Ressources humaines
Entre sensibilisation, accompagnement, ou sanctions, les entreprises françaises mettent plusieurs actions en place pour lutter contre le sexisme dans le cadre du travail.

« On est d’accord sur la remise ? – Bien sûr ma petite. – Tu veux que je vienne en réunion ? Oui, tu seras mon atout femme ! » Le 25 janvier dernier, quelques clichés se sont fait entendre à l’occasion de la première journée nationale contre le sexisme. Les entreprises étaient invitées à prendre la parole, à Paris, face à un enjeu sociétal particulièrement sensible depuis l’affaire Weinstein et le mouvement #metoo/#balancetonporc. L’occasion pour elles de communiquer sur les bonnes pratiques mises en œuvre.

La gouvernance contre le sexisme

Parmi les premiers leviers utilisés, les textes et les règlements. « Cela fait une dizaine d’années qu’on a intégré la non tolérance du sexisme à notre règlement intérieur », note Xavier Guisse, responsable RSE du groupe PSA. « Nous faisons signer des chartes et un code de conduite à tous nos employés sur cette question », rappelle quant à elle Marie-Claire Capobianco, directrice des réseaux France et membre du comité exécutif de BNP Paribas. Mais afin de veiller à l’application des textes, il importe d’abord de mobiliser la direction de l’entreprise. « Pour lutter contre le sexisme, la gouvernance est primordiale, insiste la dirigeante. Il faut partir du comité exécutif pour aller jusqu’au plus petit maillon du management, et bien sûr ne jamais considérer que le travail est fait. »

Au début du mois de février 2018, Condé Nast International a mis en place un code de conduite contre le harcèlement dans le cadre des séances photos prises pour le groupe. Les images, notamment dans la publicité, sont régulièrement accusées de véhiculer une représentation sexiste du corps féminin. « C’est lié à la vision patriarcale de la société. On a une vision masculine de la femme », explique Christelle Delarue, présidente de Mad & Woman. L’agence féministe intervient dans les entreprises pour lutter contre les inégalités socio-économiques femmes-hommes, sources de sexisme. « Tout part des stéréotypes de genre dans les entreprises. Le sexisme ordinaire, ou le harcèlement existent parce qu’on a des discriminations économiques dans la société et dans les entreprises », poursuit Christelle Delarue.

Décrypter les situations à risque

Afin de sensibiliser la base, Nexter, spécialisé dans l’armement et composé à 80% d’hommes, fait appel au théâtre d’entreprise. « On met en scène le sexisme ordinaire en créant un scénario proche d’une situation réellement vécue. Le but est de faire réagir le public. Certains sont embarrassés car ils se reconnaîssent dans la situation », confie Jean-Christophe Benetti, le directeur des ressources humaines. Des débats sont également mis en place à la fin de la pièce pour essayer de libérer la parole des victimes. Parallèlement, le groupe forme ses managers pour lutter contre les approches fondées sur l’idée non avouée d’un sexe faible. « La sensibilisation au sexisme répond à un besoin dans les entreprises. Toutes n’en parlent pas car pour certaines, ce n’est pas une priorité », commente Emmanuelle Larroque, fondatrice de Social Builder, qui croit à la « mobilisation technologique contre le sexisme ». « Les entreprises ont besoin d’un outil rapide et pas cher pour former leurs employés. Nous voulons leur fournir un instrument expérientiel et immersif », révèle-t-elle. En outre, l’outil aura pour mission de décrypter les situations à risque, de distinguer une attitude sexiste d’une tentative de séduction par exemple. Un « comportement de substitution » sera proposé à la personne. « L’objectif est de donner envie aux gens de changer grâce à l’expérientiel qui donne de l’empathie », résume Emmanuelle Larroque.

Des hommes à l’écoute 

Le réseau professionnel SNCF au féminin est déjà bien ancré dans le digital. Sous l’impulsion de sa présidente Francesca Aceto, il a mis en ligne la plateforme de microlearning « Résister au sexisme ordinaire ». « Le parcours aborde deux points : notre ressenti personnel face au sexisme et la réponse adaptée. Il s’agit d’éradiquer le sentiment de victimisation que peuvent éprouver les femmes. On est donc vraiment dans une plateforme d’accompagnement des victimes. Nous espérons former 2000 femmes en quelques mois », dit Francesca Aceto. La plateforme est aussi ouverte aux hommes qui pourront se « mettre dans la peau d’une femme ». Car l’autre combat de Francesca Aceto est de former les hommes pour qu’ils recueillent la parole des femmes. Ce qu’elle appelle le passage d’« une majorité passive à une majorité d’écoute ».

En dernier recours, des enquêtes internes sont prévues pour sanctionner les auteurs d’agissements sexistes. Au sein du Groupe PSA, l’alerte est très importante. « Nous avons mis en place un dispositif d’alerte dans lequel des enquêtes internes sont prévues, explique Xavier Guisse. Si elles sont lancées, les enquêteurs vont écouter les différentes parties : victimes, accusés, témoins. C’est très important de comprendre le contexte et les faits avant de prendre une décision. Cela peut déboucher sur l’exclusion de la société si les faits sont avérés. »

Malgré la bonne volonté des entreprises, beaucoup de chemin reste à faire dans le monde du travail. Selon un sondage BVA-Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, publié le 24 novembre 2016, 80 % des femmes déclaraient être confrontées quotidiennement au sexisme sur leur lieu de travail. Un chiffre inchangé par rapport à 2013… 



Avis d'expert

Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur pour l'égalité professionnelle femmes/hommes

« L'affaire Weinstein a été un accélérateur »

« Depuis trois ans, les entreprises commencent à faire des petites choses pour la lutte contre le sexisme, notamment les grands groupes français. Mais cela reste faible. L'affaire Weinstein a été un accélérateur de prise de conscience : beaucoup d'entreprises se demandent depuis ce qu'elles peuvent faire pour prendre en compte la lutte contre le sexisme en interne. Pendant trop longtemps, on a ignoré les relations interpersonnelles au travail. On voyait les hommes et les femmes comme des unités de travail sans se rendre compte qu'il y avait des atteintes faites aux femmes en raison de leur sexe. L'affaire Weinstein remet tout cela en question. Il est désormais important de mesurer la confiance au travail. C'est pourquoi les entreprises devraient faire un baromètre tous les deux à trois ans pour évaluer le ressenti des salariés sur le sexisme. Elles pourront ensuite mettre en place une politique de lutte contre le sexisme efficace. Il y a trois temps pour agir. Il faut d'abord que la gouvernance prône une tolérance zéro et pour cela définisse précisément les actes sexistes. Il faut savoir en quoi consiste le sexisme ordinaire, le harcèlement sexuel et l'agression. Deuxième temps, il faut accompagner le salarié, soit mettre en place de la prévention et du suivi. La victime d'un acte sexiste doit pouvoir parler à sa hiérarchie ou aux partenaires sociaux. Enfin, l'entreprise doit sanctionner le coupable. Cela peut aller du blâme au licenciement. »

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