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Installé à Pékin depuis l’été 2011, Dan Serfaty, le PDG du réseau social professionnel français aux 40 millions de membres, détaille sa stratégie de conquête. Et songe à son introduction en Bourse.

Vous êtes installé depuis cet été à Pékin. La Chine s'imposait-elle pour un réseau professionnel comme le vôtre?
Dan Serfaty. Depuis le début 2011, le marché chinois a littéralement explosé pour Viadeo. Après le rachat de Tianji en 2008 et jusqu'en 2010, nous étions sur un rythme de conquête de 30 à 50 000 nouveaux membres par mois. Puis en 2010, nous sommes passés à 100 000. Mais ce n'est que l'an dernier que la tendance s'est considérablement accélérée, avec 500 000 inscrits de plus par mois. Je me suis dit que je devais être sur place et j'ai quitté San Francisco. Nous conservons des bureaux dans la Silicon Valley, où est resté l'autre cofondateur de Viadeo. Nous avons besoin d'être présents là-bas pour nous donner de la visibilité, trouver certaines compétences (data mining, data science) et nous imprégner de cette culture Web unique, par exemple en matière de levée de fonds.

 

Les attentes des Chinois par rapport aux réseaux sociaux professionnels sont-elles spécifiques?
D.S. En tous cas, la philosophie n'est pas la même. En France, en Europe, aux Etats-Unis, agrandir son réseau va de soi, d'ailleurs cela tourne même parfois à une «course aux contacts». En revanche, pour les Chinois, il n'est pas question d'entrer en relation professionnelle avec une personne que l'on ne connaît pas. Résultat, nos membres chinois ont 100 fois moins de contacts dans leur réseau que les Européens. Au début, on pensait qu'il y avait un problème. Puis, on a compris qu'il s'agissait d'un blocage culturel et, du coup, nous avons développé des services permettant de faire connaissance: création d'une fonctionnalité de «super-poke» [tape virtuelle sur l'épaule en français, un peu comme cela existe sur Facebook], meilleure animation des forums, création d'événements physiques...

 

En quoi votre approche se différencie-t-elle de votre principal concurrent Linked In?
D.S. Nous avons une meilleure compréhension des spécificités culturelles propres à chaque pays, avec un développement multilocal, comme l'illustre notre rachat de Tianji. Les géants américains ne sont pas très forts pour cela. Nous venons d'ailleurs de lancer le 27 février Viadeo.ru, la version russe de Viadeo, une joint-venture avec un groupe russe, Sanoma Independent Media (éditeur d'une cinquantaine de publications en Russie dont Cosmo, Moscow Times, etc.). En Russie comme en Chine, la culture locale de l'Internet est très forte. D'ailleurs, dans ces deux pays, le premier moteur de recherche n'est pas américain: il s'agit de Yandex en Russie et de Baidu en Chine. Avec 51 millions d'utilisateurs, la Russie est un pays très prometteur. Il constitue le premier marché Internet européen. En revanche, notre faiblesse vient de notre manque de moyens financiers: on doit se battre avec cinq à dix fois moins d'argent que les sociétés outre-Atlantique. Un problème partagé par beaucoup d'entreprises high-tech françaises...

 

Où en est votre modèle économique aujourd'hui ?

D.S. En Europe, notre chiffre d'affaires se répartit entre la publicité (20%), les abonnements à la plate-forme (40%) et le recrutement (40%). Un équilibre qui nous convient bien, et nous n'avons pas vocation à développer la part de l'activité recrutement contrairement à notre principal concurrent [50% du chiffre d'affaires de Linked In aujourd'hui]. Même si, sur la recherche de profils, nous continuons à nous développer et à prendre des parts de marché considérables aux sites d'emplois.

 

 

Dans les pays émergents, les sources de revenus sont-elles identiques?

D.S. Oui, mais dans les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) et en Afrique, où nous venons seulement de lancer les services payants, la répartition des revenus sera probablement différente. Nous serons plutôt dans une logique de B to B: vente de solutions de recrutement et d'espaces publicitaires. Les Chinois, par exemple, ne sont pas prêts à payer un abonnement mensuel de trois euros. Nous pourrions nous inspirer du modèle du portail Internet Tencent (moteur de recherche, Soso.com, place de marché Paipai.com... au global,  plus de 2 milliards de dollars de chiffre d'affaires...) qui parvient à vendre à l'acte aux internautes chinois.

 

Comment la vente d'espaces publicitaires en Chine marche-t-elle?

D.S. Dans notre filiale de Pékin, nous sommes passés de 40 salariés cet été, à plus de 100 aujourd'hui. La commercialisation commence vraiment maintenant. Quelques spécificités locales existent. Certes un vendeur coûte 1500 euros par mois, variable inclus (pour un salaire fixe de 800 euros), contre 4 000 euros en France, variable inclus (60 000 euros par an), pour un bon commercial. Nos forces de vente coûtent a priori trois à quatre fois moins cher que dans l'Hexagone. Mais elles ne nous rapportent pas du tout le même chiffre d'affaires: en France, il varie entre 25 000 et 40 000 euros par mois, alors qu'en Chine, c'est plutôt entre 6 000 et 10 000 euros par mois. Résultat, il faut recruter quatre fois plus de commerciaux pour parvenir au même chiffre...

 

Quels sont les objectifs de Viadeo en Chine et dans le monde?
D.S. Aujourd'hui, nous comptons 9 millions de membres Viadeo-Tianji contre 4 à 5 millions pour le deuxième acteur qui lui est chinois, et environ 1 million pour Linked In. En Chine, on dénombre 600 millions d'internautes. Notre objectif est de rester l'acteur majeur. C'est pour cela que nous espérons conquérir 1 million de nouveaux membres par mois, à partir de la fin 2012. Au niveau mondial, après la phase de développement, il faudra peut-être penser à l'introduction en bourse en 2013-2014.

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