Organisation
Les collectifs hybrides accélèrent l’efficacité et le déroulement des projets d'entreprises comme AccorHotels ou Orange. Ils peuvent même être des laboratoires pour tester de nouveaux modes de management.

Sans filet. En juillet 2017, une petite révolution a lieu chez AccorHotels. La division Produits digitaux et Innovation met sur pied une équipe pluridisciplinaire d’une trentaine de membres provenant des différentes directions internes (produit, digital marketing, IT, business performance) mais aussi d’agences externes spécialisées dans l’UX et l’UI ainsi que de free-lances… «Nous voulions remettre à plat le parcours client avec un focus sur le processus de réservation, dans une optique de simplification et d’amélioration», explique Soumia Hadjali, senior vice-présidente de la division. Lancé sans accompagnement spécifique, ce processus a certes connu quelques «perturbations», contenues grâce à un management à l’écoute, mais il a surtout permis de mettre en pratique une nouvelle façon de travailler. Chaque mardi et jeudi étaient ainsi organisés des «stand-up meetings» afin de diffuser des informations, partager des nouveautés et prendre des décisions, le tout scandé toutes les quatre semaines par un bilan global.
«Ce dispositif a placé l’ensemble des acteurs face au retour du client sur son expérience, explique Soumia Hadjali. Il a permis d’aligner les discours, favorisé les échanges informels et plus spontanés. C’est un processus qui fait avancer plus vite les projets et crée des équipes auto-apprenantes.» Les premiers résultats ont été observés dès le début de l’année 2018 avec une augmentation à deux chiffres des revenus issus du web direct et des retours indiquant que les clients trouvaient les outils plus simples. Quant aux durées de téléchargement sur mobile et desktop, elles ont été divisées respectivement par quatre et de moitié. Un résultat qui ne surprend pas Christophe de Becdelievre, PDG de Le Hibou, une structure rompue à l’exercice puisqu’elle gère des consultants IT: «Les collectifs hybrides permettent un démarrage plus rapide et sont plus réactifs.»

Les collègues avant les bureaux

Orange compte aller encore plus loin. La Villa Bonne Nouvelle, son laboratoire d’innovation RH, accueille des équipes internes et externes porteuses de projets. «L’enjeu est de construire des liens de qualité entre nos résidents afin de faire émerger un collectif», explique Magali Lahourcade Siccardi, sa responsable. Le dispositif favorise les rencontres physiques à travers des rites pour lancer les projets et évaluer leur avancement ainsi qu’un système de gouvernance qui implique au moins une personne de chaque équipe. La Villa Bonne Nouvelle mobilise aussi un « feel good » manager pour animer cet ensemble, favoriser la qualité des liens et aussi dissiper les tensions.
Les équipes accueillies peuvent s’enrichir des compétences les unes des autres, voire unir leurs talents. «Trois start-up se sont associées pour proposer à Orange et d’autres grands groupes une offre sur mesure d’accompagnement au changement, raconte Magali Lahourcade Siccardi. Elles ont fait venir des personnes de ces groupes pour co-construire leur offre et cette phase s’est achevée cet été.»
La Villa Bonne Nouvelle porte ainsi le collectif hybride vers de nouveaux horizons. «Nous voulons être un espace de “test and learn” afin de comprendre les tendances et pratiques du monde du travail de demain, explique Magali Lahourcade Siccardi. Il est déjà clair que la consommation des espaces devient immatérielle, et s’efface au profit des liens entre les individus. Autrement dit, c’est la qualité du collectif qui va motiver les gens. Ce qu’ils vont chercher à retrouver au travail, ce sont leurs collègues, pas leurs bureaux.» Cette dimension de recherche s’appuie sur la présence au sein de la Villa d’un sociologue et d’un thésard du Cnam. À terme, c’est l’émergence d’un nouveau mode de management qui est visé: «Il est possible de se connecter réellement à 70 personnes mais pas à 3 000, or les campus des entreprises sont plutôt sur ce format. Nous préconisons donc de construire des collectifs plus réduits au sein des campus actuels.»

«Capter l'énergie des créateurs»

Les collectifs hybrides se répandent aussi dans la communication, observe Bruno Scaramuzzino, fondateur et ex-dirigeant de Meanings: «J’observe que de plus en plus de gens se regroupent pour élaborer des projets qu’ils vont proposer à des agences. Ce sont des gens qui quittent les agences dont ils ne supportent plus les contraintes et le reporting mais ils recréent à l’extérieur des liens. Ils sont déjà dans une phase de séniorité et sont à l’affût afin d’intégrer des projets intéressants.» Sa plus récente création, B’ZZ, est au diapason de cette évolution: «B’ZZ se veut un label porteur de contenus, pas une entreprise. J’associe des compétences et je garantis la qualité des collectifs hybrides que je crée.»

Dans la communication, ces collectifs permettent de surmonter les inconvénients des organisations tentaculaires. «J’avais constaté que dans le système traditionnel, avec le créatif séparé du client par de nombreux intermédiaires, l’essence et l’inspiration du brief se perdaient à chacune des étapes», se souvient Sébastien Laading. Cet ancien dirigeant de l’agence de communication digitale Zee Agency s’est associé à Marie Lemaistre, directrice de création, pour fonder Fllow. Leur mission: organiser des ateliers créatifs en lien direct avec les dirigeants. «Cette proximité avec les dirigeants et leurs équipes permet de capter l’énergie des créateurs ou des porteurs de projets, ainsi que la pertinence de leur vision stratégique, explique Marie Lemaistre. De notre côté, nous apportons de la fraîcheur et du recul.»

Trois questions à…

Denis Maillard, cofondateur du cabinet Temps Commun et spécialiste des relations sociales

 

« La réponse à une disparition »

À quoi est dû le développement des collectifs hybrides ?

L’entreprise en tant qu’unité de lieu, de temps et d’action n’est plus adaptée aux attentes des salariés. Elle est en train de disparaître avec l’émergence des moyens techniques mais aussi de nouvelles techniques managériales. L’apparition des collectifs hybrides est une réponse à cette disparition. Se retrouvent maintenant à travailler ensemble des salariés, d’anciens salariés, des free-lances, des prestataires, des intrapreneurs, voire des clients, soit une diversité inédite de fonctions et de statuts.

À quels défis répondent-ils ?
Les collectifs hybrides sont adaptés au mode projet qui est lui-même une réponse à la fin de l’entreprise classique. Les personnes intégrant ces collectifs sont choisies en fonction de leur degré de créativité et d’agilité, censé pallier l’inertie propre aux grandes organisations, mais aussi leur degré d’engagement, a priori plus élevé puisque déterminé par des objectifs précis. Ces collectifs sont aussi une source de fertilisation croisée, même si c’est difficile à mesurer. Ils permettent aussi le maintien de savoir-faire, grâce souvent à d’anciens salariés, c’est le cas dans la métallurgie. En termes de management, ces systèmes offrent une souplesse budgétaire tout en mobilisant les personnes les plus qualifiées.

À quelles conditions peuvent-ils réussir ?

Pour atteindre leurs objectifs, ces collectifs doivent avoir du sens. Cela passe par une communication claire sur les objectifs et le mode de fonctionnement avec un organigramme précis. Expliquer les enjeux est aussi important vis-à-vis des salariés permanents de l’entreprise afin d’éviter l’émergence d’un sentiment postulant que tout un chacun est substituable. Le démarrage d’un tel collectif est aussi capital, à l’instar du « on boarding » des futurs salariés d’une entreprise. L’idéal est de réunir tous les participants pour le démarrage du projet.

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