Motivation
S’il n’est pas cantonné à l’organisation du tournoi de ping-pong, le chief happiness officer entend apporter la preuve que dans l’entreprise, le bonheur fait l’argent…

Des gains de performance allant, selon les équipes, de 20 à… 350 %. Voilà les résultats flatteurs que Laurence Vanhée, ancienne chief happiness officer [CHO] de la Sécurité sociale belge, avait obtenu au début de la décennie à la tête de cette institution regroupant 1 400 personnes. « Pour y arriver, nous avons permis à 92 % des salariés d’accéder au télétravail, revu les plans en instituant le fait que plus un bureau, y compris pour la direction, n’était attribué, organisé des universités d’été thématiques stratégiques sur la base du volontariat, recruté des talents en interne plutôt qu’à l’extérieur ou encore décidé de fixer systématiquement ensemble les objectifs de performance », raconte celle qui est aujourd’hui reconvertie en consultante avec un cabinet, Happyformance, qui vient de refaire la stratégie RH de l’Unicef, d’assurer le déménagement de Sanofi ou de transformer l’administration fiscale de Genève…

Au bonheur des ouailles

Cette pionnière qui, en 2009, alors « directrice générale du service d’encadrement du personnel et d’organisation » de la Sécu belge, s’était d’office rebaptisée CHO, n’a pourtant jamais cherché à faire le bonheur de ses ouailles. « Notre boulot n’est pas de rendre les gens heureux, revendique-t-elle. Être heureux, c’est une responsabilité personnelle, et c’est déjà assez difficile comme ça. Notre boulot, c’est de créer les conditions pour que les gens puissent cultiver leur bonheur, et cela en le reliant à la notion de performance car on n’est pas chez les Bisounours, on est dans le monde du travail et si l'on ne peut plus payer les gens à la fin du mois, personne ne sera heureux. »

Si l’argent ne fait pas le bonheur, le bonheur pourrait donc faire l’argent… Pourtant, en France, si la fonction de chief happiness officer tend à se développer, elle n’est pas toujours perçue comme stratégique et comme un levier possible de la performance des collaborateurs. Souvent, la fonction apparaît même comme un poste alibi de directions générales qui cèdent à la mode du temps. « Le CHO est souvent un gadget, c’est vrai, et c’est d’ailleurs souvent le cas en France, constate Laurence Vanhée. On les retrouve la plupart du temps dans des start-up, avec des profils très juniors, ils sont là pour créer du lien social, des événements, faire que la com passe bien, jouer sur le collectif, mais ils n’ont absolument pas les leviers pour transformer la culture et l’organisation de l’entreprise ». Selon elle, en France, « l’image du CHO est plutôt celle de quelqu’un qui organise des tournois de ping-pong ou des apéros, regarde si les chaises sont ergonomiques et fait de temps en temps une enquête de satisfaction. » Mais que l’on ne se méprenne pas, explique-t-elle, « j’ai beaucoup de bienveillance pour eux, mais il ne se passe pas de semaine sans que l’un ne m’écrive pour me dire qu’il est au bout du rouleau car il n’a pas les moyens d’accomplir sa mission. »

Le bien-être, sujet stratégique

Olivier Toussaint, cofondateur du site L’Optimisme et du Club des CHO, qui fédère aujourd’hui pas loin de 200 entreprises autour de cette notion de bien-être au travail, s’insurge. « J’ai l’impression que l’on a systématiquement le même débat à chaque fois qu’une transformation arrive, souligne-t-il. Je me souviens de la transformation digitale, c’était souvent des juniors qui occupaient ces postes du web ou des réseaux sociaux, on pensait que ça n’avait pas d’importance, et regardez où ça en est aujourd’hui, le community management. » Certes, pour lui, la condition du succès d’une telle démarche est que la direction générale et les managers soient effectivement impliqués. Il existe encore beaucoup selon lui, qui diffusent de beaux messages à l’extérieur et qui, en interne, continuent d’assumer 20 % de burn-out. « Et l’on parle souvent de la finalité, des outils, du baby-foot qu’on installe, mais c’est le processus qui a servi à y arriver qui est intéressant, les groupes de travail qui ont permis d’y réfléchir ensemble », remarque-t-il. Pour lui, le thème du bien-être au travail est « le sujet stratégique des vingt prochaines années ». « Ce job-là, j’y crois, dit Olivier Toussaint. Peu importe l’intitulé, qu’on l’appelle chief happiness officer, responsable de la transformation ou de la conduite du changement ou même, comme chez Boiron, maîtresse de maison, du moment que la thématique de remettre de l’humain est prise en compte et qu’il s’agit d’un référent sur la question du bien-être au travail dans l’entreprise. »

CHO depuis un an du groupe Talan, qui compte 2 000 collaborateurs, Chloé Vinel, à 28 ans, fait effectivement partie de ces juniors recrutés en interne à ce type de poste. Mais, pour elle, la question ne se pose pas en termes de place au comité de direction. « Je n’ai pas la sensation que c’est une histoire de pouvoir, estime-t-elle. Ma direction est très preneuse d’initiatives, nous avons créé un réseau de CHO dans la boîte, fêté Halloween, participé à des courses à pied ou monté des ateliers badminton ou danse orientale. Pour l’instant, je n’ai pas la sensation d’être bloquée. Certes, il y a une hiérarchie, mais ma direction est très disponible, quand j’ai une idée je vais la voir, on regarde comment on fait, comment on budgétise, c’est très ouvert. » Et pour preuve de l’utilité de sa fonction, constate la jeune femme, « les nombreux retours positifs » de ses collaborateurs qui se sentent écoutés et peuvent eux-mêmes devenir, à leur tour, force de proposition.

« Il faut de véritables moyens associés »

Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement Clémentine spécialiste du digital et de l’IT.

 

Les CHO sont-ils des profils demandés ?

Emmanuel Stanislas. Non, car ils sont souvent recrutés en interne, soit en faisant évoluer quelqu’un à ce poste, soit en confiant cette mission, comme une seconde casquette, à un élément facilitateur ou organisateur dans l’entreprise.



Est-ce limité aux start-up ?

Non. En fait, on trouve les chief happiness officers essentiellement dans les univers très compétitifs en termes de ressources, avec l’idée de marketer ce type de poste et d’incarner la volonté de l’entreprise de se soucier du bien-être de ses salariés. Cela concerne donc surtout les talents du web, mais pas seulement dans le web. Et il faut aussi une certaine taille pour créer un tel poste. Dans une boîte de dix personnes qui travaillent en open space, on en a moins besoin.



Quelle est la définition du poste ?

Pour certains, il s’agit d’organiser des événements festifs, pour d’autres il s’insère dans un dispositif beaucoup pus sophistiqué, autour des questions de confort au travail, de tout ce qui va au-delà du sujet de la rémunération, avec également la mise en place d’indicateurs de mesure et d’audit de la satisfaction. Mais il faut aller au-delà de la caricature, il faut un fond, une vraie détermination, cela n’a pas d’intérêt si c’est juste une assistante RH qui organise des pots. C’est utile, mais il faut de véritables moyens associés.

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