Ressources humaines
Charles Pépin, philosophe, consultant et auteur dernièrement du livre «Quand la beauté nous sauve»*, est intervenu lors du Congrès HR sur le thème: «Faut-il être moins soi-même pour travailler ensemble?»

A l'heure de l'ultra-communication et des réseaux sociaux, la notion de groupe a-t-elle toujours un sens?

Charles Pépin. Il faut sortir de la logique Facebook où chacun dit en permanence ce qu'il pense à son réseau, une forme d'affirmation de soi pour créer du collectif. Il faut s'arracher de cette idée dominante. Tout le danger des réseaux sociaux ou réels consiste à penser que notre identité nous tombe dessus parce que l'on appartient à ce groupe. On peut donc avoir l'illusion de penser qu'en étant salarié de telle entreprise, on a réglé son problème d'identité. Bien sûr, ce n'est que le début…

 

Il est donc possible de concilier l'individualisme et le sens du collectif dans l'entreprise?

C.P. Les deux ne sont pas incompatibles, si l'on comprend que l'une des conditions d'instauration du vivre ensemble consiste à être moins crispé sur ce que l'on est, sur ses valeurs, mettre un peu de côté des convictions trop fortes, comprendre que la question de «ce que je pense» n'est pas centrale. Autrement dit, être un peu moins soi-même… pour être au final plus soi-même car on sera nourri par le groupe: la participation à «l'être ensemble» doit nous changer, nous rendre meilleur. Voilà le vrai ressort vertueux de l'être ensemble qui contredit un autre préjugé de l'époque qui affirme «Pour être bien avec les autres, il faut avant tout être soi-même.» Comme cette dernière injonction – avoir de l'estime pour soi, son identité, ses valeurs – est très forte aujourd'hui, aller à son encontre ne sera pas évident. Mais toutes les grandes aventures collectives sont celles où les individus s'oublient pour inventer le collectif.

 

Comment les managers peuvent-ils redonner du sens au collectif?

C.P.En réunion d'équipe, ils peuvent s'inspirer de la méthode socratique – «je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien» – pour commencer systématiquement par écouter les autres et retarder au maximum l'affirmation d'eux-mêmes. Et en admettant, de temps en temps, qu'ils n'ont pas de solution à un problème, ces managers, bien souvent, libèrent leurs équipes car, d'un coup, tout le monde se mobilise pour tenter d'y remédier. Etre un peu socratique peut permettre, parfois, d'instaurer de l'être ensemble au collectif, de le rendre plus souple et cohérent. Cela impose une rupture avec le manager à l'ancienne, omniscient, qui vient en réunion pour démontrer tout son talent. Et contrairement aux idées reçues, les chefs d'équipe qui adoptent cette démarche vont tout aussi vite que les autres. Cela ne fonctionnera que si c'est combiné à des conditions basiques, comme se voir souvent, lors de rendez-vous ritualisés…

 

La plupart des groupes continuent à afficher des valeurs – solidarité, esprit d'équipe, collectif – comme des incantations, dont plus personne ne tient compte…

C.P. Je me méfie toujours des entreprises qui affichent leurs valeurs partout dans leurs locaux, parfois jusque dans les toilettes… En général, c'est louche. Cela signifie que ces principes ne sont pas présents dans les esprits et les pratiques. Ça ne peut fonctionner que si les salariés sont associés à leur définition lors de séminaires. Dans les grands groupes qui disposent déjà de chartes de valeurs qui ne peuvent être modifiées, il est toujours possible d'organiser des sessions de réflexion sur la façon de les adapter concrètement aux missions quotidiennes, selon les fonctions exercées.

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