Ressources humaines
Boîtes à idées nouvelle génération, design thinking, jeux de rôles de plus en plus d’entreprises cherchent à impliquer leurs salariés dans les grandes décisions. Ce qui est parfois vécu comme une remise en cause du leadership peut se révéler être une force.

Vous voulez connaître le résultat de la prochaine élection présidentielle? Oubliez les sondages, tournez-vous vers les sites de paris en ligne. Si, en France, le phénomène est marginal, à l’étranger, les parieurs sont déjà considérés comme une vraie source d’information pour prévoir les grands événements. Anecdotique? C’est pourtant là l’une des illustrations les plus marquantes de l’intelligence collective, ce processus qui veut qu’ensemble, nous sommes plus intelligents et qui trouve aujourd’hui un nouvel écho dans les entreprises.

Certes, à l’heure où nous parlons de plus en plus de management agile, d’entreprise libérée et de hiérarchie plate, le chef omniscient est encore trop souvent la norme. Mais les choses sont en train de changer. Dans un monde de plus en plus complexe et incertain, même le leader le plus visionnaire ne suffit pas au succès de l’entreprise. La position du chef est totalement revue dans un processus d’intelligence collective et nombreuses sont les entreprises qui ont compris l'intérêt de faire participer l'ensemble de leurs salariés aux décisions et évolutions. Et de les inclure totalement dans les processus d'innovation.

C'est le cas par exemple chez Michelin, où, pour résister à la concurrence des pays de l'Est, les ouvriers français ont été mis à contribution pour imaginer des produits à forte valeur ajoutée que les sites bretons pourraient produire demain. C'est aussi le cas à La Poste, où les facteurs sont totalement impliqués dans la transformation de l'entreprise, rendue nécessaire par la diminution constante du volume de courrier distribué.

Transparence et management agile

Pour faire émerger les idées, de nombreuses techniques existent: jeux de rôles, ateliers de créativité ou encore actions de bénévolat autour d'un projet collectif. Très utilisées ces dernières années, les boîtes à idées nouvelle génération permettent de faire remonter les bonnes idées des salariés. «Les vraies innovations, d'ordre stratégique, représentent 3 à 4% des idées collectées. Mais ces opérations font aussi remonter 10% d'idées de type “quick wins” [victoires rapides], qui sont faciles à mettre en œuvre et peuvent rapporter gros», détaille Maxime Vignon, cofondateur et directeur général de Nexenture, l'un des spécialistes de cette technique d'innovation participative.

Chez Michelin, une telle opération a permis en 2015 de faire émerger quelque 31 000 idées de collaborateurs, aboutissant à 15 millions d’euros d'économies. En agences, Group M a décidé quant à lui d’utiliser le «design thinking», une méthode de management de l’innovation centrée sur l’humain et ses besoins, qui génère des solutions différenciantes pour les collaborateurs et les clients.

Tout cela ne se décrète pas. Pour favoriser l’émergence d’une intelligence collective, il faut d’abord de la transparence. «Faire appel à l’intelligence, c’est commencer par respecter l’intelligence de l’autre, explique Etienne Forcioli-Conti, président du cabinet de conseil Plein Sens. Le préambule est donc de donner toutes les informations, puis d’expliquer qu’on va tout faire pour gagner ensemble.» Autre condition sine qua non, que les collaborateurs acceptent le management agile et qu’ils aient envie d’avoir plus d’autonomie. Enfin, il faut accepter un droit à l’erreur, relâcher le contrôle et faire confiance à ses collaborateurs.

L'apprentissage du travailler ensemble

Cela peut faire peur à certains: comment conserver son leadership si on n’est plus celui qui sait? «Quitter un mode de fonctionnement pyramidal n'est pas évident. Plusieurs niveaux hiérarchiques peuvent coexister, mais pendant le temps du processus de production, la hiérarchie est gommée», insiste Thomas-Emmanuel Gérard, fondateur de la société Mindful Intelligence et coauteur de L’Intelligence collective, co-créons en conscience le monde de demain (éditions Yves Michel).

Le pouvoir du manager n’est pas réduit pour autant: plus une équipe est autonome, plus elle réussit, plus le chef d’équipe gagne en visibilité et en autorité. «Le leader collectif, c’est quelqu’un qui sait co-construire, consulter, écouter et cela ne lui enlève en rien son leadership. Il est même le plus souvent meilleur leader, car il construit préalablement des bases solides sur lesquels il peut ensuite s’appuyer pour accélérer», indique Paule Boffa-Comby, fondatrice et présidente du réseau Rethink & Lead, dans son ouvrage récemment paru Le Leader collectif, un nouvel art du pouvoir (éditions Dunod).

L’enjeu est de taille: plus qu’une question de technologie, la transformation numérique est avant tout une question d’apprentissage du savoir travailler ensemble. Le leader d’aujourd’hui n’est plus celui qui possède toutes les réponses, mais celui qui pose les bonnes questions.

En Allemagne aussi

Outre-Rhin, le groupe de médias Gruner + Jahr [actionnaire de Prisma Media] met l'intelligence collective au service de ses innovations via le lab Greenhouse. Depuis 2015, des équipes pluridisciplinaires et de niveaux hiérarchiques différents travaillent ensemble autour d'idées proposées par les collaborateurs. En utilisant notamment les techniques du « design thinking » et du « lean start-up », 5 projets ont déjà été lancés avec succès, dont Club of cooks, un réseau de food-tubers devenu la première marque cuisine sur les réseaux sociaux.

 

A propos de Rolf Heinz

Depuis 2009, Rolf Heinz est président-directeur général de Prisma Media (Geo, Femme actuelle, Télé loisirs, Capital…), filiale du groupe de presse allemand Gruner+Jahr (G+J). Il est également président Europe des activités internationales de G+J. Né en Allemagne en 1966, il a notamment travaillé en Italie comme directeur général du joint-venture Gruner+Jahr-Mondadori entre 2005 et 2009.

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