branding
Après la vidéo intimiste d’Arnaud Lagardère, les patrons peuvent être tentés de se montrer discrets devant les caméras. Il existe pourtant pour eux un bon usage du «personal branding».

«Ridicule.» Dans une interview aux Échos, le 6 septembre, Arnaud Lagardère y a bien été de son autocritique pour tenter d'atténuer l'effet dévastateur de sa vidéo avec le mannequin Jade Foret. «Mais le mal est fait, lâche un cadre du groupe. En juillet, les gens étaient partagés en interne entre le fou rire et la consternation. Le mot pathétique revenait le plus souvent.» Un sentiment d'autant plus amer que le patron semblait donner corps, par l'image, à tous les griefs de ses détracteurs: dilettante, désinvolte, people...


Le 1er septembre, au moment où son entreprise annonçait de mauvais résultats semestriels en pleine secousse boursière, Arnaud Lagardère a pourtant ouvert des contre-feux en annonçant porter plainte en diffamation contre La Tribune qui avait titré «Arnaud dirige-t-il encore Lagardère?». Une façon de se prémunir contre de nouveaux éreintements médiatiques? L'interview des Échos était, de son côté, destinée à réaffirmer ses revendications sur la présidence d'EADS en 2012... et à faire valoir son droit à la différence avec les autres patrons: «Je suis peut-être un peu atypique, et alors ?»


Nul ne peut plus croire, en tout cas, qu'Arnaud Lagardère maîtrise bien sa communication personnelle. Sa participation très show-biz au Grand journal de Canal+, où il avait tenu à démentir une rumeur d'homosexualité avec Richard Gasquet, avait aussi fait jaser. Jusqu'où un patron peut-il aller dans la mise en scène intimiste de lui-même? «S'exposer, c'est risqué, rappelle Nicolas Bordas, président de TBWA France. Arnaud Lagardère s'est fait piéger: il avait conscience des photos, pas de la vidéo. Le résultat est à l'inverse de l'effet attendu. Mais cela ne change rien au fait que la logique française du "pour vivre heureux, vivons caché" n'a plus cours aujourd'hui. Il importe d'avoir une stratégie de communication personnelle adaptée à la situation et à la personne.»


En somme, l'essentiel pour un patron serait de ne pas se tromper de registre. Rien de pire que de jouer au communicant technophile en ouvrant un compte Twitter si c'est pour le laisser inactif. Ou de s'improviser patron charismatique si on a une sainte horreur des estrades. Souvent jugé bon en public, car il s'y montre très à l'aise, Arnaud Lagardère a le don de se laisser emporter par l'image. «Mais l'idée qu'il est dangereux de s'exposer ne doit pas primer, complète Nicolas Bordas. La plupart des patrons sont conscients qu'à l'époque de Wikileaks, rien n'est plus vraiment caché. Et les gens sont fiers d'appartenir à une entreprise incarnée par un leader. Cela leur donne un meilleur moral.»


De Jack Welch (General Electric) à Steve Jobs (Apple), en passant par Richard Branson (Virgin) nombreux sont les «big boss» anglo-saxons ayant étroitement associé la renommée de leur entreprise à leur trajectoire médiatique. Quitte à s'accaparer tous les talents ? «Apple ne doit-il pas démythifier sa communication, humaniser plus largement sa société en permettant à ses propres employés de s'approprier l'ère du buzz et de la conversation ?», s'interroge Louis Treussard, directeur général de l'Atelier BNP Paribas après le départ de l'icône Steve Jobs (voir p.8). En France, depuis Jean-Marie Messier, dont la chaussette trouée avait fait les délices de Paris Match, en 2002, les patrons «show off» sont passés de mode. Une étude V Com V de mars dernier montre qu'on leur préfère les hommes ternes «qui délivrent et qui rassurent».


Il existe pourtant un bon usage du «personal branding» des patrons: il consiste à instiller subtilement une part de communication personnelle dans la promotion de sa boutique. Michel -Édouard Leclerc, s'est rendu maître du genre avec son blog, ses prises de position au micro ou ses interventions dans la presse. «L'impact sur le personnel n'est pas l'objectif prioritaire, souligne Vincent Leclabart, président d'Australie. Il s'agit davantage de peser sur la présence et le rôle du groupe dans la société française alors que la grande distribution est la bête noire des politiques.» La ligne de conduite est néanmoins très claire: jamais de mise en avant gratuite. Il s'agit d'apparaître comme le leader naturel aux yeux des quatre cent cinquante adhérents d'É.Leclerc qui en sont les propriétaires. «La légitimité de Michel-Édouard Leclerc se nourrit de cette façon d'incarner les magasins É.Leclerc», reconnaît Vincent Leclabart.


François Fatoux, directeur général de l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises et coauteur de Patrons papas (Cherche Midi, 2010), souligne à la fois l'importance de l'exemplarité des patrons et la nécessité de donner un peu d'eux-mêmes. «Il y a la volonté d'apporter une dimension humaine à la gouvernance sans être dans l'excès, explique-t-il. Les patrons savent qu'apparaître dans la certitude absolue ne marche plus et qu'il leur faut être en phase avec les préoccupations de leurs salariés.»


Risquent-ils alors d'en faire trop? Le président d'Accenture France, Christian Nibourel, confie qu'il a suscité moult réactions chez ses collaborateurs en raison d'un film d'entreprise de 2008 où on le voyait chez lui en train de passer l'aspirateur. «Je passe l'aspirateur si nécessaire, et je vais aussi faire mes courses dans des hypermarchés. Il m'arrive même de pleurer. Pourquoi un homme président d'une entreprise ne pourrait pas pleurer?» (1). Un discours presque banal dans une entreprise d'origine américaine.

 

Stéphane Richard, le patron de France Télécom, a choisi lui de faire plus «soft» en ouvrant son blog à ses salariés en novembre 2009, en pleine vague de suicides. Dans une vidéo tournée après sa prise de pouvoir, son épanchement reste très contrôlé: «J'ai entendu votre désarroi, parfois même votre souffrance et votre colère.» Gaullien.

 

ENC

M6 adapte Undercover Boss

M6 lancera cet automne Patron incognito, une adaptation du format Undercover Boss (Endemol) déjà diffusé en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis: on y verra un PDG français prendre la place d'un de ses employés en tout anonymat... avant la révélation finale. «Nous n'avons pas eu de difficultés à trouver des patrons, contrairement à ce qu'on pensait au départ», assure Bibiane Godfroid, directrice générale des programmes de M6.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.