Ressources humaines
Le basculement des audiences et des usages sur le smartphone transforme les fonctions en agence et chez l’annonceur. Enquête.

C’est l'atout qui permet actuellement à une agence digitale de remporter une compétition: «L’expert en UX design purement mobile ou omnicanal est la carte maîtresse qu’il faut avoir dans son jeu, constate Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement Clémentine. Capter cette compétence est décisif car il y a un enjeu business clair. D’autant qu’agences et annonceurs s’arrachent ce profil…» Pour le cabinet Blue Search, les missions liées au mobile représentent 20 à 25 % des recrutements. La guerre est donc déclarée pour trouver et garder ces experts… L’écran de notre smartphone est en passe de devenir le premier écran, celui où tout se passe, du coup ceux qui maîtrisent cet univers sont actuellement les rois du pétrole: experts UX donc, mais pas seulement. «Le trafic est en train de basculer sur le mobile et il s’y produit des phénomènes incroyables comme Pokemon Go il y a quelques mois, rappelle Emmanuel Stanislas. Pourtant, dans cet univers, tout ce qui est parcours client, usages est totalement différent…» Tour d’horizon de ces métiers qui profitent du mobile first.

Du géomarketing au chatbot

Il y a d’abord les métiers créés spécifiquement pour le mobile. On les retrouve dans les agences spécialisées mobile comme Mobext (Havas), Joule (WPP, Group M), Backelite (groupe Capgemini) ou encore Phonevalley, plus spécialisée dans le marketing mobile (Publicis, Digitas LBI)... «Ce sont des entités spécifiques qui ne font que ça», décrypte Nicolas Rieul, lui-même directeur des expertises mobile (head of mobile) chez Dentsu Aegis Network, et président de la Commission mobile de la MMA. Dans l’entité mobile de Dentsu Aegis Network qui est transverse à tout le groupe, on retrouve ainsi seize experts très pointus: «Capables de créer des sites et applications mobiles, spécialistes des beacons, du géomarketing avec la data mobile, du social (snapchat…), de l’activation terrain, de l’appstore optimization (SEO des appstores), du programmatique et trading desk mobile, ou encore des chatbots…», liste Nicolas Rieul. Ces spécialistes n’ont pas vocation à être très nombreux mais ils sont très précieux. «Des structures comme les nôtres doivent être capables de prendre en charge l’intégralité d’une stratégie mobile», détaille-t-il. C’est le cas aussi d’agences indépendantes comme Mozoo, aujourd’hui présente à Paris, Londres, Hong Kong… et qui compte une centaine de salariés. Ou encore de régies orientées mobiles telle qu'Adotmob.

Nouveau terrain de jeu pour les créatifs

Certains annonceurs ont intégré des profils mobiles: «J’ai recruté pour Yves Rocher et Voyages-SNCF.com des directeurs ou chefs de projet mobile, dit Pierre Cannet, fondateur du cabinet Blue Search. Mais très peu de sociétés disposent d’une business unit mobile.» Pourtant, le basculement des audiences vers le mobile est très large et touche tous les acteurs de l’économie. «Il y a des banques en ligne qui sont uniquement mobiles, des médias comme Minute Buzz qui renoncent à leur site web, poursuit Pierre Cannet. Du coup, la compétence mobile fait partie du panel d’expertises multicanales exigées dans de nombreux métiers.»

L’heure est aussi au regroupement, selon Marie Canzano, la directrice du cabinet Digital Jobs : «Les groupes cherchent à faire converger les équipes web et mobile, les métiers ont tendance à se fondre, constate-t-elle. S’ils peuvent rechercher des chefs de projet ou de produits mobiles, l’expérience client doit être la même sur tous les supports.»
Pour les créatifs, le mobile est en un terrain de jeu en plus, qu’il faut maîtriser. «Un directeur artistique, pour faire des campagnes de pub ou des interfaces, doit prendre en compte les règles d’ergonomie, d’UX, de design différentes, passe en revue Renaud Ménérat, président de User Adgents et président de la Mobile Marketing Association France. Par exemple la taille des boutons, car sur mobile on interagit avec le pouce et non pas avec un curseur. Et les créatifs doivent aussi s’interroger sur les interactions vocales qui sont de plus en plus courantes, portées par le mouvement des assistants personnels.»

Expertise digitale challengée

Côté UX aussi, la révolution est donc bien en cours: «Le poids de l’UX design est fort, car comme le mobile agit à la fois sur le online et le offline (paiement mobile, géolocalisation…), il a modifié les parcours consommateur, note Renaud Ménérat. Ce nouveau métier d’UX designer s’est vraiment renforcé avec le mobile.»

Il y a aussi le cas des développeurs spécialisés mobiles: pour un développeur, cela représente une autre technologie. Afin d’être développeur d’applications, il faut connaître soit le langage d’Apple, basé sur Swift, ou soit celui de Google, qui est plus orienté Java. Des langages qui sont différents de ceux du web.
Enfin, il y a des problématiques spécifiques au mobile qui n'existent pas sur le desktop. «Par exemple, le mobile a généré l’expertise “responsive” et les experts du web ont dû se mettre à niveau sur tout ce qui concerne le responsive design, conclut Renaud Ménérat. En d’autres termes, le mobile challenge l’expertise digitale.» D’ailleurs, les écoles intègrent ces sujets dans leurs cursus, comme le souligne Pierre-Édouard Schmitt, ex-directeur de l'IESA multimédia, aujourd’hui consultant: «Si l’UX et le responsive sont des compétences enseignées dans l’ensemble des formations de l'IESA multimédia, elles sont aussi accessibles dans des modules de spécialisations complémentaires.» Dans cet établissement, il y a aussi des formations «orientées mobile» qui apportent un éclairage particulier sur les technologies de développement et les connaissances spécifiques à acquérir pour ne travailler que sur ces plateformes…

Avis d'expert

«Le mobile, cet univers sans cookie»

Nicolas Rieul, directeur des expertises mobile (head of mobile) chez Dentsu Aegis Network et président de la commission mobile de la MMA

Quelles sont les compétences purement mobile? 

NICOLAS RIEUL. Le mobile va devenir la norme. Or c’est un univers sans cookie, il faut maîtriser la data mobile. Pour cela, la clé c’est le «device ID» (identifiant du téléphone). Tout ce que l’on peut faire avec la data géolocalisée: cela peut permettre de mesurer réellement l'impact d’une campagne en comptant le nombre de visites en magasin. Et puis il y a des pratiques qui n’existent que sur le mobile, comme la promotion des applications sur les stores Google Play et App Store. Le tracking lié au téléchargement d’une application est aussi une spécificité à connaitre.

Comment cette connaissance du mobile peut-elle se diffuser dans l’entreprise? 

N.R. Pour acquérir les compétences web, les entreprises ont embauché des chief digital officer, aujourd’hui elles ont besoin d’intégrer des spécialistes du mobile pour irriguer cette innovation. Le mobile doit être partout. Il faut que dans les écoles, les bases en matière digitale et mobile soient apprises par tous. Idem pour les créatifs, car cela génère des formats différents. Il faut raisonner vertical, et aussi prendre en compte les nouvelles fonctionnalités comme le gyroscope du téléphone, qui peut permettre de faire évoluer la publicité en fonction du mouvement du poignet, ou encore la possibilité d’utiliser la caméra du téléphone…

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