédactions télé; depuis septembre, la newsroom intègre également Closer. «Traditionnellement, les grands groupes de presse se sont organisés en silos, avec des rédactions destinées expréssement à chaque titre. Face à la concurrence de pure players qui se sont construits sur des plateformes communes, le rapprochement des rédactions permet de dégager du temps pour accroître la production sur le digital», explique Stéphane Haïtaian, directeur exécutif des pôles infotainment, auto et nature chez Mondadori France.

Même tendance chez Prisma Media, qui a mis en place une newsroom commune à ses trois titres télé (Télé Loisirs, Télé 2 semaines, TV Grandes chaînes) en mai 2015. «Nous avons réorganisé nos équipes afin d'augmenter la production digitale. Avec trois rédactions distinctes, nous éparpillions nos forces», se souvient Rémy Pernelet, directeur de la rédaction. Comme chez Mondadori, les 105 personnes qui composent cette grande rédaction multi-marques et multi-supports sont organisées en sept pôles thématiques (info-mag, séries-fiction, sport-société, cinéma, divertissement, culture-loisirs et web-vidéo). Bilan: un doublement de la production sur le web, à près de 100 contenus par jour.

Autre intérêt d’une telle organisation, la possibilité de mutualiser les contenus entre les magazines papier. «En presse télé, nous pouvons réutiliser les mêmes articles d’un titre à l’autre car les lecteurs qui achètent un magazine ont peu de raison d’en acquérir un deuxième la même semaine», remarque Rémy Pernelet.

Pôles d'expertise thématiques

C’est également dans cette logique que le groupe de presse régionale Ebra a créé à la rentrée 2012 le BIG (Bureau d’informations générales), qui depuis Paris fabrique les pages info géné des huit quotidiens de l’est de la France, de L’Est républicain au Dauphiné, en passant par les Dernières nouvelles d’Alsace et Le Progrès. Rebaptisée Agir (Agence générale d’informations régionales) au printemps 2015, cette entité, qui emploie aujourd’hui 26 personnes, a permis au groupe Ebra de réaliser de sérieuses économies grâce à la fermeture des services informations générales des huit journaux et le redéploiement en local de la centaine de personnes concernées.

«Il est possible d’orchestrer ce type de modèle dès lors qu’il existe une communauté de contenus», estime Stéphane Haïtaian, de Mondadori France. Selon le dirigeant, la tendance dépasse le seul cadre de la presse, en attestent les passerelles de plus en plus fréquentes dans le secteur de l’audiovisuel, par exemple entre Canal+ et C8, ou entre les antennes radio et télé du groupe SFR Media (BFM TV, RMC, RMC découverte). Le groupe Lagardère Active travaille de son côté à un rapprochement entre Europe 1 et Le Journal du dimanche. Même chose au sein de la galaxie Bolloré, où des synergies devraient être mises en œuvre entre le gratuit Direct matin et la chaîne C News (ex-I-Télé).

«Tout ceci résulte de la même réflexion: quand les journalistes ont un savoir-faire fort, il est dommage de les cantonner à un seul support», insiste Stéphane Haïtaian. Lorsque le groupe Prisma Media a rapproché les rédactions de Femme actuelle et Prima, l’objectif affiché était également de permettre aux équipes éditoriales de gagner en expertise. «Contrairement aux magazines télé, la mixité est assez forte entre Femme actuelle et Prima, avec 30% de lecteurs communs. L’objectif ici n’est pas la mutualisation des contenus; il faut au contraire distinguer les contrats de lecture tout en créant des pôles d’expertise thématiques, dans une logique de centres d’intérêt», estime Pascale Socquet, éditrice du pôle femme chez Prisma.

Ateliers participatifs en amont

Quels qu’en soient les objectifs, de tels rapprochements impliquent certains prérequis sur le plan managérial. «Nous avons organisé beaucoup d’ateliers participatifs en amont pour obtenir l’adhésion des équipes au projet», se rappelle Rémy Pernelet. «Face à l’ampleur de la transformation à effectuer, il convient de donner du sens. L’empathie est également une des clés du succès», ajoute Pascale Socquet.

En termes d’organisation, les suppressions de poste et ajustements ne sont pas rares. Prisma Media a par exemple renoncé à avoir des rédacteurs en chef distincts par marque, que ce soit au sein de la newsroom TV ou pour le pôle femme. «Nous revenons à la définition du journalisme, où chacun se définit par son expertise et non par son appartenance à un titre», observe Stéphane Haïtaian, de Mondadori France. «Dans un souci de réactivité, nous avons également recréé quelques fonctions spécifiques au digital», ajoute Rémy Pernelet.

Reste à voir jusqu’à quel point un groupe de presse peut élargir une newsroom. Chez Mondadori comme chez Prisma, les périmètres actuels pourraient ne pas être définitifs. Une chose est sûre: les éditeurs marchent sur une ligne de crête, tant en termes de cohérence éditoriale que sur le plan social.

Avis d’expert

«Tester un fonctionnement en ruche»

Benoît Raphaël, cofondateur du studio de prospective Imprudence


Allons-nous vers la constitution d’une seule grande newsroom par groupe ?

Benoît Raphaël. Le fantasme d’une rédaction en étoile qui serait capable de produire des contenus pour toutes les plateformes appartient à une époque révolue. Nous ne sommes pas face aux mêmes marques, ni aux mêmes publics, et les expériences menées par le passé, à commencer par le groupe Lagardère, n’ont rencontré que peu de succès. Une mauvaise mutualisation conduit à créer de grands portails sans aucune cohérence de marques, comme entre Public et Première il y a quelques années. Une bonne façon de le faire revient à mutualiser pour dégager du temps pour ce qui a de la valeur ajoutée, comme l’information locale pour les titres du groupe Ebra. Dans tous les cas, la mutualisation peut être une stratégie rationnelle mais en aucun cas une stratégie de développement.

 

Comment les acteurs historiques doivent-ils s’adapter face aux pure players ?

B.R. C’est vrai que les nouveaux acteurs du digital ont moins de problématiques structurelles. Il faut s'inspirer de groupes comme Webedia. Les médias doivent devenir des marques et pour développer l’ADN de cette marque, les éditeurs ont besoin de créativité. D’où l’intérêt de mettre en place un fonctionnement en ruche, avec des micro-rédactions qui fonctionnent par plateforme et/ou par thématique. Dans tous les cas, il vaut mieux expérimenter les projets à petite échelle avant de les déployer dans les rédactions.

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