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De plus en plus de sociétés, y compris dans la grande consommation et la distribution, s'ouvrent à "l'open-innovation". Une démarche indispensable pour ne pas être dépassées.

L'entreprise autarcique, c'est fini! Les groupes français sont en train de se convertir à l'innovation ouverte, communément appelée «open innovation». «Nous avions fait une étude en 2010 et l'on constatait que les sociétés dans l'hexagone avaient deux ans de décalage par rapport à leurs homologues américaines, note Martin Duval, PDG de Bluenove, un cabinet spécialisé. Depuis, il y a eu une vraie accélération, et les groupes sont en passe de rattraper ce retard.»

L'innovation ouverte? Le concept a été développé par Henry Chesbrough, professeur et directeur du Center for Open Innovation, à Berkeley, en 2003: il s'agissait, au départ, d'outils d'échanges ou de plates-formes mutualisées d'innovation. Aujourd'hui, Martin Duval en livre une définition extensive: «L'innovation est ouverte mais aussi collaborative, avec la capacité à intégrer tous les acteurs de l'écosystème extérieur: les start-up, clients, sous-traitants...»

Les raisons de ce nouvel engouement? Crise oblige, les entreprises ne peuvent plus se permettre d'avoir des équipes internes de R&D aussi étoffées. Surtout, l'innovation s'est complexifiée et accélérée. Et il faut suivre à tout prix.

Font la course en tête: les groupes télécoms. «Les opérateurs sont de bons praticiens, en particulier Orange, souligne Hamid Bouchikhi, professeur au sein du département Management à l'Essec et spécialiste de l'entrepreneuriat. Le groupe est passé en quelques années de l'innovation autarcique à l'innovation ouverte (partenariats avec des start-up et acquisitions).» L'enseignant cite également Bouygues Telecom dans la catégorie des bons élèves: «Le groupe sollicite, via son site Internet, les suggestions de ses clients sur ses offres, puis les soumet au vote de la communauté. Il traite ses clients comme des acteurs de l'innovation et n'a même pas à les payer.» Martin Duval, le PDG de Bluenove, a lui travaillé avec SFR: «L'opérateur utilise aussi ses clients (50000) comme bêta-testeurs avant de lancer ses nouvelles idées ou applications.»

Remise en cause du business model

Outre les télécoms, l'automobile, la pharmacie ou l'aéronautique sont convertis à ce principe depuis longtemps: ils intègrent de longue date les sous-traitants dans le processus d'innovation. Dans d'autres secteurs, cela coince encore. Dans la grande consommation ou la distribution par exemple, le culte du secret est encore fort. «L'open-innovation, c'est le comble de l'innovation, il faut s'ouvrir au monde extérieur, cela remet en cause le principe de fonctionnement des entreprises et leur business model, précise Hélène Sagné, fondatrice de l'agence Bug. Pour que cela prenne, il ne faut pas ouvrir d'emblée le cœur de l'activité de la société.»

La démarche de Pernod Ricard, avec la création de sa structure, Big (voir encadré), s'inscrit dans ce mouvement. Tout comme ce programme, baptisé «In Home» et mené en 2013 par l'agence d'innovation In Process: «Nous avons travaillé en amont pendant un an, avec le laboratoire d'anthropologie de la Sorbonne, sur les enjeux de l'habitat et la maison de demain», détaille Christophe Rebours, PDG d'In Process.

Puis le cabinet a invité sept groupes non concurrents (Carrefour, Seb, Legrand, Pernod-Ricard, La Poste, Kingfisher et Orange), à venir plancher, une fois par mois, sur le sujet. «Durant ces cinq ateliers - d'une demi-journée à une journée -, ils ont visionné des films sur les nouveaux usages des familles emblématiques (recomposées, en colocation), afin de comprendre comment ces mutations appellent de nouveaux scénarios, poursuit Christophe Rebours. Puis ils ont pris part à des ateliers de réflexion où les participants devaient se glisser dans la peau des autres afin d'imaginer de nouvelles pistes, produits, services...»

Dans la foulée, les entreprises concernées ont monté des groupes de travail internes pour creuser ces innovations. Vastimil Spelda, directeur, en charge de la stratégie de Big chez Pernod-Ricard, a participé au projet: «Il y a une évolution importante de la consommation de nos boissons, des bars-hôtels-restaurants vers le domicile, qui devient stratégique pour nous, précise-t-il. Le fait de confronter nos points de vue avec d'autres participants, qui n'ont rien à voir avec notre industrie, a été très enrichissant.»

La responsable des études marketing de Seb, Valérie Satre, aussi était de la partie: «In Home nous a intéressé pour son approche méthodologique, nous avons encore trop tendance à réfléchir en silos, d'une division à l'autre. C'est dommage car les innovations de rupture viennent très souvent de nouveaux entrants, d'autres secteurs d'activité.» Même si ce n'est pas inédit pour le groupe électroménager: «Nous avons déjà des partenariats entre notre marque Rowenta et l'Oréal, pour développer des produits de concert», précise Valérie Satre.

Autre groupe à avoir tenté l'aventure «In Home»: Carrefour. «C'est la première fois que l'on fait ça, au niveau du design, explique Philippe Picaud, directeur du design du distributeur. Dans la foulée de cette expérience, nous avons créé des ateliers de création en interne, afin de développer ces idées: il pourra s'agir de produits pratiques pour le rangement, ou encore de nouveaux services à la personne en magasin ou en drive.»

 


- Encadré : Big de Pernod-Ricard, un cas d'école buissonnière

«Big» pour Breakthrough Innovation Group, c'est la cellule d'innovation externe de Pernod-Ricard, qui lui a valu d'être distinguée, en 2013, par Forbes comme la quinzième entreprise la plus innovante du monde. «Contrairement aux équipes marketing et innovation de Pernod-Ricard qui sont sur l'opérationnel, nous faisons de la prospective, nous sommes en quête de comportements émergents, d'innovations de rupture», précise Vastimil Spelda, directeur en charge de la stratégie de Big (7 salariés). Big multiplie les rencontres et brainstorming avec des acteurs hétéroclites: entrepreneurs dans le digital, journalistes, architectes...

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