Entreprises
Le recrutement prédictif grâce à l’intelligence artificielle facilite le travail des ressources humaines, surtout dans des métiers très demandés. À quelles conditions doit-il être pratiqué, et quelles sont ses limites ?

Il y a vingt ans, les candidats à l’embauche consultaient des offres par petites annonces et envoyaient leur CV par la Poste. De leur côté, les recruteurs recevaient des centaines de CV qu’ils devaient trier pour retenir quelques finalistes. Cette période est révolue avec le recrutement assisté par les algorithmes. Chez Regionsjob, «50% des candidatures sont générées par ce biais, témoigne David Beaurepaire, responsable stratégie et développement. Nous accueillons 3,5 millions de candidats par mois sur nos différentes plateformes et plus de 10000 recruteurs. Grâce à la puissance de calcul des algorithmes, nous pouvons récolter et traiter les données pour améliorer leur mise en relation.» L’algorithme effectue un tri par compétence, formation, zone géographique. Mais il permet aussi d’éviter des erreurs, comme le mot «serveur» qui peut correspondre au métier de la restauration ou de l’informatique. Il peut améliorer le ciblage des offres en observant l’intérêt des candidats pour certaines annonces et pas d’autres. Enfin, la technologie est disponible dans tous les formats, de l’ordinateur au smartphone. «700 000 candidatures sont envoyées chaque mois à nos clients, dont 30% par mobile. Avec les notifications push, les candidats peuvent postuler en un clic», précise David Beaurepaire.

Des start-up sur le créneau 

De nombreuses start-up se sont lancées sur le créneau du recrutement par algorithme, comme HireSweet, qui vient de lever 1,5 million d’euros auprès de pointures (1). Cette société, fondée il y a un an par d’anciens HEC et ENS Informatique, travaille pour Nokia, Devialet et d’autres entreprises ayant des problématiques de ciblage de candidats. «Le problème se pose pour des métiers en tension comme développeur informatique ou data scientist, explique Robin Choy, cofondateur de HireSweet. Les chiffres du site Stack Overflow montrent que seulement 15% de personnes dans ces métiers changent d’employeur en étant en recherche active, 65% sans recherche active, le reste ne bouge pas. Pour les entreprises, il ne suffit pas de connaître la formation ou les compétences du candidat. Elles doivent aussi comprendre son parcours dans le temps et identifier le bon moment pour le contacter.» En effet, un ingénieur qui occupait un poste il y a trois ans a peu de chance d’y retourner. En revanche, il peut être intéressant de comparer son parcours à un profil similaire pour lui proposer une évolution professionnelle.

Yatedo est aussi issu d’un projet de fin d’études de deux étudiants à Epitech. La société créée en 2011 compte aujourd’hui une centaine de clients, du grand groupe à la start-up. «On indexe les informations disponibles sur les moteurs de recherche, les profils LinkedIn ou Twitter, puis on les trie pour éviter les doublons, harmoniser les dénominations, détaille Saad Zniber, cofondateur. Par exemple, “data scientist” peut se dire “statisticien”, “développeur big data”, “data miner”… Il peut y avoir beaucoup de déperdition. On propose aussi une fonctionnalité pour identifier les profils en devenir, par exemple, un ingénieur qui n’est pas encore data scientist mais qui en a le potentiel. Cela permet de recruter au prix du marché, par rapport à des profils en poste qui peuvent être très chers.» Yatedo commercialise des solutions à 3500 euros («rentabilisée au premier recrutement») ou 6000 euros pour un profilage plus fin.

Soft skills

Mais quid de l’humain avec les algorithmes ? L’intelligence artificielle peut-elle faire mieux que la sensibilité personnelle ? Les experts s’en défendent. «Le but n’est pas de remplacer l’humain mais de l’augmenter. L’IA n’a pas la capacité d’humour ou de jeu sur les mots d’une conversation entre deux personnes. C’est au contraire le contact personnalisé avec les candidats qui permet au logiciel de progresser et de proposer des réponses plus pertinentes», répond Robin Choy de HireSweet. «Notre solution permet aux recruteurs de se débarrasser du travail rébarbatif du tri des CV pour se concentrer sur leur valeur ajoutée, à savoir les rencontres et le contact humain», ajoute Saad Zniber pour Yatedo.

«Les soft skills, les compétences douces comme la motivation ou la capacité à s’intégrer dans une équipe, ne peuvent pas être mesurées par les algorithmes à l’heure actuelle», précise David Beaurepaire de Regionsjob. Autre reproche fait à la technologie, le risque de discrimination induit par la machine. «Comment s’assurer que la diversité soit respectée?, souligne Antoine Morgaut, président de Syntec conseil en recrutement. Si l’algorithme détermine que le profil idéal pour un poste implique 60% d’hommes et 40% de femmes, on va se retrouver avec des équipes stéréotypées. Mis entre des mains malveillantes, l’outil peut être une bombe potentielle. Il peut aussi susciter le rejet des candidats, comme l’a montré le système APB (admission post bac) qui a créé un profond sentiment d’injustice.» Finalement, estime le représentant des cabinets de recrutement, «on va réaliser que le recrutement c’est un métier, avec une part d’artistique.» La machine n’a pas d’humour, elle n’a pas de créativité non plus, et c’est plutôt une bonne nouvelle.  

Bientôt l’embauche par la réalité virtuelle

La société SmartVR Studio, spécialisée dans la réalité virtuelle, est en train de mener un test pour aider à la sélection de candidats grâce à cette technologie. Avec un casque sur la tête, ceux-ci vivront des situations types au sein d’une entreprise et devront réagir. « Les algorithmes de matching utilisent des informations objectives issues des réseaux sociaux et des QCM (questionnaire à choix multiples) qui peuvent être assez ennuyeux pour les candidats. En leur faisant vivre une expérience immersive, on peut les confronter à des choix, les amener à prendre des décisions et voir comment ils se positionnent, pour ensuite leur proposer des métiers ou des offres d’emploi adaptés à leur profil, explique Jean Mariotte, fondateur de SmartVR Studio. La VR prend aussi en compte le langage corporel, qui n’est pas encore intégré dans l’algorithme. » Ce dispositif est adapté à des choix d’orientation, à de la recherche d’emploi et à la mobilité interne. Il est cependant coûteux - 50 à 100 000 euros pour un scénario de 4 minutes - et reste réservé à des organisations ayant de gros besoins de recrutement. L’expérimentation, réalisée pour un client tenu secret, devrait aboutir en septembre 2018 selon Jean Mariotte. 

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