Ressources humaines
Comme les Omniwomen ont permis de le mesurer, la féminisation des postes à responsabilité est de plus en plus un enjeu de réussite de l’entreprise. À condition de ne pas exclure les hommes.

Ce n’est pas tout à fait anecdotique. Pour la première fois, Omniwomen, le colloque du réseau Omnicom qui s'est tenu le 6 juin au pavillon Wagram, comptait quelques hommes à la tribune comme Mickael Picart (SNCF) ou le producteur Maxime Ruszniewski (Fondation des femmes). Consacrée à la mixité comme moteur de transformation des entreprises, cette série de tables rondes n’entendait plus, comme lors des deux éditions précédentes, exclure les hommes de l’échange d’expériences entre femmes. « L’environnement a changé avec Metoo, explique Anne Vincent, vice-présidente exécutive de TBWA. On était dans un entre-soi au départ, mais les hommes ont aujourd’hui envie d’être partie prenante sur l’articulation féminin-masculin. » Une étude BVA, présentée à Omniwomen, a montré que la mixité importe peu dès lors qu’il s’agit de se livrer à un exercice genré ou stéréotypé, mais qu’elle est essentielle si l’on veut être plus créatif et plus original. « Quand on arrive à bien organiser la mixité, c’est un vecteur de créativité, un moteur de transformation et la possibilité de générer des solutions plus audacieuses », souligne la dirigeante. Essentiel dans la pub quand on songe que la France ne compte qu’une seule « directrice de la création », à savoir Anne de Maupeou.
À Clear Channel, Boutaïna Araki, directrice générale, revendique aussi une approche large, fondée sur l’inclusion et la diversité, plutôt que sur la seule question des femmes. « On ne veut surtout pas créer de l’exclusion, explique-t-elle. Il ne s’agit pas de pousser les hommes dehors mais d’accompagner l’organisation pour que petit à petit, les femmes trouvent leur place. » Le groupe d’affichage, qui compte trois femmes sur onze en son comex, privilégie l’intelligence collective, avec des séminaires où il propose des jeux de rôle à l’aveugle : chacun est invité à se mettre dans la peau d’un salarié confronté à un environnement difficile. Et une quarantaine d’ambassadeurs ont pour mission de promouvoir les valeurs d’équité et le savoir-être.

L'après-Weinstein

La dirigeante constate d'ailleurs un changement d’attitude assez net depuis l’affaire Weinstein. Quid de la culture de la galanterie, si française, qui peut se révéler bienvenue et plaisante, comme déplacée et sexiste ? « La frontière n’est pas très simple mais nous allons vers un équilibre plus juste pour tout le monde », estime-t-elle. D’ailleurs, l’arrivée du digital – qui nécessite peu de manutention – contribue à féminiser le métier d’afficheur.
À l’Institut du capitalisme responsable, la directrice générale Caroline de La Marnierre alerte toutefois contre la « gender fatigue ». « Il peut y avoir une forme de lassitude quand les hommes se disent que les opportunités sont pour les femmes, remarque-t-elle. Il s’agit d’avoir un discours sur l’équilibre et non pas sur le féminin. » De son côté, Valérie Accary, présidente de BBDO Paris, estime qu'il faut chercher « non pas le féminisme mais à croître ensemble, non pas la rupture avec les hommes mais un mouvement en positif, en commençant par la parité salariale ».

Il est vrai qu’il y a fort à faire en la matière : l’écart entre les sexes est de 18,4% sur les contrats pleins et de 9% à compétences et travail égal, selon l’Insee. Mais comment rattraper un tel retard quand les femmes sont pénalisées dans leur avancement dès qu’elle partent en congés maternité ou se consacrent principalement aux enfants ? Valérie Accary insiste sur la flexibilité des horaires. Une demi-journée de télé-travail par semaine est d’ailleurs consentie dans son entreprise. La présence des femmes aux comités de nomination est aussi précieuse. Aux Omniwomen, Brigitte Grésy, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, a proposé d’aller plus loin en mettant des objectifs chiffrés pour mieux assurer la présence féminine dans les comités exécutifs et en incitant les hommes à s’occuper de leurs enfants : « Il faut rendre le congé paternité obligatoire, dans de plus en plus d’entreprises, les hommes ne le prennent pas. »

Un vertical « has been »

Aux Assises de la parité, le 20 juin, elle a aussi rappelé que l'innovation peut être sociale et pas seulement tech. Bref, que la féminisation des postes à responsabilité doit contribuer à modifier les trajectoires de l'ensemble des cadres. « Est-ce qu'une belle carrière, ce n'est pas avec des respirations – de l'audit après le management par exemple – et non pas que sur des critères managériaux ?La transformation passe par le changement des process. » Dans la publicité, cette vision non linéaire est très pertinente car, note Anne Vincent, on arrive vite sur un plateau en termes d'ascension professionnelle : « Le vertical et le linéaire sont complètement has been, observe-t-elle, et ce d'autant plus qu'on est amené à travailler de plus en plus tard. »
Mais comme le rappelle Valérie Accary, le combat pour la mixité passe par l’affirmation des femmes. Omniwomen, qui s’est fixé pour objectif d’arriver à 50% de femmes leaders, revendique ainsi d’être un groupe de pression pour mettre en avant des talents : « Il faut pouvoir dire telle femme veut telle job. » Il en va d’ailleurs de la performance des entreprises : « Si nos produits sont intégralement pensés par les hommes, l’expérience sur nos plateformes va être biaisée », a constaté le 20 juin Florence Trouche, business director chez Facebook France, où on ne compte qu’un quart de femmes dans la recherche. Éviter les biais, y compris les biais inconscients dans la représentation des métiers de pointe, c’est aussi une lutte de tous les instants. Selon l’ONU, le PIB mondial pourrait progresser de 26% si les femmes ont la même place que les hommes sur le marché du travail.

Un long chemin vers la parité

Les chiffres d’Ethics & Boards mesurent l’évolution de la part des femmes dans les structures de direction. Si en 2013, on ne comptait que 26% d’administratrices dans les conseils d’administration, 18,5% de cadres dirigeantes dans le top 100 du SBF 120 et aucune présidente, on constate six ans plus tard 44,9% d’administratrices, 23,4% de cadres dirigeantes et 10 directrices générales ou présidentes (SBF 120). Quant aux comités exécutifs, ils ne se sont que très faiblement féminisés, à hauteur de 18,2% contre 12% six ans plus tôt (SBF 120).
Si la loi Copé-Zimmermann de 2011 a donc joué favorablement sur les conseils, la féminisation au sommet reste encore à faire. « Il y a une très lente évolution au niveau des Comex, souligne Caroline de la Marnierre, directrice générale de l’Institut du capitalisme responsable. À ce rythme, il faudrait 35 ans pour arriver à la parité. » Concernant les postes à responsabilité, les deux tiers des femmes présentes au comex sont dans les fonctions supports (RH, marketing, juridique, etc.) et non dans l’opérationnel. 15% des comex du SBF 120 ne comptent aucune femme. Et quelques sociétés se singularisent encore par l’absence de femmes au conseil d’administration (Airbus) ou au directoire (Vivendi).
« Les femmes positionnées à de très hauts niveaux prennent un nom de poste masculin car cela fait plus sérieux, note Caroline de La Marnierre, si on l’accepte, cela veut dire que la culture d’entreprise en faveur de la mixité n’est pas là. » Selon elle, il faut faire évoluer les modes de management, en rendant les horaires plus flexibles, et accompagner les femmes tout au long de leur carrière. Y compris en les incitant à prendre la parole : en 2019, sur 80 assemblées générales, près des trois quarts des interventions sont le fait d’hommes, lesquels disposent d’un temps de parole deux fois supérieur à celui des femmes.

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