Ressources humaines
Les statistiques de la Commission nationale de l'informatique et des libertés sont formelles : les salariés sont de plus en plus contrôlés.

Caméras, géolocalisation, cybersurveillance... Les salariés sont observés sous toutes les coutures. Un phénomène exponentiel selon les chiffres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). «Nous avons reçu près de 6 000 déclarations préalable d'entreprises à l'installation de systèmes de vidéo en 2011 contre 4 300 en 2010, constate avec inquiétude, Yann Padova, secrétaire général de la Cnil. Nous avons émis un avis récemment à propos d'une petite PME toulousaine, qui ne comptait que huit salariés et avait posé huit caméras.» Du côté des dispositifs de géolocalisation, la Cnil a recensé 7 900 déclarations préalables en 2011 contre 3 300 l'année précédente. Indéniablement, les entreprises sont en train de s'équiper massivement d'outils de contrôle.
Un mouvement que corrobore une autre statistique de la commission : le nombre de plaintes de salariés. «Ils sont de plus en plus nombreux à nous écrire pour dénoncer le fait que leurs conversations téléphoniques sont enregistrées, ou que des caméras les filment, continue Yann Padova. Ainsi les plaintes relatives à la vidéosurveillance sont en hausse de 13 %, celles concernant la cybersurveillance, de 50 %.» Enfin, les récriminations relatives à la surveillance sur les réseaux sociaux explosent aussi : la Cnil en a traité une centaine en 2011 contre zéro il y a trois ans.
En pleine affaire Ikea, ces chiffres donnent froid dans le dos. Il est reproché, dans ce scandale révélé par Le Canard enchaîné fin février, à l'enseigne suédoise d'avoir espionné ses salariés, allant jusqu'à faire appel à une officine privée pour obtenir des informations sur leur vie privée, peut-être issue du fichier de police (le Stic). Une ex-chef de rayon d'un magasin de Seine-Maritime a par ailleurs expliqué qu'elle avait pour consigne de noter tous les faits et gestes de ses collaborateurs. Du coup, c'est au tour de l'enseigne mobilière d'être sous surveillance. La direction vient de diligenter une enquête interne, confiée au cabinet d'avocats new-yorkais Skadden Arps. Par ailleurs la Cnil a envoyé des enquêteurs dans ses magasins pendant deux jours les 1er et 2 mars derniers. Et la police judiciaire de Versailles est aussi à l'œuvre...

 

Si les finalités d'Ikea semblent légitimes – s'assurer que les salariés respectent le lien de subordination dû à tout employeur soucieux de sa productivité –, les méthodes de surveillance ont de quoi choquer. Et deviennent illégales dès lors qu'elles empiètent sur la vie privée des employés. Or la frontière est de plus en plus ténue. Et la masse de données à disposition des employeurs, de plus en plus gigantesque: «Jamais aucune entreprise privée n'a eu autant d'informations sur un individu que Facebook, juge Yann Padova. Les réseaux sociaux par leur construction ne peuvent pas être fermés, pourtant ils sont un instrument de surveillance qu'utilisent déjà les services secrets.» Si dans le domaine de la vidéosurveillance et de la géolocalisation la justice a fixé des jalons aux DRH, en matière de cybersurveillance et de réseaux sociaux la jurisprudence n'est pas encore stabilisée. Un flou dangereux pour tout le monde. Récemment, un délégué syndical d'une agence de publicité a reçu un avertissement et a été menacé de licenciement. Sa faute ? Il avait repris sur sa page Facebook, un calendrier où les managers s'étaient amusés à poser torse nu...

 

(verbatim 4 experts)

Un syndicaliste
Oui. Jean-Michel Rousseau, secrétaire national de la fédération CFDT communication, conseil et culture.
«Les réseaux sociaux amènent quelque chose de nouveau, ils se révèlent des outils de surveillance beaucoup plus puissants. En tant que représentant du personnel, nous devons agir, retravailler les chartes d'utilisation des nouvelles technologies car elles sont devenues obsolètes. Elles ne traitent bien souvent que de l'usage de l'e-mail et d'Internet. Il est temps de rappeler les règles éthiques et morales, réaffirmer ce qui est du domaine privé ou public et de fixer les limites de ce que les employeurs peuvent faire.»


Un enseignant en RH
Oui. Fabien Blanchot, directeur du MBA management RH de Dauphine.
«Les nouvelles technologies (ordinateurs individuels, progiciels de gestion intégrés, réseaux sociaux, téléphones mobiles) permettent une plus grande intrusion dans la sphère privée des salariés car ils font tomber les frontières entre vie personnelle et professionnelle. L'espionnage relève bien sûr de l'illégalité. D'un autre côté, les entreprises ont de quoi être inquiètes, en particulier avec le développement des réseaux sociaux, et la veille peut se justifier. C'est la mission des DRH de diffuser des règles visant à faire respecter la vie privée des salariés.»

 

Une avocate en droit du travail
Non. Marie-Emilie Brunel-Rousseau, avocate chez Latournerie, Wolfrom & associés. «Les employeurs me sollicitent de plus en plus par rapport à cette problématique, ils sont en particulier souvent paniqués de voir leurs salariés qui s'expriment trop sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) Je leur réponds qu'ils peuvent surveiller l'activité de leurs collaborateurs dans le cadre de leur fonction et en respectant les procédures d'information. A ces conditions, ils peuvent contrôler les sites Web visités, l'historique, la durée, le nombre de courriels envoyés, leur taille... Ainsi un de mes clients a démasqué un collaborateur qui passait quatre heures par jour à gérer un site d'e-commerce depuis son poste de travail.»

 

Un avocat en nouvelles technologies
Non. Etienne Wéry, avocat spécialisé au sein du cabinet Ulys.
«Il n'y a pas plus d'affaires qu'avant. Nous avons plus de dix ans de recul et le cadre juridique est maintenant bien balisé. Il est naturel que le dirigeant veuille vérifier le respect du lien de subordination. Contrôles et sanctions des salariés doivent être adaptés au cas par cas. Normal par exemple quand un système de géolocalisation est mis en place pour surveiller les commerciaux, qu'il signale si un vendeur fait un détour de 250 kilomètres pour passer saluer sa grand-mère. Les nouvelles technologies sont une partie du problème et de la solution.»

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