La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique est très critiquée depuis quelques mois, y compris en interne. Qu’est ce qui ne tourne pas rond dans le disque Sacem ?

Si la Sacem était un disque, ce serait un opus d'Amália Rodrigues, la reine du fado. En effet, depuis quelques mois, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique a le spleen. Les critiques pleuvent sur le très chic siège social, sis en bord de Seine, à Neuilly (Hauts-de-Seine). Ses dirigeants sont accusés d'être trop bien payés par la Cour des comptes: 257 000 euros annuels en moyenne en 2008 pour les 10 principaux managers et 600 000 euros pour son président du directoire, Bernard Miyet.

L'intersyndicale appelle à la grève le 22 mars pour les salaires et «l'arrêt des suppressions de poste». Certains diffuseurs de musique, comme les salons de coiffure, ont déjà organisé une «grève du son» début décembre, afin de protester contre des hausses tarifaires. Et pour couronner le tout, un coup de sang du ministre de la Culture et de la Communication Frédéric Mitterrand, le 22 décembre à l'Assemblée nationale, qui a fustigé dans la Sacem «son opacité de fonctionnement et ses tarifs vis à vis de tous ceux payant les droits». Et a exigé «une mission d'inspection sur la société d'auteurs».

Qu'est ce qui ne tourne pas rond dans cette entreprise de 1400 salariés? En toile de fond, il y a l'explosion du Web et du numérique, qui oblige la Sacem à repenser son modèle économique. Un virage difficile à négocier qui explique qu'en interne, l'ambiance n'est pas à la fête.

L'entreprise est d'abord une société de droit privé. «Certains pensent encore qu'on est comme la sécu», peste Bernard Miyet. Sa mission est de défendre les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. À ne surtout pas confondre avec les interprètes. «Chez nous, Johnny Hallyday est un petit sociétaire», précise Michel Allain, membre du directoire chargé des systèmes et technologies.

Car la Sacem exerce depuis 160 ans la même mission. «À l'origine, des inspecteurs fréquentaient tous les cafés-concerts depuis la place de l'Opéra jusqu'à celle de la République. Ils notaient les morceaux joués et faisaient un rapport, ce qui permettait ensuite de venir réclamer le versement des droits», relate Maurice Pham, chef des services musicaux, qui cumule 42 années dans l'entreprise. Depuis le XIXe siècle, la base du métier n'a pas changé. D'ailleurs, si vous croisez sur les strapontins d'un cinéma un spectateur avec un chronomètre dans la main droite et un bloc-notes dans la main gauche, il s'agira probablement d'un «inspecteur musical» en train d'identifier les chansons utilisées dans un film. Idem dans les salles de concert, de théâtre, etc.

Travail de Titan

S'ils ne représentent qu'une partie de l'activité de la Sacem, les spectacles ou les concerts génèrent tout de même 33% de ses revenus, juste derrière les médias (35%). En tout, le mastodonte a perçu plus de 800 millions d'euros de droits d'auteur en 2010. Mais la société est confrontée à une mutation profonde des modes de consommation de la musique. Alors que le Web est devenu incontournable dans la diffusion, il ne représente que 1,5% des revenus. Et ne compense pas du tout la baisse de droits d'auteur liée à la chute des ventes de CD et DVD – ces derniers auront fondu de 90% sur la période 2000-2013, de l'aveu même de Bernard Miyet.

«Avec le Web, on entre dans un travail titanesque en volume, souligne Michel Allain. En 2010, sur 9 mois d'exploitation avec un grand acteur de la diffusion de musique en ligne, il a fallu traiter 2 milliards de lignes d'informations. Pour, au final, aboutir à des micropaiements, la majorité des œuvres n'étant téléchargées qu'une ou deux fois.» Ainsi, quand un titre est vendu 99 centimes sur Itunes, la Sacem perçoit 7 centimes, qu'elle devra en plus partager entre plusieurs bénéficiaires: 2 centimes pour chacun s'il y a un auteur, un compositeur et un éditeur.

Afin que la perception reste rentable, la seule solution pour l'instant consiste à automatiser les échanges d'informations. «Quand Spotify et Deezer afficheront des recettes publicitaires correspondant à leur part de marché, on aura bien progressé», juge Jean-Luc Vialla, directeur délégué chargé de la gestion. Mais sur Internet, il n'y a pas que les sites d'écoute musicale en streaming. «Nous devons également identifier les œuvres utilisées par des clients sur Google, Dailymotion, etc. Ces sites aussi nous transmettent des rapports de diffusion réguliers», détaille Michel Allain.

De son côté, Bernard Miyet aimerait bien que la Sacem ne soit plus considérée comme une administration poussiéreuse mais comme une société high-tech, une multinationale du droit d'auteur: «La signature de l'accord avec Itunes s'est faite directement avec les responsables d'Apple à Cupertino, pointe le président du directoire. Dans ces négociations, plusieurs des millions d'euros sont en jeu. Et puis, grâce à nos outils informatiques, nous sommes en avance par rapport aux 27 autres sociétés de droits d'auteur en Europe. Or, une bataille est en cours pour la gestion des répertoires internationaux et il n'y aura que deux ou trois gagnants in fine.»

Blues en interne

Pour lui, l'ambition internationale de la Sacem est freinée par des affaires franco-françaises, parfois liées à une méconnaissance des subtilités de la gestion des droits. Exemple avec la révolte des coiffeurs: «On nous a reproché d'avoir augmenté unilatéralement les tarifs. Or, nous ne pouvons pas le faire! La décision avait été prise par une commission administrative à laquelle la Sacem ne participe pas. Et en plus, il ne s'agissait pas de droits d'auteur mais de droits voisins.» Le hic, c'est qu'il existe une vingtaine de sociétés de gestion des droits en France, et que celles-ci délèguent souvent la collecte des sommes à la Sacem… Qui devient donc un bouc émissaire facile. Dont acte.

Reste les critiques de Frédéric Mitterrand. «Il y a un problème d'information du côté du ministre», lâche laconiquement Bernard Miyet. Sur la question de l'opacité, le patron rétorque que la Sacem «est très contrôlée et que ses frais de gestion sont contenus: en moyenne entre 15 et 16% des sommes perçues.» En revanche, il se veut volontiers provocateur quand on le titille sur son salaire: «Il est 22 fois supérieur au plus bas salaire de la Sacem. En cela, je suis “mélenchoniste”», sourit-il, faisant allusion à la volonté de Jean-Luc Mélenchon de plafonner à 20 fois l'écart des salaires dans chaque entreprise.

Problème, son discours agace de plus en plus en interne, dans un contexte où l'entreprise doit plutôt se serrer la ceinture. «Le mandat de Bernard Miyet court jusqu'à fin 2012 et ne sera pas renouvelé, prédit Christophe Lepri, délégué syndical CFDT. Il est même possible qu'il soit écourté, car ses rapports avec le conseil d'administration sont assez difficiles. Quant aux salariés, ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment considérés par le top management.» Saudade, saudade…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.