Management
Les entreprises de communication et de publicité peuvent bénéficier de l'aide de l'État en réalisant des déclarations d’activité partielle. Un process à bien maîtriser pour éviter les déconvenues ultérieures.

Le 24 mars, le cofondateur de l’agence Castor & Pollux, Stéphane Clousier, prend position : il n’y aura pas d’activité partielle pour ses 50 salariés, a-t-il fait savoir dans Stratégies. Un cap qu’il maintient au moins jusqu’au 4 mai, et qui lui a permis de préserver 75 % de son volume d’activité. « L’idée n’est pas d’être un justicier, note le patron de cette agence créée il y a bientôt dix ans. Chacun fait comme il peut. Mais notre objectif est de contribuer à l’effort national de guerre en absorbant sa juste part du choc, et surtout en ne thésaurisant pas des économies de salaire par le recours au chômage partiel. “L’État paiera”, Oui ! Mais pour ceux qui en ont le plus besoin. D’autres entreprises nous ont emboîté le pas. »

On peut citer Chanel, Axa, Total, Orange… À l’inverse, SFR a décidé de basculer 5 000 de ses 9 000 salariés en chômage technique. Et cela ne concerne pas que les 2 400 employés des boutiques. Les services marketing, des achats sont aussi touchés… « Nous enregistrons une baisse significative de notre activité en raison des mesures de confinement et d’un ralentissement global de l’économie en France », a plaidé dans un courriel interne son directeur général, Grégory Rabuel. « Tous les développements sont à l’arrêt », justifie le directeur de la communication, Nicolas Chatin. La CGT de l’entreprise pointe pourtant « un manque de solidarité » visant à « faire des économies sur la masse salariale en les reportant sur les fonds publics ».

8 millions de salariés concernés

Du côté des entreprises de conseil, Resoneo, Mediaveille, Ad’s up, Celsius… sont autant d’entités qui ont dû se résoudre à l’activité partielle – la vraie appellation. « Achat de mots-clés, SEA [search engine advertising] ou achat média plus généralement, 60 % de nos campagnes ont été coupées en trois jours, commente Richard Strul, président de Resoneo, cabinet conseil en webmarketing. Parfois, il n’y a même plus d’interlocuteur en face. »

À la fin mars, 63 % des agences avaient effectué une demande de « chômage partiel ». Avec un confinement qui se prolonge, ce taux doit flirter avec les 75 % début avril. Dans des proportions variables. Ainsi, selon l’AACC (Association des agences-conseils en communication), seules 21 % des agences ont mis en place un « chômage partiel » pour l’ensemble de leurs collaborateurs.

Aujourd’hui, près de 8 millions de salariés sont concernés par la mesure qui mobilise 24 milliards d’euros de fonds publics. Un amortisseur né des leçons tirées de la crise de 2008. « Contrairement à l’Allemagne, l’option retenue avait été de protéger les bénéfices des entreprises et de réduire la voilure, avec une progression foudroyante du chômage, rappelle Lionel Prud’homme, directeur de l’école IGS-RH. Résultat, lors de la reprise, la France n’était pas prête pour repartir. Les compétences n’étaient plus là. Les entreprises devaient recruter. À la crise, on a alors ajouté une incapacité à rebondir. »

Selon une étude Kantar, les investissements publicitaires reculent de −35 % à −72 % depuis le 16 mars. En dépit des fortes audiences, la télévision n’arrive pas à tirer son épingle du jeu. D’où la mise en place de mesures de chômage partiel à TF1, M6 ou Altice Media. D’où aussi la réflexion engagée sur la création d’un crédit d’impôt sur les dépenses publicitaires. « Quel que soit le canal, la publicité est “la” source de revenus. Or plus rien ne rentre actuellement », commente Isabelle Saladin, présidente d’I&S Adviser. D’autant que les médias subissaient déjà des pertes de parts de marché au profit des Gafa depuis dix ans.

En attendant l’hypothétique mise sur les rails d’un crédit d’impôt publicitaire, avoir une idée claire des écueils à éviter pour la déclaration de l’activité partielle est utile pour mieux gérer « ce voyage en terre inconnue », pour reprendre les termes de Grégory Pascal, serial entrepreneur, fondateur de SensioGrey et SensioLabs, par ailleurs président de l’AACC Digital. Toutefois, « toutes les questions n’ont pas de réponse juridique, prévient Loyce Guillet, juriste expert social chez ADP, cabinet spécialisé en paie et ressources humaines. Les interprétations sont toujours possibles. Les évolutions se font au fil de l’eau, les applications aussi, même avec des rétroactivités. » 

« Mission titanesque »

Évaluer la quotité de travail reste le premier obstacle à franchir. « Inventorier le temps de travail des salariés constitue la première difficulté, explique Richard Strul. Les métiers sont très différenciés. Différemment impactés, les collaborateurs ne sont pas interchangeables. Le SEO [search engine optimization] est moins affecté que le SEA, par exemple. » Au final, trois collaborateurs de Resoneo ont leur activité réduite à zéro, certains sont à 20 % d’activité partielle… Idem à 20 Minutes ou le chômage technique va de 20 % à 80 %. Un travail de dentellière impossible à mener pour une entreprise de taille intermédiaire ou un grand groupe. « Cela se révélerait être une mission titanesque, observe Lionel Prud’homme. Le coût de gestion serait trop important au regard du bénéfice obtenu. » D’ailleurs, Loyce Guillet, juriste expert social chez ADP, aime à rappeler que « ce dispositif est collectif. Avec une quotité à définir pour un établissement, un site de production ou un atelier… »

La déclaration, une démarche sous surveillance

La générosité affichée de l’État ne vaut pas blanc-seing. La procédure est un exercice encadré. L’un des tout premiers garde-fous du chômage partiel pris en charge à 84 % par l'État ? Le comité social et économique (CSE).  Seulement consultatif, son avis doit être transmis dans un délai de deux mois après la demande d’activité partielle. Encore faut-il qu’il soit en place… Créée par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017, cette nouvelle instance doit figurer en théorie dans les entreprises d’au moins 11 salariés. Richard Strul a concocté un document de plus de 100 pages pour ses 80 salariés. De quoi faire bugger le système du gouvernement. Joindre les courriers des clients pour attester de l’arrêt des commandes est nécessaire. « Au début du process, il y a eu des frayeurs, note Marine Dubois, directrice de l’offre juridique droit social chez LegalPlace, qui propose des services juridiques en ligne, en raison de l’absence de pièces au dossier. Faire valoir une activité réduite à zéro sitôt l’annonce est difficilement recevable. L’activité commerciale a réellement baissé à compter du 23 mars. » Pour rappel, une fraude sur l’activité partielle est sanctionnée. C’est du travail dissimulé. Il faut donc être vigilant. « La bonne pratique, note Marine Dubois, est de tenir des plannings très clairs, avec heures de début et de fin. Voire d’aller plus  loin en faisant signer par les collaborateurs des plannings en déclaratif, histoire de se couvrir. La Direccte – autrement dit le ministère du Travail - va avoir trois ans pour effectuer des contrôles. Elle pourra se saisir des mails, repérer les conversations qui auront eu lieu en dehors des heures affichées au planning... »

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