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Pour un entrepreneur français, s’implanter et réussir en Afrique est possible, à condition d’adopter une approche et une conduite de projet spécifiques. Stratégies a recueilli les conseils de deux consultants spécialistes, respectivement, des marchés africains et du secteur numérique.

Réussir en Afrique exige de modifier son regard, souligne d’emblée Karim Koundi, consultant de Deloitte spécialisé dans le secteur numérique sur le continent : « L’Afrique n’est pas un bloc économique et social homogène, mais 54 pays, avec une zone anglophone, francophone, et des spécificités économiques, sociales, culturelles, légales, et même logistiques pour chaque pays. C’est très important d’avoir ce point à l’esprit lors d’une démarche d’implantation business. » Avec Jean-Paul Huet, de BearingPoint, il livre ses conseils pour réussir son implantation et son développement sur le continent.

 

1/ Garantir les paiements

« Le risque numéro un est d’ordre monétaire et financier », constate Jean-Paul Huet, associé chez BearingPoint, un cabinet de consultants. Se prémunir contre les fluctuations des devises mais aussi contre leur éventuelle pénurie dans les pays, comme c’est le cas de l’Angola ou de l’Algérie, est possible à travers des dispositifs d’assurance, de pré-paiement ou en ayant recours aux services de la Coface. Cet organisme ne couvre cependant pas toutes les régions ni tous les secteurs.

 

2/ Trouver le bon partenaire local

S’aventurer en solo est à exclure. « Il faut trouver un bon partenaire local, souligne Jean-Paul Huet. C’est un facteur clef de réussite pour comprendre les spécificités du pays, bien intégrer les dimensions culturelles, mais aussi pour effectuer un bon recrutement et trouver des clients. » Certaines entreprises envoient leur DRH en éclaireur. En s’appuyant sur les échanges avec des homologues déjà implantés sur place, il est plus aisé de comprendre les règles régissant le marché, officielles ou pas. Un partenaire local peut aussi s’avérer très utile car l’environnement est complexe, ajoute Karim Koundi : « En Afrique, les procédures ne sont pas toujours claires et de nombreux imprévus peuvent survenir comme une évolution du cadre légal et fiscal. Il faut avoir un partenaire local qui connaît bien l’environnement pour réduire ce risque. »

 

3/ Proscrire le copier-coller

Le succès d’un business model en Europe, aux États-Unis ou dans une zone du monde n’augure en aucune façon d’une future réussite en Afrique. « Il faut éviter le copier-coller dans les approches business, ne pas reproduire une approche européenne en Afrique, surtout dans le domaine numérique », assure Karim Koundi. L’e-commerce en offre d’ailleurs un exemple éclairant. Les acteurs qui ont essayé de transposer leur modèle venu de l’extérieur en Afrique ont échoué. En revanche, Jumia, un acteur africain, a réussi parce qu’il a pris en compte les spécificités locales, précise le consultant : « En Afrique, la livraison ne se fait pas par la poste qui gère des adresses mais auprès de personnes via des réseaux logistiques propres. Quant au paiement, il se fait souvent à la livraison et en cash. »

 

4/ Bien étudier le marché... et s'adapter

Déterminer le potentiel d’un marché en Afrique est indispensable mais complexe, rappelle Jean-Paul Huet : « C’est un exercice difficile car les données sont difficiles à obtenir. Des instituts comme Ipsos ou Kantar travaillent sur la question mais les données ne seront pas encore aussi faciles à trouver qu’en Europe. Cela peut conduire à des erreurs comme celle commise par Nestlé, il y a trois ans, qui a surestimé la taille de la classe moyenne à laquelle il voulait s’adresser. » Karim Koundi rappelle que nombre d’informations sont disponibles dans les rapports d’organisations comme le Forum Économique Mondial (Doing Business), ceux du NRI (Network Readiness Index) qui analysent l’état du secteur et de l’infrastructure et des services numérique des différents pays, ou ceux du ITU (International Telecom Union), en particulier le IDI (Infrastructure Development Index). Il faut aussi se garder de l’illusion de marchés sans concurrents. « Ils existent et ils ont une réelle capacité, souligne Jean-Paul Huet. Ils sont l’une des causes de l’échec de Nestlé, par exemple. Il faut aussi proposer des produits adaptés au contexte africain, dont le concept et le pricing sont conformes aux attentes et aux exigences des clients locaux. Cette adaptation peut modifier radicalement le business model. En Afrique, Essilor ne vend pas ses lunettes, il les loue ! »

 

5/ Être dans le concret et se fixer des limites

Enfin, il convient d’éviter de trop miser sur les protocoles juridiques et de s’investir en priorité sur les projets concrets, conseille Jean-Paul Huet : « Cela permet de vérifier l’efficacité du schéma proposé et de démultiplier rapidement. Il faut faire attention aux exclusivités. Nouer un partenariat avec un seul partenaire sur un grand territoire pour une longue durée peut présenter des risques. Il faut aussi, dès l’installation, prévoir des limites d’investissement au-delà desquelles il sera préférable de partir et aussi concevoir un plan en cas de départ forcé du pays. »

Avis d'experte

« L’agriculture, l’énergie et la finance sont les secteurs les plus porteurs en Afrique »

par Stella Bida, « Afropreneure » originaire de la République centrafricaine, lauréate du prix Nouveau Leader du Futur décerné par le Forum Crans Montana

Quels sont les trois traits distinctifs de l’entrepreneuriat africain ?

En dehors de l’immensité du continent et de la spécificité de chaque pays, le premier trait distinctif de l’entrepreneuriat en Afrique est la prédominance du secteur informel, dans lequel, selon un rapport récent de l’OIT, plus de 85 % des personnes actives travaillent. Ce secteur connaît une faible modélisation de la chaîne de valeur. Il y a donc peu d’optimisation entre toutes les étapes de production. Le second est le faible taux de bancarisation, ne facilitant pas les échanges économiques. Aujourd’hui, moins d’un tiers de la population est bancarisée mais ce taux progresse, grâce notamment à des projets basées sur des crypto-monnaies et les solutions via la téléphonie mobile. Le troisième point clef vient du potentiel entrepreneurial auprès des jeunes, puisqu’il est estimé par le Fonds des Nations Unies pour la Population que 60 % des habitants en Afrique sub-saharienne ont moins de 25 ans.

 Quels sont les secteurs les plus porteurs ?

L’agriculture détient le potentiel de développement le plus fort. L’enjeu est de pouvoir faire remonter ce secteur dans l’économie de manière optimale, efficiente et productive. Au Nigeria par exemple, des initiatives permettent de fournir des données aux agriculteurs afin qu’ils puissent cultiver et récolter aux meilleurs moments afin d’optimiser leurs rendements et réduire les pertes. Le second secteur porteur est l’énergie car les besoins en électrification restent importants. Le troisième secteur est celui de la finance, avec les nouveaux modes d’utilisation des moyens financiers comme la mobile money ou les crypto-monnaies.



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