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Passé le temps des paillettes des happy few de la communication, nombreux sont les publicitaires à tenter de suivre une autre voie. Jeunisme ambiant, quête de sens, passions contrariées… Les motifs sont multiples et les réussites pas toujours au rendez-vous.

Julien Herault a tout juste 38 ans. Cet ancien directeur de publicité en est déjà à sa deuxième reconversion. La première – achat, vente et réparation de Porsche – a capoté. À défaut de trouver le nombre de mètres carrés adéquats pour agrandir son garage, il a jeté l’éponge au bout de trois ans. Depuis fin 2017, il s’adonne à la distribution d’huîtres. Le nom de son nouveau challenge : Konkaven (Cancale en breton). « J’ai toujours pensé qu’on vieillissait mal dans la pub », commente amusé celui qui a bossé chez Radio France, NRJ ou bien encore Antenne Réunion.

Tout le monde a un nom de star de la pub reconvertie en tête. Pêle-mêle : Thierry Ardisson, Étienne Chatiliez ou Frédéric Beigbeder. Parmi les plus jeunes, on retrouve Nora Hamzawi, humoriste, ou bien encore Adrien Taquet, récemment promu secrétaire d’État à la protection de l’enfance. Julien Féré, professeur associé au Celsa, par ailleurs directeur de la communication externe Voyages à la SNCF, décrit une trajectoire bien connue : « Entre 30 et 40 ans, devant toute l’énergie que vous déployez, la communication ou la pub vous consacre star. Le vent tourne après 40 ans. Plusieurs signes mettent la puce à l’oreille : une mise en avant qui va decrescendo ; la nomination d’un supérieur plus jeune que vous... Plus vous montez, plus c’est dur de rester, plus votre coût est rapporté à l’aune de ce que vous rapportez. C'est une énorme angoisse. »

 

Effets de mode

La pyramide des âges traduit ce jeunisme ambiant. Selon les chiffres de l’Association des agences-conseils en communication (AACC), 49% des salariés ont moins de 35 ans. En agence, 61% des effectifs ont moins de cinq ans d’ancienneté. BDDO fait un peu mieux avec sept ans en moyenne. Aujourd’hui, la reconversion n’est plus taboue. « Cette phase est complètement rentrée dans les mœurs, souligne Christelle Gonidec, directrice des ressources humaines chez BDDO. La parole s’est libérée, et peu importe l’âge. »

 

Le curseur bouge. Les départs se font de plus en plus précoces, la trentaine à peine entamée. Un ancien de CLM BBDO est aujourd'hui directeur d'une agence Banque Populaire à Montrouge. D'autres montent leur start-up. Mais la mode est à la sophrologie, à la naturopathie, au yoga et plus largement au bien-être. « Quelques années auparavant, la décoration intérieure avait la cote, dixit Alexia Davin, adjointe de la directrice du département salariés-demandeurs d’emplois de l’Afdas (1). Si on remonte davantage encore, c’était la cuisine ou la pâtisserie. Les tendances sont très liées à la télévision. » Mais l’éclectisme prime : Miranda Salt, ex-dircom de l'agence BETC, a ouvert une galerie d'art ; la créatrice de l’agence de communication Milbox, Géraldine Dalban-Moreynas, a fondé un magasin de déco : M.concepstore. « La nouvelle génération est en quête de sens, ajoute Julien Féré, aussi les jeunes se sentent-ils en porte-à-faux avec ce système mercantile qui brasse des millions. Ecœurés, ils sont nombreux à changer de voie. »

Phénomène marginal ou raz-de-marée ? Alexia Davin voit passer 273 dossiers en 2018 – un chiffre en progression de 13 % – dont 220 ont été acceptés (+50 % en un an). Mais toutes les reconversions ne passent pas par là. « La marque de fabrique des pros de la communication ou de la publicité est d’être ouverts sur le monde, d’être sensibles à l’évolution de la société, du monde culturel… Ils ont en commun cette sensibilité aux micro-changements de la société et se retrouvent là où ça bouge », explique Caroline Marti, professeure des universités, chercheure au laboratoire de recherche en sciences de l’information et communication (Gripic) du Celsa. 

Pas de succès garanti

 Pour autant, la partie n’est jamais gagnée d’avance. « Les parcours ne sont pas linéaires, prévient Alexia Davin. L’installation n’est pas toujours immédiate. » Tiffanny Maquin-Roy ne la démentira pas. Directrice influence et listening chez Socialyse France, elle s’est lancée dans la maroquinerie. Une fois son CAP en poche, « elle ne savait plus trop quoi faire de son projet ». Elle est retournée en agence. « Se refaire une place dans une structure qui a évolué est compliqué. L’aller-retour est difficile », confie-t-elle. Elle a fini par démissionner. C’était en octobre 2018. Quatre mois plus tard, elle rebondit avec le développement d’ateliers DIY – do it yourself – en maroquinerie.

Havas recense deux demandes de reconversion par mois, vingt par an. Seul un tiers transforment l’essai et créent leur structure. Pour faire face à une précarité à laquelle elle ne s’attendait pas, Cécile Legras, ex-chef de groupe TV au sein du groupe devenue naturopathe à Paris, a dû prendre un boulot d’hôtesse d’accueil à côté. Le prix à payer pour être en adéquation avec soi-même.

Pour aborder au mieux ce virage, les sept à dix heures de conseil en évolution professionnelle – auxquelles a droit tout salarié – peuvent se révéler utiles. L’occasion d’aborder les débouchés du métier visé, la nature des contrats de travail, les horaires, la viabilité du projet... Mieux vaut partir en reconversion avec un plan business que de se convertir sur le tard au business plan.

Avis d'expert

« Des jeunes passionnés... de pas grand-chose »

Christine Fourcade, responsable formation du groupe Havas, membre de la commission sociale de l’AACC.



Quelles sont les qualités des pros de la communication et de la publicité appréciées dans d’autres secteurs ?

Ce milieu est moderne. Des années 60 à aujourd’hui, le « silotage » y est absent. La disposition à entrer en contact y est prégnante, à vendre des produits ou des services… invendables ou bien encore à raconter des histoires. Changer de direction implique de développer de nouvelles relations, d’autres projets, de s’associer pour monter sa propre entreprise…. Aussi, l’expérience acquise dans ce secteur constitue-t-elle une boîte à outils qui sert partout. Je sais démarcher. Je sais parler de moi. Je sais faire parler de moi. Aussi, se réinventer une carrière professionnelle est probablement plus facile. D’ailleurs, on retrouve bien les techniques de la pub dans l’univers des start-up.



Pour quelles raisons les candidatures à la reconversion semblent-elles se multiplier ?

Ce qui nourrit les reconversions est l’arrivée de jeunes passionnés de… pas grand-chose. La publicité leur a offert l’opportunité de découvrir plein de choses : la photo, la production numérique, l’art… Leur vie commence quand ils intègrent ce monde-là. Leur maturité est décalée. Et la prise de risques est minime avec la législation actuelle. Le salarié peut partir en formation, conserver son salaire et même retrouver son poste à l’issue – si le projet de reconversion est contrarié.



Pourquoi ces jeunes sont-ils en panne de motivation ?

L’école s’est plantée. Pendant des années, la formation initiale a complètement banni les métiers techniques, l’artisanat. « T’écris plutôt pas mal, va dans la pub ». On a envoyé des quantités de jeunes faire des études supérieures quand bien même ils voulaient devenir apiculteurs… Les reconversions d’aujourd’hui ? Le résultat d’une Éducation nationale qui n’a pas fait son job !

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