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Après le burn out ou le harcèlement moral, la dépendance affective au travail fait l’objet de toutes les attentions des coachs en bien-être dans l’entreprise. Un vrai frein à l’efficacité collective.

En vingt-trois ans d’accompagnement des salariés, au sein et en dehors de l’entreprise, Geneviève Krebs a pu pister un trouble, qui ne relève ni du burn out, ni du harcèlement moral, mais dont les effets peuvent nuire tout autant à l’individu qu’à l’organisation dans son ensemble. Son nom ? La dépendance affective. La coach y a déjà consacré un premier livre. Le second paraît en février aux éditions Eyrolles. Le titre : Dépendance affective au travail : quand notre bien-être dépend du regard de l’autre.

Constatons d’abord que c’est un trouble largement partagé, et qui est d’autant plus insidieux qu’il n’est pas toujours perceptible comme étant un mal. Aucun doute sur le sujet pour Geneviève Krebs. Sept personnes sur dix qui la consultent ont un rapport direct ou indirect avec l’état de dépendance affective. « On l’est tous, mais à des degrés divers. » Le focus fait depuis plusieurs années sur le bien-être au travail est l’occasion de s’emparer du sujet, d’apprendre à le cerner pour tenter de le contenir.

Victimisation

Ce n’est pas une attitude en particulier qui est en cause, mais plutôt un faisceau d’indices. Selon Geneviève Krebs, tout se joue dans la récurrence des faits. Le dépendant affectif a d’abord tendance à se « victimiser », à établir une communication malsaine – il provoque des disputes avec ses collègues ou un manager -, à culpabiliser autrui, à mal gérer son temps, à chercher coûte que coûte la reconnaissance de ses supérieurs hiérarchiques ou de personnalités qui le valorisent... Et la liste n’est pas exhaustive. « Le dépendant affectif est prêt à tout… pourvu qu’il soit apprécié, considéré, remarqué, aimé. Il se sent visé par chaque regard, mimique ou réflexion, comme s’il était le centre d’intérêt unique des autres. » La peur d’être exclu du groupe l’angoisse… au point de quémander d’en faire partie. « Il mendie l’attention, demande l’aumône d’une présence, d’un moment de partage à en perdre toute dignité. »

Ainsi, loin d’être limitée à la sphère sentimentale, familiale, ou aux relations entre conjoints, la dépendance affective ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise. Le salarié la porte en bandoulière, quel que soit l’endroit. Changer d’entreprise ne résout rien. « Pourquoi un collaborateur atteint d’un tel trouble arriverait-il à le maintenir uniquement dans le cadre de sa vie privée ? Pourquoi cela n’interférerait pas dans un autre contexte ? », interroge Geneviève Krebs.

Des manifestations variées

Problème, la performance d’une équipe peut s’en retrouver bloquée. En présence d’un collaborateur dépendant affectif, les manifestations sont d’ailleurs très variées. Pèle-mêle, on retrouve un manque d’autonomie, un surinvestissement malsain dans des tâches sans réelle valeur ajoutée par peur du vide, un état mélancolique voire dépressif, un défaut de concentration, le besoin de contrôler la moindre communication dans le service ou bien encore un absentéisme marqué. Pour se remettre de sa fatigue liée à l’anxiété et au stress permanent, le dépendant affectif a besoin de s’extirper du monde du travail, de s’accorder des parenthèses. Son comportement est inconstant, avec des hauts et des bas. « Up and down », mais toujours hors norme.

Comment faire face ? Un manager peut profiter de l’entretien annuel pour percer l’abcès. Mais à condition d’agir avec doigté. « Ne jamais nommer le collaborateur concerné est essentiel, insiste l’auteure. Le bénéfice du doute doit être laissé au travail personnel, mais l’entretien individuel est l’occasion d’aborder la problématique. » Quels sont les dysfonctionnements qui pénalisent la performance du groupe ? Soumise à tous les membres d’une équipe, cette question peut aider à la prise de conscience.

Pour le dépendant affectif lui-même, il n’existe ni remèdes ni guérison. Mais il est possible de mieux se connaître pour identifier ses travers et tenter de renverser la situation. Selon Geneviève Krebs, les techniques de développement personnel constituent un réel soutien pour en finir avec le manque de confiance en soi. La coach estime qu’il faut compter une année de travail.

Enfant intérieur

Car cette dépendance est une disposition d’esprit qui vient de loin. De l’enfance. À l’âge adulte, le système est déjà en place. « L’enfant intérieur prend alors toute la place dans un monde d’adulte », explique Geneviève Krebs. Remonter le fil de l’histoire est donc une étape indispensable pour mieux comprendre. Quels sont les profils types concernés ? Les enfants réellement laissés pour compte par leur entourage, ceux qui ont imaginé l’être et – a contrario - ceux qui ont souffert d’une surprotection. Les candidats potentiels à ce trouble sont nombreux...

À noter qu’il ne faut pas confondre le dépendant affectif avec le pervers narcissique, très à la mode. Parfois, la confusion existe. Or, une étiquette plaquée de façon hâtive peut détruire. « Etre qualifié de pervers narcissique relève de l’insulte pour un dépendant affectif, souligne Geneviève Krebs. Le second se pense inférieur, quand le premier est destructeur, a besoin d’écraser l’autre. Le dépendant affectif a tendance à “se faire des films”, le pervers narcissique en joue pour le faire “tourner en bourrique”, pour le blâmer devant les collaborateurs. » Le pire pour un DRH : avoir à gérer simultanément les deux profils.

Trois questions à

Simon Cabanes, cofondateur de l’agence W’Com.

« Une implication hors norme pour se faire reconnaître » 

Savez-vous repérer un collaborateur atteint du trouble de la dépendance affective ?

Autant le dire d’emblée, identifier un dépendant affectif n’est pas chose facile. Si le burn-out ou bien encore le harcèlement sont connus de tous, avec une vraie littérature sur le sujet, rien de tel avec la dépendance affective. L’un des points de la dépendance affective semble être l’implication hors norme pour se faire reconnaitre ou attirer l’attention. Mais, avec une jeune boîte, notre vie tourne autour de l’entreprise, à 200 %.



Dans une très petite entreprise (TPE) comme la vôtre, est-ce un sujet de vigilance ?

2018 a marqué un virage pour W’Com. De 10 salariés, elle est passée aujourd’hui à 17. Je construis ma vie en fonction des différentes étapes de cette société, avec la peur que cela s’arrête. Dans un pareil contexte de patron de TPE, difficile de jauger si un collaborateur développe des signes avant-coureurs de dépendance affective… Un poste de directeur de projets devrait être créé dans les semaines à venir. Résultat : une petite compétition s’est instaurée entre nos collaborateurs. C’est à celui qui sortira les meilleurs concepts, par exemple. Mais, de là à distinguer un dépendant affectif ! Pas facile non plus de différencier ce qui relève de la stratégie ou de la manipulation…



De quelle aidez auriez-vous besoin ?

On n’apprend pas à manager. Et c’est tout autre chose de le faire avec cinq, dix ou près de vingt salariés. Cette phase de maturité atteinte –notre chiffre d’affaires en 2018 se situe à un million d’euros-, comment mieux manager est une vraie interrogation. Forcément, la remise en question est quotidienne. Nous n’avons pas envie de voir partir nos salariés, mais bien de développer des conditions de travail qui leur permettent de s’épanouir. Avec une entreprise en croissance, une boîte à outils plus étoffée s’avère nécessaire.

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