Management
Les directeurs commerciaux sont touchés par la vague de digitalisation et les nouveaux rapports qui s’établissent entre agences et annonceurs. Sommés de maîtriser les nouvelles expertises, ils doivent devenir des accélérateurs de transformation au profit de leurs clients.

La marée digitale n’a épargné personne en agence. Comme les créatifs, qui passent pour le coeur vibrant des agences, les fonctions commerciales, aussi, sont sur la brèche. Selon Tiphaine du Plessis, directrice générale de BETC et de BETC digital, cette révolution a introduit « une accélération générale et une intolérance à toute expérience négative ». Désormais, « il faut assurer une fluidité seamless [ininterrompue] de l'expérience client et une grande réactivité. » 

Les exigences des annonceurs ont aussi muté, ajoute Séverine Autret, directrice générale et partner de FF Paris (Fred & Farid) : « Les attentes en termes d'expertises sont plus fortes depuis que le social media a pris l'importance qu'il a aujourd'hui, et avec la multiplication des points de contact. Aujourd'hui, on ne peut pas concevoir une bonne stratégie sans une analyse fine de nos cibles, qui inclut aussi la connaissance du parcours consommateur. » En conséquence, les fonctions commerciales ont dû procéder à une montée en expertise. Pour Séverine Autret, elle s'est faite essentiellement par immersion dans le réel, faute de formation disponible et de temps : « J'ai eu la chance d'être rapidement plongée dans des éco-systèmes complexes d'agences qui combinent expertise média, CRM, digital, web... Cela assure une montée en compétences plus rapide. »

Tiphaine du Plessis pointe une autre évolution majeure pilotée par les consommateurs : désormais, ils attendent des marques qu'elles jouent un rôle dans le changement sociétal. Là encore, le rôle du directeur commercial en a été impacté : « Il doit être en avance de phase par rapport aux mutations de la société et aux évolutions technologiques pour apporter le meilleur accompagnement à ses clients. » Projeté au rang de « détecteur des transformations en cours », il doit devenir un « accélérateur pour les intégrer au profit de ses clients ».

Challenger en permanence les méthodes

L’avènement du « mode projet » a modifié les critères de choix pour les pitchs. « Qui dit “mode projet” dit souvent agilité, court terme et budget limité, résume Séverine Autret. Dans ce cas, il est fréquent que le client achète une équipe, au moins autant qu'il achète une idée. La première rencontre avec le client est alors déterminante. » La pression permanente sur les délais et l’exigence d’agilité a aussi modifié les relations que le directeur commercial entretient avec ses troupes, ajoute Tiphaine du Plessis : « Il doit être en mesure de challenger en permanence ses méthodes et d’inventer de nouvelles façons de travailler. Il faut se requestionner en permanence. »

Marc de Torquat, cofondateur et dirigeant du cabinet Shefferd, rappelle l’évolution du rôle des agences. Elles accompagnent les marques dans un monde ultra-réactif « où l'immédiateté prime et où la communication doit s'adapter en permanence à de nouvelles technologies ». Il y a une décennie, la plupart des marques avaient une agence attitrée qui réalisait l’essentiel de leurs campagnes. Un temps révolu, selon ce spécialiste du recrutement : « Aujourd'hui, les agences sont soumises à des appels d'offres plus fréquents sur des budgets plus réduits. Une marque répartit l'ensemble de son budget entre plusieurs agences. » Autre changement notable, induit par la digitalisation, les outils de mesure de performance sont sans commune mesure avec ceux utilisés il y a quelques années : « L'annonceur attend des KPI plus nombreux et détaillés. Le directeur commercial est désormais tenu de montrer qu'il y a des résultats. »

 

Un rôle d'intermédiaire

Mais est-ce réellement un changement pour la fonction ? Alban Callet, directeur général de Tribal Paris (DDB), laisse percer une forme de scepticisme : « Une marque ne choisit pas une agence en fonction du directeur commercial mais pour sa réflexion stratégique, sa créativité, l’intelligence de ses dispositifs. Le directeur commercial joue un rôle d’intermédiaire, il apporte de la pédagogie, il évite les frictions. Ce positionnement n’a pas beaucoup évolué depuis vingt ans. » Il estime que le métier consiste toujours à comprendre la problématique du client pour bien la restituer aux créatifs et aux planneurs. Et, bien sûr, à entretenir la relation au quotidien. Au final, « les commerciaux doivent être multi-cartes pour gérer à la fois les enjeux des clients tout en ayant une sensibilité en termes de créativité. » Reste que l’environnement a évolué, faisant place à une concurrence plus acharnée et une durée des contrats plus réduite. Alban Callet l'admet volontiers, mais il prône une attitude pragmatique : « “Turbulence is the new normal”. Je n’ai jamais connu de larges périodes de stabilité avec les clients. Et puis une relation de longue durée peut être plus difficile à gérer que la lune de miel avec un nouveau client… »

Il n’empêche, le futur reste à écrire. Comment va évoluer la fonction de directeur commercial ? Pour Séverine Autret, il restera sans aucun doute le « chef d’orchestre des agences », à côté des spécialistes, alors que Marc de Torquat l’imagine « de plus en plus accompagné par des spécialistes de la data du fait de cette focalisation sur le ROI. » Déjà difficile, le rôle de patron du business a toutes les chances de devenir encore plus complexe avec une dimension digitale encore plus marquée.

« Un job clef et ingrat »

Édouard Pacreau, associé de Olivier Altmann, livre sa vision du poste de directeur du développement.



Les agences peinent-elles à trouver des profils commerciaux ?

La publicité ne fait plus rêver. Je suis un peu sceptique par rapport aux écoles spécialisées du secteur. Ces jeunes paient finalement assez cher un cursus pour avoir accès à des stages qui vont constituer leur véritable formation. Mais les commerciaux ne sont pas difficiles à trouver, certaines agences en achètent même « au kilomètre ». La difficulté tient à la sélection. Il faut être attentif, vérifier leurs compétences et cerner leur personnalité.



Quel est le rôle du directeur de développement en agence ?

C’est un job clef et ingrat. Les agences doivent en permanence engranger de nouveaux business. Le temps où les annonceurs étaient fidèles à une agence pendant dix ans est terminé. Les directions des achats demandent que le contrat soit remis en jeu tous les trois ans et 90 % des nouveaux business passent par les compétitions officielles soit en direct, soit via des cabinets chargés de choisir les agences. Aujourd’hui, le process d’un pitch s’est considérablement alourdi avec, pour commencer, une long list pouvant réunir jusqu’à 12 agences, chacune devant se présenter devant la marque mais aussi répondre à une question libre qui ressemble à une recommandation stratégique. Et ce n’est qu’alors que peut enfin débuter le pitch entre les agences short-listées.

Quel est l’avenir de cette fonction en agence ?

C’est un poste dont l’importance ne va cesser de croître. Il faudra qu’il soit en osmose avec les patrons de l’agence car il doit avoir leur confiance et intégrer leur analyse et point de vue dans les dossiers de présentation qui seront envoyés au client et plus globalement sur la marche à suivre du début à la fin d’un pitch. Mais attention, c’est un métier usant et difficile.

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