Alors que la conjoncture n'incitait pas à l'optimisme, ces quatre-là y ont cru et ont lancé leur société en 2013. Retour sur ces douze mois d'aventure trépidante. Témoignages.

Dans un contexte déprimé, ils ont osé... créer leur propre agence en 2013. Parmi les centaines d'entrepreneurs qui lancent leur société dans la communication chaque année, ces quatre-là ont connu une aventure mouvementée. Il faut dire que beaucoup d'entreprises disparaissent: la Coface a recensé plus de 600 défaillances d'agences de publicité entre janvier et septembre 2013. Un niveau qui reste élevé et ce, depuis quatre ans. Le contexte morose de 2013, avec un marché publicitaire morne (+0,9 % à 27,9 milliards d'euros en France) n'incitait pas vraiment à l'audace. Retour, avec ces entrepreneurs d'une vingtaine, d'une trentaine ou d'une quarantaine d'années, sur la première année de vie de leur progéniture: les hauts, les bas, les doutes, les victoires...

 

- Jean-Christophe Alquier, 49 ans, créateur d'Alquier communication

 

Après avoir cofondé Harrison & Wolf en 1999, puis été le DG de Burson Marsteller Paris, et vice-président de TBWA, Jean-Christophe Alquier a lancé sa propre agence début 2013.

 

Le déclic. Quand sa précédente association tourne court pour divergences de vue (il avait cofondé, début 2012, Ella Factory avec deux anciens de TBWA), Jean-Christophe Alquier choisit de repartir sur une nouvelle aventure: «Quand on a pris le chemin de l'indépendance on ne peut plus revenir en arrière», lâche-t-il. Le créateur demande conseil à un «ancien», une sorte d'adoubement: il choisit Paul Boury, figure du lobbying. Il m'a dit: «Ton nom est une marque, tu peux y aller.» Noël 2012: Alquier Communication voit le jour.


Les débuts. «Vu le contexte frileux début 2013, je suis inquiet, je doute beaucoup: certes deux clients ont accepté de me suivre dans cette aventure (Accor et Lafarge) mais je n'ai aucune visibilité, raconte-t-il. J'ai le sentiment que si je travaille beaucoup, je surpasserai la crise, en me créant mon espace.» Installé à son domicile, l'entrepreneur recrute un premier consultant junior (en CDI). «Je dois tout faire: aller acheter une imprimante afin de sortir les contrats de travail, trouver des bureaux..., note-t-il. J'ai des clients, je veux que l'entreprise ait rapidement une réalité.» Il travaille avec son premier salarié dans des cafés.

 

Le budget. «Comme j'ai démissionné d'Ella Factory, je n'ai pas le droit au chômage, mais j'avais perçu de l'argent en quittant TBWA un an auparavant; sans ce “matelas”, je n'aurais pas pu me lancer», relate-t-il. Car au début, Jean-Christophe Alquier fait chauffer son chéquier personnel: il doit verser six mois de caution pour ses bureaux, acheter les ordinateurs, payer les premier salaires... Dans les premiers mois, il dépense 120 000 euros, provenant de ses économies personnelles.


Les bureaux. «Pour convaincre un propriétaire de me louer 135 m2 dans le 7e arrondissement parisien, je suis obligé de lui présenter des articles parlant de moi dans... Stratégies. Le côté “vu dans la presse” le rassure», sourit Jean-Christophe Alquier.Il emménage dans ses bureaux fin janvier et recrute cinq salariés (en CDI). En juin, il gagne un appel d'offres portant sur la communication corporate d'Autodistribution (garages AD).


Les bas. «J'apprends mi-juillet que dans la foulée du débarquement de Denis Hennequin du groupe hôtelier Accor, je ne serai pas renouvelé. Pour moi c'est un coup dur, car c'était un client très important pour lequel je faisais de la communication financière, de crise... Un budget structurant et récurrent qui m'avait donné le courage de créer ma boîte, explique Jean-Christophe Alquier. Un événement classique dans la vie d'une entreprise, mais quand cela survient la première année, cela fragilise énormément la structure.» Le patron s'accorde quinze jours de repos début août: «Je suis épuisé, au bord du burn-out...»


La rentrée en fanfare. A l'automne, Alquier Communication décroche la communication de crise d'Ecomouv (société gérant la collecte de l'écotaxe). «Nous sommes six salariés aujourd'hui et il y aura encore une embauche d'ici à fin décembre, je devrais atteindre 1 million d'euros de marge brute.» Jusqu'ici le patron se paye au Smic, il devrait se verser une prime en fin d'année et s'offrir un salaire normal en 2014... «Depuis que je suis à mon compte, j'ai retrouvé énormément de bonheur professionnel, tant que j'aurai ce sentiment-là, je continuerai!»

 

2- Loic Chauveau, 28 ans, fondateur de Brandstation :

 

Après avoir été responsable commercial et développement de Noyz, directeur social media de Marcel, puis directeur du développement et de la communication de Buzzman, Loic Chauveau a créé Brandstation en avril.

 

Les prémices. «A l'origine, il y a un vrai ras-le-bol par rapport à la désorganisation des agences, les charrettes, explique Loic Chauveau. Je veux montrer qu'un autre modèle est possible, plus anglo-saxon, avec un fonctionnement plus structuré.» Après cinq années de salariat, cet ancien diplômé de l'Institut d'ingénierie du multimédia (Ingémédia) décide de lancer sa structure le 17 mai. Il trouve un partenaire: Blue Marlyn group, société de production. «Ils m'hébergent et investissent plus de 100 000 euros, en prévision des frais fixes anticipés jusqu'à la fin de l'année: masse salariale, prospection, frais de bouches, équipements, licences logiciels», liste le jeune patron.

 

La prospection. «En mai, quand j'emménage dans mes bureaux, je reçois mon ordinateur portable flambant neuf et c'est là que je prends conscience que je me lance, je me retrouve seul face à moi-même dans ce bureau vide et je comprends que je n'ai pas le droit à l'erreur», explique-t-il. Le stress est à son comble.
D'autant que le 17 mai, quand il démarre officiellement son activité, il n'a pas un seul client. «Je débute ma prospection en m'appuyant sur mon réseau, en particulier une grosse base de followers sur Twitter (plus de 6 000) et de contacts Linked In, détaille Loic Chauveau. Je les sollicite en message privé via Twitter et Linked In, en leur proposant un déjeuner. Si le taux de réponses est faible via Linked In (5 à 10 %), en revanche sur Twitter il est supérieur à 80-90%. Derrière, je décroche des briefs chez ces clients.»


Les mauvaises surprises. Quand il publie une offre d'emploi sur Twitter pour embaucher un team créatif, le jeune entrepreneur ne reçoit que 5 ou 6 candidatures. La société naissante ne rassure pas trop les postulants. «Je me retrouve en concurrence avec de grosses agences, du coup je revois à la hausse le salaire (20 % de plus qu'une grande), je suis contraint d'aller chercher moi-même les réponses des candidats, explique-t-il. Je n'avais pas imaginé que le recrutement serait compliqué...»

Le 1er juillet: le premier team créatif arrive dans les bureaux de Brandstation. «Problème, nous avions bien gagné Astérix, mais la production ne pouvait pas commencer avant septembre, résultat il n'y avait rien de concret à leur confier, alors je leur ai demandé de travailler sur de l'auto-promo et de plancher sur des recommandations clients pour des marques», détaille Loic Chauveau. Durant ces très calmes deux mois d'été, l'entrepreneur doute.


Le décollage. A l'automne, Brandstation remporte plusieurs budgets: Narciso Rodriguez parfums, Mikado (Mondelèz International) et dernièrement un dispositif digital pour Desigual... Il comprend trois teams créatifs dont un en CDI, un en CDD et un en stage, une responsable de clientèle en CDI et le patron. D'autres embauches vont suivre: un directeur de clientèle... Brandstation devrait atteindre 200 000 euros de marge brute sur 2013 et est à l'équilibre, depuis le mois d'octobre.


- Christelle Delarue et Eve Roussou (32 ans chacune), cofondatrices de Mad & Woman

 

Christelle Delarue, ex-directrice commerciale chez Buzzman et ex-directrice associée de l'agence Marcel, a créé Mad & Woman avec Eve Roussou, directrice de la création, ex-Ogilvy & Mather et TBWA.

 

La genèse. En février 2012, Christelle Delarue quitte Marcel, où elle était directrice associée, et enchaîne par trois mois de voyages à l'étranger. «Cela me permet d'abord de réaliser que dans ces grosses structures je ne suis pas à ma place, et puis cela me donne le temps de réfléchir à ce paradoxe entre la création (les femmes représentent 3% des directrices de la création dans le monde) et la consommation (dans 85% des cas, ce sont elles qui sont décisionnaires dans les achats)», explique cette ancienne diplômée de l'Iscom. De retour en France, Christelle Delarue soumet son idée d'agence, basée sur des valeurs féminines, à des patrons du secteur: Marie-Laure Sauty-de-Chalon (Auféminin.com), Nicolas Bordas (TBWA)... Puis elle teste son positionnement, en free-lance, auprès d'agences. Début 2013, Eve Roussou (ex-diplômée d'une école privée d'arts appliqués à la communication, Intuit lab) quitte Ogilvy & Mather pour se joindre à l'aventure.


L'appel du 18 janvier. «Le coup de fil arrive le 18 janvier, le jour de mon anniversaire, se souvient Christelle Delarue. Mondelèz International nous donne rendez-vous le lendemain dans leurs bureaux : nous apprenons notre premier gain de budget pour Véritable Petit Beurre de LU. Ils croient à l'entrepreneuriat: nous gagnons contre Babel et Rosapark.» L'idée originale de Mad & Woman: la campagne «Atelier des possibles» qui permet de créer des origamis à partir du carton ondulé des petits beurres.


Les bureaux. Début février, l'agence s'installe dans ses premiers locaux (dans le 2e arrondissement parisien), en colocation avec une maison de production. «A ce stade nous travaillons avec cinq stagiaires (planning stratégique, commercial, créatifs, community manager)», explique Christelle Delarue. Fin mars, l'agence gagne le budget Carte noire. Et début juillet, l'agence s'installe dans ses propres locaux, dans le 10e arrondissement parisien.


Coup dur. «Nous remportons un autre budget, pour le site de rencontre Adopte un mec : ils nous ont acheté quatre films, il y a beaucoup d'émulation dans l'équipe autour de l'idée de faire de la télévision et l'on produit très vite, relate Christelle Delarue. Nous apprenons que finalement la campagne est repoussée. Nous le vivons mal psychologiquement. Il faut se remotiver, rassurer les équipes sur le fait que l'agence va bien.»


La reprise. «A la rentrée, les pitchs s'enchaînent et l'agence compte désormais neuf personnes, dont huit en CDI, quatre stagiaires. Nous remportons le budget Cracotte (Mondelèz international) et ce pour deux ans...», poursuit Eve Roussou. L'agence est reconduite pour Véritable Petit Beurre en 2014, et va dépasser les 300 000 euros de marge brute pour 2013. «Je ne regrette pas notre choix, on s'est recentrées sur nos désirs et l'on est aujourd'hui beaucoup plus équilibrées», conclut Eve Roussou.

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