Réseaux collaboratifs
Utilisée par 30 000 entreprises dans le monde, la plateforme collaborative séduit de plus en plus de grands groupes. Son directeur EMEA, Julien Lesaicherre, revient sur ses atouts et ses limites.

L'outil était utilisé chez Facebook sous le nom @work. Depuis qu'il a été adopté il y a trois ans par la Royal Bank of Scotland, l'une des plus vieilles banques d'Europe soucieuse de se réinventer, Workplace s'invite dans les échanges entre collaborateurs à l'intérieur de l'entreprise. «Cela permet de fixer la communication en interne - ce qui est utile pour une organisation décentralisée -, d’embarquer tout le monde dans une direction, de s'assurer que chacun reçoit le message et enfin d'avoir une interaction avec les collaborateurs» synthétise Julien Lesaicherre, directeur de Workplace by Facebook EMEA.

Mobile, expressive, messaging first

Pour une entreprise désireuse de prendre le virage du digital, comment mieux affirmer son positionnement qu’en étant proactif auprès de ses collaborateurs? C'est avec cet argument que Facebook est entré dans l'univers des outils de travail collaboratifs. Nestlé, et ses 320 000 salariés, vient de préférer la plateforme à Salesforce. Il faut dire que le géant américain a un argument imparable: les employés utilisent déjà ses services grand public pour mieux communiquer entre eux. Un milliard de personnes utilisent la fonctionnalité « groups » sur Facebook chaque mois. Julien Lesaicherre a par aussi remarqué que WhatsApp était souvent utilisé entre membres d’un même comex sans que les services RH ou juridiques n'aient été nécessairement consultés. Selon son directeur, l'outil est idéal pour la communication interne: «Ce qui compte, c’est d’être non seulement mobile first mais expressive first, à travers le partage de photos ou de vidéos, et messaging first, en utilisant la messagerie instantanée et des fils continus pour remonter les échanges», soutient-il.

«Culture de la célébration»

Fini donc le mail qui n'est plus utilisé, selon lui, que pour des sujets officiels ou gérer des problèmes, ou qui est envoyé par le patron à 10000 personnes et laissé sans réponse. Julien Lesaicherre se souvient de centaines de commentaires ou de milliers de like en interne pour l'annonce d'une nouvelle fonctionnalité d'Instagram. «RH, finances, toutes les fonctions supports peuvent se sentir concernées. Là, on vient concurrencer l'intranet qui est en général très peu mobile et très peu vidéo». Starbucks, à l'occasion du départ de l’iconique Howard Schultz, en juin dernier, s’est par exemple servi de Workplace pour imposer Kevin Johnson comme CEO. Chaque mois, l'entreprise a organisé des sessions live de questions-réponses auprès de 8000 store managers. «Il y a une culture de la célébration qui est assez inexistante dans les entreprises et que rend possible Workplace», souligne son responsable. L'outil réduit aussi les distances quand une dirigeante de Free veut s'adresser à ses call centers en Afrique du Nord, ou quand Laurent Vimont, président de Century 21, fédère ses franchisés qui sont autant d’îlots dans son groupe. L’occasion de profiter des retours d’expérience des autres agences et de faire émerger les compétences. 

La recherche sur Workplace se fait par groupe ou par poste, et non à partir de sujets préformatés. Heineken construit des groupes par régions pour ses visiteurs commerciaux afin de s’assurer que les promotions sont bien installées, photos ou vidéos à l'appui. «Cela crée une mémoire et une intelligence collectives jamais vues auparavant», estime Julien Lesaicherre. À l'en croire, c'est presque un vecteur d'égalitarisme. À Vistajet, une compagnie aérienne anglaise qui compte 1500 collaborateurs, un concours pour économiser de l’argent sur chaque vol a ainsi été gagné par un homme de ménage : il a réduit la taille des bouteilles de vin sur les jets privés.
Workplace compte aussi ses «groupes secrets» pour réunir des équipes de travail en toute discrétion. À la différence de WhatsApp, son chat permet de partager de longs posts avec des likes ou des commentaires tout en conditionnant les droits de publication aux fonctions. L'idée est aussi de simplifier le flux des tâches (workflow) de l'entreprise : un chatbot peut signaler la présence d’un visiteur, un «interviewer bot» vient préparer à l'entretien en poussant le CV d'un candidat, un «training bot» permet d’assurer le «sign up» lors d’une session… Pas moins d’une centaine de bots sont utilisés chez Facebook. De quoi se robotiser soi-même? «C’est pour être plus productif et passer plus de temps à faire des choses qu’on aime», assure Julien Lesaicherre.

Les risques de l'outil

La plateforme collaborative peut-elle être un outil de flicage? «Ce n'est pas une question qu'on nous pose», répond son responsable. «Ce qui fait la caractéristique de Workplace, c'est son niveau d'engagement dans une optique de confiance et d'ouverture». Reste que les entreprises peuvent toujours craindre de l'espionnage industriel et les salariés, une intrusion dans leur vie privée, via Facebook. Sur le premier point, Julien Lesaicherre rappelle que la plateforme est indépendante en termes d’infrastructures de réseaux, de codes, de serveurs… (voir ci-dessous). Sur le plan de la confidentialité, s'il est vrai que l'on trouve des fonctionnalités communes comme le «safety check», actif depuis octobre - pour alerter un groupe de collaborateurs en cas d’événement -, «Workplace est totalement isolé et séparé de Facebook». Site web, appli, profils, les mots de passe sont différents. Les deux interfaces sont ainsi étanches, celle de l'entreprise étant établie à partir de son annuaire et des adresses email associées. Des partenariats ont été signés par des acteurs de l'identité numérique comme Google et Microsoft. Workplace vient donc se plugger à l'entreprise, qui gère les entrées et les sorties, pour déterminer l'accès aux services. «On ne peut interagir qu’avec les collaborateurs. Ni ami ni famille ni pub ni appli de jeux: l'environnement est clos», conclut le dirigeant.

La carte d'identité de Workplace

Lancé en 2016, Workplace fonctionne comme Facebook et Messenger tout en étant réservé aux collaborateurs. Le service est sans engagement. Ce qui veut dire que toute entreprise peut le quitter quand elle le souhaite. Il est constitué de deux offres, l'une gratuite et l'autre payante, avec des fonctionnalités supplémentaires (live, traduction automatisée des posts…). La plateforme enregistre chaque jour 4,5 milliards de transactions. Le paiement se fait à travers le nombre d'utilisateurs actifs mensuels : 3 dollars par mois par « active monthly user », quel que soit le pays. Pour Facebook, c’est une façon d'assumer le risque si les salariés ne s'en emparent pas.
30 000 entreprises dans le monde utilisent Workplace. Parmi celles-ci, Walmart, Vodafone, Telefonica, Nestlé, Danone, Club Med, Free, Sigfox… « La France fait partie de nos marchés les plus dynamiques et prioritaires », souligne Julien Lesaicherre. Le centre d'ingénierie de la plateforme, qui dispose des capacités de recherche et des fonctionnalités de Facebook, se trouve à Londres. « La sécurité est au cœur de ce qu'on fait, on profite des investissements de Facebook qui opère l'intégralité de ses data centers », relève le responsable. Les codes sont en open source auprès des entreprises tandis que des parties tierces attestent de cette sécurité (via les labels SOC 2 et SOC 3 ou ISO 27001). Des tests de pénétration par des hackers sont enfin possibles pour les entreprises sur Workplace.  Une garantie parlante ? Securitas l'a déployé auprès de ses 300 000 collaborateurs dans le monde.

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