Dossier Formation
Contraintes de se lancer dans l’enseignement à distance du fait de la pandémie, les écoles de communication mettent au point un nouveau schéma de diffusion des savoirs, entre présentiel et distanciel.

S’il s’est imposé du fait de la crise sanitaire, le distanciel n’a rien d’une évidence. Les écoles dans le domaine de la communication et du digital ne font pas exception. « L’impact des cours à distance est très variable : 10 % des étudiants trouvent le dispositif adéquat mais la majorité le subit de plus en plus, relève Emmanuel Peter, directeur de l’Institut de l’internet et du multimédia (IIM). Nous avons un taux de suivi des cours en ligne de 95 %. Les étudiants sont atteints par la fatigue et la lassitude, ils sont impatients de revenir à l’école. Si cette situation devait durer encore longtemps, plusieurs questions vont se poser : démotivation et décrochage, capacité à valider l’année, stages… » D'autres acteurs du secteur sont du même avis, comme Franck Kerfourn, directeur du campus de Nice du groupe Mediaschool (éditeur de Stratégies) : « Le distanciel en mode Teams n'est pas idéal car ce n'est pas du e-learning. Les gens confinés arrivent à un moment à saturation. L'usure menace parce que l'usage du web live est corrélé à l'usure qu'implique aussi le confinement. »

Si les cours et les relations avec les étudiants ont évolué avec la pandémie (lire encadré), c’est le cas aussi des rituels si bien ancrés dans la routine éducative. « De façon générale, il faut être très présent avec les étudiants afin de rendre des comptes. En présentiel, l’appel remplit cette fonction et les motive. En distanciel, il faut trouver d’autres moyens : l’obligation de rendu, le suivi, l’accompagnement, le coaching, les rendez-vous obligatoires mais aussi la possibilité de venir sur les campus », note Nicolas Becqueret, directeur d’E-artsup (groupe Ionis), école spécialisée dans la créativité numérique et le multimédia. Plus étonnant, cette adaptation au long cours a aussi fait évoluer le présentiel, note Isabelle Avignon, directrice des programmes de l’Iscom : « Le premier confinement a permis aux intervenants de revoir leur façon d'animer un cours. Les méthodes mises en œuvre à distance, indispensables pour maintenir l'attention des étudiants devant leur écran, vont pouvoir s'appliquer aux cours en présentiel en les enrichissant et en les rendant encore plus dynamiques et interactifs. »

Aides psychologiques et financières

Le suivi des étudiants a lui aussi dû s’adapter. Au Celsa, il a ainsi été instauré un point hebdomadaire avec les promotions, soit environ 25 étudiants, afin de voir comment se passent les choses et comment améliorer le dispositif pédagogique. « Si besoin, nous aiguillons les étudiants vers des aides psychologiques ou financières pour l'achat de matériel informatique ou en cas de difficulté plus sérieuse », précise sa directrice, Karine Berthelot-Guiet, pour qui la situation actuelle n’est pas encore stabilisée. « Je ne dirai pas qu'il s'agit d'un nouvel équilibre entre présentiel et distanciel mais plutôt d'un exercice d'équilibre. La situation n'a rien d'évident car tous les étudiants et les enseignants-chercheurs souhaitent revenir sur site, ne serait-ce que quelques jours. Nous sommes dans une situation qui exige une attention permanente. Ce n'est pas un équilibre acquis, il faut travailler en permanence et en fonction des directives qui évoluent. »

Le distanciel total entraîne en effet son lot d’inconvénients. Chez E-artsup, les étudiants des 3e, 4e et 5e année sont quasiment en permanence à distance, à l’exception de moments courts, le vendredi après-midi, où ils peuvent, en petits groupes, présenter leur travail. Pour autant, le présentiel, aussi réduit soit-il, remplit une fonction essentielle, selon Nicolas Becqueret : « Nous ne pouvons pas avoir une présentation des projets de fin d’étude avec tous les étudiants présents, alors nous les avons ventilés dans les différentes salles et le jury passe les voir les uns après les autres. Si tout était sur serveur avec une évaluation à distance, les étudiants ne seraient pas aussi motivés. » Les plus jeunes y sont aussi sensibles. Pour les étudiants de 1re et 2e année, E-artsup table sur une rencontre hebdomadaire ou bimensuelle en présentiel avec les enseignants. Le reste du temps, le contact direct peut être établi en visio.

Leçons pour l'avenir

La période aura en tout cas le mérite de permettre d'en tirer quelques leçons pour l'avenir. « La première leçon que nous avons apprise pour le futur, c’est qu’il est possible de mettre beaucoup d’éléments en distanciel ou en hybride, estime Emmanuel Peter, de l'IIM. Globalement, cela fonctionne mais ce n’est pas la panacée pour les publics qui ne l’ont pas choisie. L’ensemble des parties prenantes – étudiants, enseignants, entreprises partenaires, administration – ont une maturité bien plus importante sur les outils digitaux. » Il devient donc possible d’envisager de nouvelles formules hybrides pour planifier autrement, aménager la disponibilité des locaux ou gérer les situations où des intervenants ne peuvent pas venir dans les locaux. Le directeur de l’IIM souhaite cependant revenir à des dispositifs majoritairement présentiels « car l’école est avant tout une communauté qui se réunit ». Pour autant, il reconnaît que la part du distanciel et des modes hybrides sera plus importante dans le futur.

D’autres acteurs anticipent un changement plus prononcé. « Le présentiel à 100% d'avant la pandémie ne reviendra pas », estime Vincent Montet, directeur des MBA digital marketing et business du groupe EDH. Il considère notamment qu’une large part des cours présentiels seront dispensés en e-learning avec des séquences d’une heure combinées avec des QCM pour valider l'acquisition des connaissances. « À ces périodes d'e-learning succéderont des périodes de présentiel, anticipe-t-il. Les étudiants pourront rencontrer les intervenants, enrichir leur réseau relationnel, avoir des réactions directes lors de la présentation de leur projet professionnel. » Autre atout du distantiel, sa capacité à abolir les distances physiques, et donc à réunir en ligne des intervenants et étudiants dispachés sur plusieurs campus. Enfin, ce mode d'apprentissage rend indispensable l’acquisition de nouveaux soft skills, estime Vincent Montet : « Ils seront indispensables pour le digital working, qui va devenir la norme dans le monde du travail de demain. »

Laisser décider les étudiants

Pour le directeur du campus de Mediaschool à Nice, Franck Kerfourn, la part du distanciel va inévitablement augmenter, de même que la part dévolue aux modules d'e-learning : « À terme, pour les étudiants en formation initiale, nous tablons sur 25 % à 30 % d'e-learning de qualité et le reste du temps en présentiel. Avec la période actuelle, la greffe a déjà pris, il faut maintenant que nous élargissions notre catalogue de contenus e-learning avec des productions internes et quelques collaborations sur des contenus existants. »

Quel chemin choisir dans ce nouvel équilibre ? L’Iscom a préféré laisser le choix à ses étudiants. À partir de la rentrée prochaine, les étudiants de 5e année, tous en alternance, pourront suivre leurs cours en distanciel s'ils le veulent. « Cela permettra à des étudiants de faire leur expérience en entreprise à l'étranger », explique Sylvie Gillibert, directrice innovation et développement. De quoi les aider sans doute aussi à se projeter dans le monde professionnel et à gagner en autonomie.

Revoir les relations avec les étudiants

Dans beaucoup d'écoles, les cours classiques ont aussi été adaptés pour répondre à un public à distance. « Nous avons réfléchi à de nouvelles méthodes d’enseignement. Le mobile peut être un outil pédagogique plutôt qu'un motif de discorde dès lors qu’on demande aux étudiants de l’éteindre. Il faut être "en mode projet" afin que les étudiants se sentent impliqués », souligne Anne-Françoise Stasser, directrice de Sup de Pub. Au-delà des contenus, l’investissement exigé a aussi été révisé, explique Karine Berthelot-Guiet, directrice du Celsa : « Nous avons régulé la demande de travail afin d'éviter la multiplication les travaux à rendre en même temps. Nous avons compris qu'il ne faut pas donner beaucoup plus de travaux qu'en présentiel. »

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