Métier
Journocamp, HybLab ou encore prix MoJo sont quelques-unes des pistes explorées par les médias pour encourager l’innovation. Tour d’horizon à l’occasion de la 9ème Conférence nationale des métiers du journalisme.

On connaissait les incubateurs, les hackathons ou encore les murs de Post-it, caractéristiques des méthodes Agile. Pourtant, pour encourager l’innovation, les médias sont nombreux à tester de nouvelles techniques, pour la plupart centrées sur des modes collaboratifs. À l’occasion de la 9ème Conférence nationale des métiers du journalisme (CNMJ) qui s’est déroulée le 24 janvier à la Sorbonne à Paris, autour du thème « Les journalistes doivent-ils innover ? », plusieurs de ces initiatives ont été présentées. Parmi elles, Journocamp, qui réunit régulièrement les data-journalistes des rédactions de PQR (presse quotidienne régionale). Initié par le groupe Centre France, qui a accueilli la première édition dans le Puy-de-Dôme en octobre 2017, ce format a depuis été renouvelé au Parisien en juin 2018 puis au Télégramme en octobre. « Dans chaque rédaction, les data-journalistes sont assez isolés car peu nombreux. L’idée avec Journocamp est de les faire se rencontrer pendant 48 heures et de réfléchir sur des problématiques communes. Le partage nourrit l’innovation », explique Cédric Motte, journaliste et développeur éditorial au groupe Centre France. « C’est la fin du système propriétaire, estime pour sa part Arnaud Le Gal, rédacteur en chef aux Echos. Aujourd’hui, ce qui fonctionne, c’est d’être en système ouvert. »

Une équipe hybride d'étudiants

Ouest France, Le Télégramme ou encore France 3 sont quelques-uns des médias à avoir participé ces derniers mois à un HybLab organisé par le cluster Ouest Médialab. Le principe ? Réunir pendant trois ou quatre jours des étudiants d’horizons divers (en journalisme, graphisme, informatique…) et les faire travailler sur des projets médias notamment, sélectionnés au préalable à travers un appel à projets. Créé en 2016, ce format hybride (mi-étudiants, mi-professionnels, d’où son nom) a par exemple donné naissance à une infographie animée sur les parrainages des candidats à la présidentielle de 2017, publiée sur le site de Ouest France, ou encore une visualisation 3D de la transformation de la ville de Brest ces dix dernières années, mise en ligne par Le Télégramme. « C’est davantage le chemin qu’on fait ensemble qui est intéressant que le résultat, explique Julien Kostrèche, directeur du Ouest Médialab. L’apporteur de projet – média, collectivité locale, association ou entreprise – doit s’impliquer sans être commanditaire. C’est un format qui peut permettre aux médias d’accélérer sur l’innovation. »

Des salariés qui forment leurs collègues

Autre initiative présentée, un module de formation interne au groupe Ebra, intitulé Agilité numérique, réalisé dans le cadre d’un plan plus vaste. Dix journalistes du groupe (cinq de L’Alsace et cinq des Dernières nouvelles d’Alsace), eux-mêmes formés pour l’occasion par CCM Benchmark et l’ESJ Pro, ont animé ce module, qui a concerné 127 journalistes et assistants de rédaction entre novembre 2018 et janvier 2019. « L’avantage de recourir à des salariés chargés de former leurs collègues, c’est qu’on parle la même langue, qu’on a les mêmes problématiques. C’était une formation assez horizontale, qui a favorisé l’entraide », se souvient Aude Gambet, journaliste aux DNA qui a assuré deux de ces sessions. Au Télégramme, un prix de l’innovation encourage depuis plusieurs années les salariés à soumettre leurs projets, dont les meilleurs sont récompensés par une prime. « La créativité se provoque. Il faut une réelle volonté de l’entreprise », insiste le directeur général adjoint du groupe, Yves Bonnefoy.

Un concours pour les journalistes mobiles

Au sein du groupe M6, la création d’un prix MoJo, qui récompense depuis 2017 un étudiant en journalisme mobile en lui offrant un contrat d’un an au sein des rédactions, a aussi favorisé l’innovation en interne. « L’intégration de la première lauréate a permis à la rédaction d’être un peu plus concernée par l’évolution des pratiques. Plus globalement, le tutorat, que nous avons mis en place pour les stages longs et les contrats pro, permet également au candidat d’évangéliser son tuteur », souligne Basma Bonnefoy, secrétaire générale de l’information à M6.
Au-delà de ces quelques initiatives, l’innovation peut parfois venir de choses simples, comme une idée soufflée par un stagiaire ou un salarié d’un tout autre service. « Quand un jeune fait une proposition qui peut être innovante, il faut avoir l’organisation qui permette de l’écouter. C’est important de faire de la place aux idées », insiste Soizic Bouju, directrice générale du groupe Centre France.

L’innovation, ça s’apprend

Au-delà des fondamentaux, les écoles de journalisme ont développé des modules pour cultiver l’esprit d’innovation chez leurs étudiants. Cela passe par des expérimentations technologiques, comme une initiation à la réalité virtuelle à l’ESJ Lille ou un travail sur le son binaural à l’IUT de Lannion. Des incitations à l’entrepreneuriat sont également proposées, avec par exemple un atelier destiné à la conception de propositions journalistiques innovantes à l’Ijba. Enfin, dans la pédagogie elle-même, les écoles font preuve d’innovation, comme à l’IPJ, où une session « journalisme et nombre » mêle des étudiants en journalisme et en mathématiques. « Plus que de former à l’innovation, les écoles inculquent une certaine manière de penser, de se débrouiller… », résume Charlotte Menegaux, responsable des enseignements numériques à l’ESJ Lille.


Avis d’expert

« Les médias sont contraints d’innover »
Jeremy Caplan, responsable innovation à la City University of New York


L’innovation peut-elle être enseignée ?
Oui, elle doit l’être. Chacun en école de journalisme doit pouvoir créer quelque chose de nouveau par ses propres moyens, même si c’est juste pour s’entraîner ou apprendre. Ça peut être une nouvelle newsletter, un podcast, un site… Les étudiants apprennent ainsi à répondre à un besoin, impliquer les gens dans le projet, gérer les coûts et les difficultés… C’est à la fois un état d’esprit et des compétences.


Le secteur des médias est-il plus innovant que d’autres ?
Je ne le trouve pas particulièrement innovant. Pendant longtemps, ce secteur avait de bonnes marges, il y avait d’importantes barrières à l’entrée, ce qui a freiné la concurrence et les investissements des médias dans la technologie ou la R&D. Aujourd’hui, tout le monde a un téléphone portable qui permet de diffuser dans le monde entier, chacun pouvant ainsi créer son propre média. Ce nouvel écosystème contraint les médias à innover.

Les journalistes freinent-ils l’innovation ?
Les journées ne font que 24 heures et il y a déjà tellement de choses qu’on demande aux journalistes de faire, parfois avec des équipes plus petites, sans formation adéquate. Le changement d’écosystème met beaucoup de pression sur les journalistes et les équipes de rédaction. Nous avons besoin de leadership pour encourager la formation et repenser l’organisation des rédactions. C’est un processus douloureux mais qui peut aussi se révéler excitant. Pour les jeunes journalistes, c’est la première fois qu’ils peuvent trouver de bons postes en sortant de l’école. Cela donne sur le terrain de nouvelles idées, une nouvelle énergie, une nouvelle diversité qui va aider les médias à changer dans le bon sens.

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