RH
La quête de sens a envahi la sphère économique. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’organiser pour accompagner leurs salariés à mieux s’investir et à défendre des causes qui leur sont chères. Quand militantisme et salariat font bon ménage.

Le credo d’Isabelle Poitou : les déchets solides en mer, visibles à l’œil nu, et leur impact sur l’environnement. De son cri de colère devant cette beauté souillée, devant cette « pollution orpheline » car ignorée jusque-là des scientifiques, est née une association : Mer Terre. Vingt ans d’engagement professionnel pour cette scientifique implantée à Marseille, à un kilomètre de la côte. Avec de plus en plus souvent dans son sillon des salariés venus donner un coup de main pour nettoyer les plages, comme le 28 septembre dernier sur les îles du Frioul. « L’association reçoit de plus en plus d’appels de salariés qui veulent s’engager seuls, ou avec le concours de leur entreprise, sur leur temps de travail. C’est aussi une manière de voir l’envers de la société de consommation », observe Isabelle Poitou. À dire vrai, son téléphone ne sonne pas tous les jours, ni toutes les semaines, mais suffisamment pour percevoir la montée en puissance de cette volonté d’agir, de combiner militantisme et salariat.

La voie du mécénat de compétences

La quête de sens se diffuse comme une trainée de poudre. Le militantisme partagé est une réponse. « Les entreprises organisent des à-côtés, comme la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ou autre engagement auprès d’associations, parfois pour faire avaler la pilule de métiers dont le sens n’est pas toujours évident, commente Alexandre Pachulski, confondateur de Talentsoft, leader européen en solution « cloud RH ». Mais un tel leurre ne dure jamais. Si cet engagement ne correspond pas à une conviction profonde de l’entreprise, il passera à la trappe à la première surcharge de travail. Quand la prise de position est alignée avec la mission de l’entreprise, alors elle devient moteur. »



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Spécialisée dans la gestion de talents, Talentsoft soutient notamment l’association Nos quartiers ont du talent, qui promeut l’accès à l’emploi de jeunes diplômés. 

Dix jours à la SNCF, un jour par an chez BNP Paribas Personal Finance, sept chez l’éditeur de logiciels Salesforce ou bien encore un jour par mois chez Ecosia, qui se définit comme un « moteur de recherche écologique »… les entreprises aménagent des temps d’action – sur la période de travail – pour soutenir des associations extérieures. Toujours sur la base du volontariat. 31 % des dirigeants convaincus accordent au moins deux jours de mécénat par collaborateur, 38% au-delà d’une semaine. Amaury Delplancq, directeur commercial chez Salesforce, s’est ainsi lancé dans le projet Lightforce, pour apporter au Kenya, au Brésil, au Sénégal ou bien encore aux Philippines des lampes à énergie solaire à des communautés privées d’accès à l’électricité. Avec l’idée d’embarquer partenaires et clients. Autre exemple : 60 de ses collègues sont devenus mentors : ils forment des développeurs – 2 000 au total – dans le cadre de l’opération ParisCode. 

Cette formule séduit de plus en plus, depuis quatre ou cinq ans. D’après le baromètre de l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), 20% des entreprises adeptes du mécénat adoptent cette pratique, majoritairement des grandes boîtes. Les très petites entreprises (TPE) sont 19 %. Quand même ! Pour reprendre les propos de Philippe Assedo, à la tête de la direction des relations institutionnelles et coordination RSE chez BNP Paribas Personal Finance, le chemin est encore long. « On a encore à prouver que c’est concret. Il y a une sorte de méfiance. Est-ce du washing ? » Sur les 6 000 salariés de l’entreprise, 350 ont pleinement adhéré. Objectif fixé à l’horizon 2020 : 10 % des effectifs.  Autre intérêt pour les entreprises : la défiscalisation à hauteur de 60 % des salaires chargés au prorata du temps passé. Toutefois, 50 % des sociétés n’en bénéficient pas et ne le font pas savoir.

L’intrapreneuriat au service d’une cause

Formule encore plus aboutie, l’intrapreneuriat se développe au sein des grandes structures, comme Engie, Orange, Matra, AccorHotels…. Ainsi, Tilia est née dans les murs de l’incubateur de BNP Paris Personal Finance. « 40 % de nos clients ont plus de 70 ans et sont donc concernés par la problématique de fin de vie, explique Christine Lamidel, porteuse du projet. Aussi, en développant ce service extra-financier d’accompagnement des aidants, je contribue à la transformation de mon groupe. » Aujourd’hui, cette micro-entreprise compte six salariés, et peut faire des émules. « Un intrapreneur embarque des collègues, ses managers, ses N+2, commente Sandrine Delage, head of change makers & prospective de ladite banque. Il rayonne sur 100 autres salariés. » Autre déclinaison possible du militantisme en entreprise : le détachement de collaborateurs pendant deux ans, avant un départ en retraite. Une transition engagée. 

Pro bono partagé

Ces pratiques font de pro bono (contraction de pro bono publico, qui signifie bien public en latin) la dernière expression à la mode dans les directions des ressources humaines. Il en va en effet de l’intérêt même des sociétés. 76 % des jeunes préfèrent une entreprise mue par un enjeu (environnemental, humanitaire…). « Les jeunes en font un levier de pression, commente Luc Wise, fondateur de l’agence de conseil et créations The Good Company. Si les sociétés n’agissent pas de manière responsable, elles n’arriveront plus à recruter. Les CV deviennent des bulletins de vote. » Dans un manifeste pour le réveil écologique, 30 000 étudiants issus des meilleures écoles françaises (Mines, HEC, Essec…) affirment refuser travailler pour des entreprises non respectueuses de l’environnement. « Il n’y a pas meilleure stratégie marketing que de faire du bien », conclut Ferdinand Richter, country manager France d’Ecosia. Et il maîtrise bien le sujet. 80 % des bénéfices de sa société sont investis dans des programmes de reforestation, partout dans le monde, « dans des hotspots de la biodiversité »

 

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Entretien

« L’époque du baby foot est révolue »

Audrey Richard, directrice des ressources humaines du groupe coopératif international Up et vice-présidente de l’Association nationale des DRH (ANDRH)

Ce besoin de combiner militantisme et salariat est-il perceptible au plan national ?

L’engagement est une notion dont se préoccupent aujourd’hui toutes les entreprises, avec en première ligne les directions des ressources humaines, en raison de l’impact que cela a sur la performance financière et sociale de nos entités. L’époque du baby foot ou des séances de jogging collectives est révolue. Qu’est-ce qui génère de l’engagement ? Qu’est-ce qui va rendre heureux un collaborateur ? Ces questions doivent être omniprésentes. La réponse : la transparence dans les relations,  l’équité, la reconnaissance des efforts fournis et l’implication dans des projets qui font sens. A nous de les aider à s’impliquer. C’est de nature à nourrir la motivation et l’investissement des collaborateurs dans l’entreprise. Mais, il y a des limites. Jusqu’où va-t-on ? Que ne propose-t-on pas ?  

Cette politique d’engagement a-t-elle des répercussions sur les recrutements que vous pouvez opérer pour le compte du groupe Up ?

L’impact sur la politique de recrutement est une évidence. Face à deux profils à compétences égales, mon choix se portera sur quelqu’un qui aura développé ou participé à une action en faveur des autres. Et pour les compétences rares, je ne suis pas certaine d’attendre le candidat qui les aura toutes réunies, préférant quelqu’un d’altruiste, qui aura le potentiel pour les acquérir.

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