Coworking
Travailler au café ? Encore impensable il y a quelques années, l’idée a fait son chemin pour devenir une option bien réelle parmi l’offre croissante de nouveaux espaces de travail.

[Cet article est issu du n°1945 de Stratégies, daté du 5 avril 2018]

Le bureau individuel a perdu de son lustre. Autrefois signe distinctif qui couronnait une promotion dans l’échelle hiérarchique, il ne réunit plus qu’une faible majorité d’adeptes (53 %), selon un sondage Odoxa réalisé en mars (voir encadré). Désormais, une part notable de salariés (24%) affirme préférer travailler dans un open space et ils sont déjà 22 % à afficher leurs préférences pour les nouvelles organisations de travail (flex-office, coworking et autres espaces collaboratifs).
Pour répondre à ces attentes, les lieux de labeur et les espaces de détente deviennent de plus en plus poreux, au point que « travailler au café » est devenu une réalité qui ne se limite plus à la vie des étudiants ou des professions indépendantes. Fondé en 2013, Anticafé a ainsi voulu réunir le meilleur des deux mondes. Son fondateur, Leonid Goncharov, a toujours travaillé en terrasse ou non loin du zinc, en Russie, aussi bien qu’aux États-Unis. En France, cette pratique s’est heurtée à des obstacles qu’il n’avait pas prévus : petites tables, absence de wi-fi, établissement soucieux de renouveler régulièrement les consommations… En résumé : le modèle du café français, avec son aimable serveur, présentait une faible compatibilité avec les besoins des personnes cherchant un lieu pour travailler. 

Anticafé, pour une formule gagnante

Plutôt que de se tourner vers un espace de coworking, Leonid Goncharov décide de fonder Anticafé en 2013. Une façon de réunir le côté ouvert du café dans un lieu capable d’accueillir des rencontres professionnelles, mais aussi qui permette de travailler, seul ou à plusieurs, et même de se détendre. La formule émerge rapidement et le ministère de l’Économie lui décerne en 2016 le prix Blue Ocean qui récompense les entreprises capables de créer de nouveaux marchés grâce à leur offre innovante. Très vite, le succès est au rendez-vous puisque le nombre d’Anticafé passe de 6 à 12, en France et à l’étranger.
Début 2018, c’est le Cnit de la Défense qui est investi avec un nouvel espace de 360 m² qui cible les collaborateurs disséminés à travers les tours géantes mais aussi les entreprises ! Ce site propose en effet des espaces de 180 m² modulables. Pouvant accueillir de 4 à 150 personnes, ils se prêtent à l’expérimentation de nouvelles façons de travailler. Les utilisateurs ont à leur disposition le classique wi-fi haut débit mais aussi des imprimantes et des vidéoprojecteurs. Durant les pauses, ils peuvent profiter d’un espace proposant une bibliothèque, des canapés et des jeux de société.
Les liens avec les entreprises pourraient même devenir plus étroits. Les équipes d’Anticafé testent actuellement avec trois sociétés un système de cartes prépayées. « Les salariés disposent d’un crédit d’heures dans nos locaux qu’ils peuvent utiliser pour le télétravail ou pour des rendez-vous professionnels », explique Leonid Goncharov. Pratique et simple à utiliser, ce type d’outil peut devenir un levier de valorisation RH. En offrant au salarié une latitude d’action et de déplacement, l’entreprise l’incite à contribuer au développement de l’entreprise.

Comeeting

Outre l’agencement des espaces, les équipes de l’Anticafé représentent un point essentiel, selon Leonid Goncharov : « Elles connaissent les clients et créent du lien entre eux. » Avant la fin de l’année, une plate-forme digitale proposera deux services. « D’un côté, elle va permettre à nos clients d’en savoir un peu plus sur ceux qui sont autour d’eux et faciliter le contact. De l’autre, elle va les aider à trouver des solutions. S’ils cherchent un expert capable de les aider sur une question précise ou disposant d’une compétence particulière, peut-être y en a-t-il un là, tout près d’eux. Avec cette plateforme, ils pourront le trouver. »
La faculté à créer du lien est aussi ce qui mobilise les agences spécialisées. Comet, une start-up qui a levé l’an dernier 2 millions d’euros pour sa plateforme visant à mettre en relation les grands groupes avec des freelances tech et data, mise ainsi sur le « comeeting ». Fondée fin 2017 par trois consultants passés par McKinsey ou Bain, la société veut renouveler le concept et les résultats des rencontres professionnelles. « Elle s’adresse aux entreprises qui ont envie de mettre leurs collaborateurs dans un contexte plus horizontal et plus fluide, inspirant et disruptif », explique Jean-Baptiste Coissac, fondateur de l’agence Generous Branding.

Ce dernier a élaboré ce concept de « comeeting » qui mise sur la qualité de l’accueil et l’ergonomie : « Selon le type de réunion, les salles peuvent prendre des configurations différentes, les meubles sont facilement transformables, certaines zones sont réduites pour faciliter les échanges informels, les gens peuvent s’isoler dans des “capsules” pour être seuls ou mener un tête-à-tête. » Au vu de la demande, Comet prévoit déjà d’implanter son concept dans d’autres capitales européennes.

« Faire de l’entreprise un lieu de vie »

Marc Trilling, président et cofondateur de Saegus, cabinet de conseil digital


Pourquoi un tel succès des espaces de travail collaboratifs, internes ou externes à l’entreprise ?

Aujourd’hui, la vidéo conférence, la réalité virtuelle et les messageries instantanées sont autant de technologies en fort développement qui permettent d’entrevoir de nouveaux usages pour le travail collaboratif. C’est une aubaine dans un contexte où la rapidité d’exécution devient encore plus importante que la bonne idée. À cela s’ajoute le besoin grandissant de rassembler des équipes souvent éclatées et l’envolée du prix des locaux, franciliens en tous cas, ce qui donne une bonne raison aux entreprises de favoriser ces nouveaux modèles d’interactions.

 

Quelle est la face cachée de cet engouement ?
Certaines études de 2017 ont montré que les salariés ne sont pas dupes et associent le passage à ces modèles comme des réductions de coûts imposées, potentiellement prélude à une réduction d’effectifs. Comme pour le digital, les nouvelles approches du travail ne doivent pas faire oublier l’actif principal de nos entreprises : l’humain dont la qualité des interactions reste un facteur déterminant dans la performance globale de l’entreprise. Tout comme il serait périlleux de vouloir les digitaliser totalement, il reste indispensable de permettre les rencontres physiques, de plébisciter des espaces de travail de qualité où l’esprit d’appartenance peut se développer naturellement et faire de l’entreprise un lieu de vie productif, certes, mais aussi agréable… et humain !

 

 

La notoriété des nouveaux espaces de travail

Selon notre sondage Odoxa réalisé les 7 et 8 mars auprès de 986 personnes pour Microsoft, Saegus et Stratégies, les deux-tiers des Français (66%) connaissent déjà les nouvelles organisations d’espaces de travail en entreprise.  Près d’un quart des salariés (22%) et plus d’un cadre sur deux (52%) a déjà eu recours au télétravail, au moins de façon occasionnelle. Les salariés portent aussi une appréciation positive sur ces nouveaux espaces puisque 66 % les jugent « efficaces », 79 % « pratiques » et 60 % « tournés vers le bien-être des salariés ».

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