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Petit à petit, les femmes font leur nid dans le milieu créatif, et quelques-unes dirigent désormais la création au sein d'agences de grands groupes. Plongée dans le quotidien de ces créatives.

Les hommes ont toujours été largement majoritaires dans les agences de publicité, notamment aux postes créatifs. «Quand j'ai commencé, il y avait beaucoup moins de femmes que d'hommes à la création», se rappelle Anne de Maupeou, directrice de la création de Marcel depuis 2006. Ce que confirme Claire Ravut, directrice de la création d'Australie depuis 2007 (en tandem avec Stéphane Renaudat).

 

«Déjà, lors de mes études à l'Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs, il y avait plus de garçons dans la partie créative. Puis, lorsque j'étais directrice artistique, j'étais quasiment exclusivement en team avec des hommes», ajoute Pierrette Diaz, vice-présidente en charge de la création de Young & Rubicam Paris depuis mars 2013.

 

Selon l'AACC, 61% d'hommes contre 39% de femmes occupent des fonctions de création au sein des agences conseils en communication (chiffres 2011). L'écart toutefois se resserre notablement depuis ces dernières années. «Au niveau des équipes créatives, les femmes sont moins nombreuses que les hommes, mais c'est de moins en moins vrai, surtout chez les jeunes. D'ailleurs, chez les juniors, une certaine parité est aujourd'hui respectée», note Anne de Maupeou, qui concède cependant que son agence Marcel ne compte qu'une créative senior dans ses équipes.

 

En l'espèce, une des agences françaises les plus exemplaires reste BETC: les équipes créatives de l'agence comptent 129 salariés (hors trafic), dont 47% de femmes.

«Il y a vingt ans, être créatif signifiait être une star. Si on gagnait des prix, on était "chassé" par les autres agences. Ce métier était basé sur l'ego et la compétitivité, des valeurs davantage masculines que féminines. Aujourd'hui, le métier de publicitaire est devenu un métier d'équipe, avec des valeurs de cohésion et de répartition des tâches, qui correspondent plus aux femmes», avance Claire Ravut pour expliquer l'évolution en cours. Son agence Australie compte seize femmes pour vingt quatre créatifs.

 

Le sexe des créatifs

 

Autre explication, développée par Anne de Maupeou: «A mes débuts, un homme qui faisait un métier artistique, ce n'était pas évident du point de vue du regard extérieur. Ceux qui faisaient des études artistiques étaient déterminés. Du coup la proportion de ceux qui réussissaient était plus grande que chez les filles. Mais ce constat n'est plus vrai aujourd'hui.»

Si le métier se féminise petit à petit, il reste masculin au plus haut niveau, celui des directeurs de la création. A l'échelle mondiale, en 2013, seuls 3% des DC étaient des femmes, selon le site The 3% conference, dédié à la promotion des femmes dans le monde de le monde de la communication. «En France, dans les grands groupes, il y a seulement trois directrices de la création. Pierrette Diaz chez Y & R Paris, Anne-Cécile Tauleigne chez JWT Paris et moi, chez Marcel», remarque Anne de Maupeou.

 

Dans les agences indépendantes, quelques femmes sont nommées à la tête de la création, mais l'égalité n'est toujours pas au rendez-vous. Même chez Mad & Woman, agence qui brandit les valeurs féminines en étendard, un homme (Alexandre Henry) a été récemment recruté comme directeur de la création pour succéder à Eve Roussou.

 

La création publicitaire serait-elle un milieu sexiste? Non, selon les principales intéressées, même si elles reconnaissent que les blagues machistes fusent dans les couloirs des agences. «Je n'ai jamais connu de problèmes particuliers en tant que créative», souligne Anne-Cécile Tauleigne, directrice de la création de JWT Paris depuis août 2013, à la tête d'une quinzaine de créatifs dont cinq femmes.

 

«Etre une femme à la création n'a jamais été un sujet pour moi. Je n'ai jamais souffert de sexisme ou d'injustice. Je ne dis pas que je ne l'ai pas connu, mais je n'en ai fait aucun cas», précise Claire Ravut. «C'est un métier difficile, mais pas plus parce que je suis une femme», note pour sa part Eve Roussou, ex-Mad & Woman.

 

Pour elles toutes, cette non-parité est un non-sujet. «Qu'on soit un homme ou une femme n'est pas vraiment un sujet. On travaille sur la qualité des idées, et une idée n'a pas de sexe. C'est le résultat qui compte», dit Pierrette Diaz, qui dirige une vingtaine de créatifs, dont deux femmes. «Je n'ai jamais connu de problèmes particuliers en tant que créative. J'ai pourtant travaillé sur des secteurs plutôt masculins, comme l'automobile. Je n'ai jamais subi de discrimination, y compris financière», souligne Anne-Cécile Tauleigne.

Au contraire, elle a bénéficié de ce qu'on pourrait appeler une discrimination positive. «Lorsque notre ancien DC, Ghislain de Villoutreys, est parti fin 2012, l'agence a voulu nommer une femme à la tête de la création afin d'équilibrer le management de l'agence», assure Claude Chaffiotte, CEO de JWT Paris.

 

En fait, la principale raison qui explique le faible nombre de directrices de (la) création dans les agences semble être la conciliation entre vie privée et vie professionnelle. «Dans ce métier, on a des journées remplies. Pour bien le faire, il faut travailler au minimum entre 50 et 60 heures par semaine», précise Anne de Maupeou.

 

Quête de sens

 

 

Hormis cette problématique qui n'est pas propre au secteur de la publicité, une autre idée est émise par Eve Roussou: «Il s'agit peut-être d'une question d'éthique. Une femme peut comprendre plus vite que ce métier est un miroir aux alouettes, qui booste juste l'ego et le salaire. Les femmes veulent peut-être donner plus de sens à leur métier.»

 

Pour autant, ces créatives montées en grade reconnaissent elles-mêmes développer un côté masculin... «Je suis un camionneur. Je ne suis ni choquée ni agacée lorsque des propos hyper masculins sont tenus devant moi. J'aime le langage des mecs», s'amuse Anne-Cécile Tauleigne. «Il s'agit d'un métier de conviction, où il faut avoir des couilles pour persuader le client. Il y a des moments où je me dis que je suis un mec», ajoute Anne de Maupeou.

 

«J'ai toujours été garçonne, combative. Ce métier dépend de notre capacité à être impressionnée et à s'imposer, il faut avoir une confiance en soi naturelle. Or les femmes peuvent peut-être plus facilement se laisser impressionner que les hommes», complète Eve Roussou, qui conclut: «Pour autant, des hommes sensibles peuvent être écœurés par ce métier et le quitter. C'est finalement plus une question de tempérament que de sexe.»

 

 

 

JWT veut plus de créatives

A l'occasion de ses 150 ans, JWT lancera, lors des Cannes Lions, la Bourse Helen Lansdowne, destinée à promouvoir les femmes dans la création. «Ce projet, centralisé par notre agence américaine, vise à donner un soutien matériel et financier aux étudiantes des pays en voie de développement qui se destinent à des métiers créatifs», explique Claude Chaffiotte, CEO de JWT Paris. Le réseau JWT fut le premier au monde à nommer dans les années 1920 une créative, en l'occurrence Helen Lansdowne, qui donne son nom à cette Bourse. Engagée en 1911 comme concepteur-rédacteur, elle fut par la suite promue directrice de la création.

 


Dans les pas de Marie-Catherine Dupuy

Impossible d'écrire sur la place des femmes dans la création publicitaire sans évoquer Marie-Catherine Dupuy. Citée comme exemple par de nombreuses créatives, elle fut la première directrice de la création en France. Elle est également la seule femme à avoir été élue «homme de l'année en création» par Stratégies (en 1991).

Petite-fille et fille de publicitaires (son grand-père a fondé l'agence Dupuy en 1926), elle commença sa carrière comme concepteur-rédacteur dans l'agence familiale en 1970 avant d'être promue directrice de création adjointe en 1978. Aux côtés de Jean-Claude Boulet, Jean-Marie Dru et Jean-Pierre Petit, elle fonda fin 1983 BDDP, où elle fut directrice de la création. Lorsque BDDP devint TBWA (Omnicom) en 2001, elle fut vice-présidente en charge de la création, jusqu'en 2012. Elle est désormais secrétaire générale du Club des DA depuis 2013.

Marie-Catherine Dupuy n'a jamais rencontré de difficultés particulières du fait d'être une femme publicitaire. «Pour moi, c'était un métier normal car familial. Je ne me suis jamais servie de mon côté féminin pour obtenir ce que je voulais par la séduction. J'étais directe et je défendais mes idées avec une autorité naturelle, sans surjouer un côté patron.»

Selon elle, s'il y a peu de femmes créatives, c'est que la publicité est «un métier difficile à concilier avec une vie personnelle. On n'a pas de week-end, il y a beaucoup de compétition, la pression est monstrueuse. C'est un métier difficile psychologiquement car il faut faire des choix en permanence, c'est très fatigant.»

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