Ressources humaines
Crise oblige, les journaux renégocient à la baisse les jours de RTT négociés au début des années 2000. Les agences de communication, elles, cherchent à éviter les heures supplémentaires.

Face à la dégradation de sa situation économique, la presse cherche de nouvelles ressources et sonne du même coup le glas des 35 heures. La remise en cause semble générale. Après la longue litanie des plans de «départs volontaires», de nombreux titres, soucieux de réduire encore leurs coûts, dénoncent les accords signés dans le sillage des lois Aubry I et II qui instituaient les fameux accords sur la réduction du temps de travail (RTT).

Le Monde devrait ainsi amorcer très prochainement une renégociation. Les nouveaux actionnaires (Bergé-Niel-Pigasse) veulent aboutir à un plan d'économies de 15 millions d'euros sur l'année 2011. Pour y parvenir, l'augmentation du nombre de jours travaillés serait une carte maîtresse pour pallier la centaine de départs attendus au 30 juin dans le cadre de la clause de cession. Et atteindre ainsi l'équilibre économique alors que dix recrutements sont annoncés en cas de vote favorable à Eric Izraelewikz, le nouveau directeur de la publication.

Réduire les coûts, augmenter la polyvalence

Au Figaro, le cap est déjà franchi. Francis Morel, aujourd'hui remplacé par Marc Feuillée à la direction générale, a renégocié en 2010 les statuts des trois entités du groupe (quotidien, magazine, Web) pour réaliser de substantielles économies. Objectif affiché : le rapprochement des rédactions. Lors des soirées électorales, les rédactions du quotidien et du site Web travaillaient déjà ensemble. La multiplication des collaborations croisées préfigurait la fusion des statuts.

L'accord signé début décembre prévoit finalement le maintien de dix-sept jours de RTT. Les cinq jours perdus pour le quotidien donneront lieu, au choix, soit à une compensation monétaire décomposée en salaire (300 euros) et en droits d'auteur (200 euros), soit à deux jours de congés individuels d'harmonisation et 200 euros de droits d'auteur. L'accord couvre 500 journalistes et 300 autres salariés des trois sociétés. «Désormais, tous les salariés sont couverts par le statut de la presse quotidienne nationale, ce qui améliore les conditions des journalistes du Web», se félicite Patrick Bèle, représentant du Syndicat national des journalistes (SNJ) à la rédaction du Figaro.

La Nouvelle République du Centre Ouest (NRCO) vit une situation encore plus difficile. Après un plan social qui a vu partir 117 personnes, la direction a proposé en mai dernier de réduire les jours de RTT de 18 à... 1. La réaction des salariés ne s'est pas fait pas attendre et une grève a paralysé la sortie du quotidien, faisant avorter du même coup la négociation. Hugues Le Guellec, délégué du SNJ-CGT, participe à de nouvelles discussions mais il doute de la bonne volonté de la direction : «La NRCO a réalisé un excédent brut d'exploitation de 6 millions d'euros en 2010, qui serait cependant encore insuffisant selon la direction du fait de l'endettement...»

A ses yeux, la direction souhaite surtout, à l'instar d'autres titres, disposer de plus de flexibilité pour réduire le recours aux CDD et absorber l'augmentation de l'activité due au développement du site Internet. Les 160 journalistes de la NCRO devraient d'ailleurs être formés à la vidéo et à la photo en 2011.  «Les salariés ont du mal à accepter les sacrifices consentis depuis plusieurs années sans perspectives de redressement autres que la réduction des charges», déplore Hugues Le Guellec.

Tous les titres de presse qui renégocient les accords sur les 35 heures ne se trouvent pas forcément dans une situation financière délicate, rappelle cependant Françoise Laigle, du SNJ : «Le Groupe Express Roularta a par exemple retrouvé un résultat positif fin 2010. Remettre en cause les accords de réduction du temps de travail est un moyen d'augmenter la rentabilité et de se préparer à la multiplication des supports numériques. Les dirigeants des journaux veulent désormais des journalistes polyvalents et disponibles pour intervenir à tout moment sur n'importe quel support.»

 

(Sous papier)


La pub préfère le statu quo

 

Le monde de la publicité vit une situation radicalement différente. A l'instar de Publicis, qui a signé ses accords de réduction du temps de travail en 2002, les grandes agences préfèrent le statu quo. «Dans notre secteur, c'est la qualité du service rendu au client qui prime avant le nombre d'heures de travail, même si l'un va rarement sans l'autre», explique Benoît Roger-Vasselin, le DRH de Publicis Groupe. En 1993, après la guerre du Golfe, la profession a perdu près de 30% de ses effectifs mais Publicis, après accord des salariés par référendum, a préféré procéder à des réductions limitées de salaires pour éviter tout licenciement économique. Nous n'avons actuellement aucun projet de revenir sur les 35 h, mais Maurice Lévy a toujours indiqué aux représentants du personnel que, si cela devenait un jour nécessaire, Publicis se réserverait la possibilité de le faire.»

Une position de prudence, estime Jean Benessiano, président du Syndicat national des cadres et techniciens de la publicité et de la promotion (SNCTPP-CGC) : «Dénoncer les accords amènerait les salariés à revenir sur le gel des salaires obtenu par les entreprises en contrepartie de la mise en place des 35 heures. Cela impliquerait aussi la révision des forfaits pour les cadres, qui ont par ailleurs été jugés illégaux par la Cour européenne de justice ?suite à une action de la CGC. Tout cela pourrait avoir un coût élevé.»

Les petites agences, elles, seraient plus promptes à dénoncer ces accords. Là encore, une question de ressources. «Les petites structures ont besoin de plus de souplesse et visent l'annualisation pour mieux absorber les périodes de pointe», explique Jean Benessiano.Paradoxalement, il existe aussi des agences qui souhaitent aboutir à des accords de réduction du temps de travail, assure Laurent Quintreau, délégué syndical (CFDT) chez Publicis : «La crise de 2008 a débouché sur de nombreuses fusions et acquisitions. Les structures qui sont entrées dans le giron de grands groupes veulent conclure des accords pour se conformer à leur environnement. D'autres, mais c'est moins fréquent, ont augmenté leurs effectifs et franchi le seuil qui les oblige à négocier des accords avec les syndicats.» 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.