communication interne
S’exprimer et, a fortiori, émettre des critiques au travail, est de plus en plus difficile. Pourtant les entreprises gagneraient à organiser ce dialogue.

«Sur mon lieu de travail, quand on dit ce que l'on pense, on risque d'être mal vu.» Un Français sur deux s'estime censuré dans son entreprise, selon une enquête BVA réalisée en janvier dernier. Nous devançons les Chinois (48%), les Allemands (37%) et les Américains (25%). Autrement dit, les Français considèrent leur liberté d'expression fortement bridée au travail. Ce sujet a, d'ailleurs, été largement débattu lors du forum de l'Association française de la communication interne (AFCI) qui s'est tenu le 4 octobre dernier. «Le thème principal était la proximité en entreprise, relate Guillaume Aper, président de l'AFCI. Mais la question de la parole était en filigrane de toutes les interventions avec la problématique suivante: comment redonner de la place à l'expression?».

La liberté d'expression existe bien dans l'univers professionnel. «Il y a une liberté individuelle et collective de s'exprimer dans l'entreprise à propos de son contrat, de ses conditions de travail, précise Emmanuel Doublet, avocat en droit du travail. En principe, l'entreprise devrait même organiser cette liberté d'expression, en négociant avec les délégués du personnel ou représentants syndicaux.» Comme c'est rarement le cas et que, dans le même temps, la course à la productivité engagée depuis dix ans, et accélérée par la mise en place des 35 heures, a rogné sur les moments informels d'échange (pauses café ou cigarette, déjeuner informel, etc.), on se parle de moins en moins dans les bureaux sans cloisons. Et, a fortiori, pour casser du sucre sur le dos du patron ou du manager.

Il faut mettre cela en regard de la contestation croissante des décisions des dirigeants: «En 2012, 31% des salariés jugent que la stratégie va dans la mauvaise direction, note Muriel Humbertjean, directeur général adjoint de TNS Sofres. Ils n'étaient que 20% en 2007.»

Des collaborateurs qui parlent de moins en moins, mais sont de plus en plus remontés, cela donne un cocktail explosif.

 


Instaurer un droit à la critique

Pour apaiser la situation, il est urgent de mettre en place des espaces de parole dans les entreprises. «Il faut réserver du temps dans les agendas pour se parler, recréer des lieux d'échange, estime Guillaume Aper. D'ailleurs, certains groupes organisent ce dialogue: chez Google, tous les deux ou trois mois, les salariés peuvent interpeller la direction sur la stratégie, via une web-conférence. Idem chez IBM, la direction met en ligne la stratégie sur l'intranet et les salariés peuvent réagir pendant trois jours.»

Ne pas instaurer cette discussion, ce droit à la critique, revient à générer de la frustration qui finira par s'exprimer violemment. «Comme les relations sont plus tendues en raison du climat morose, les risques de dérives et d'excès de parole sont plus grands, et accrus avec Internet, souligne Eric Barbry, avocat au sein du cabinet Alain Bensoussan. D'ailleurs, on ajoute de plus en plus de clauses de confidentialité dans les contrats de travail.»

Le droit de critiquer fait, en principe, partie intégrante de la liberté d'expression. D'autant plus qu'en tant qu'internaute on est habitué à donner notre avis et à noter tout et n'importe quoi (hôtels, restaurants, services, etc.). L'entreprise limite beaucoup cette règle. Il est inutile de se croire à l'abri parce que l'on va invectiver son employeur anonymement sur un site de notation en ligne (Meilleures-entreprises.com par exemple): «J'ai obtenu le licenciement de salariés qui avaient publié, anonymement, des contenus injurieux contre leur société sur ce type de sites», assure Eric Barbry.

Maître Emmanuel Doublet le confirme: «Il ne faut pas tenir de termes insultants ou diffamatoires car c'est un motif de sanction qui peut aller jusqu'au licenciement. Par exemple, traiter sa direction «d'armée mexicaine», son employeur d'incompétent, ou qualifier son directeur “d'incompétent et de bœuf” a été reconnu comme injurieux par les juges.» La jurisprudence a désormais de quoi brider ceux qui se lâchent sur Internet...

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