Emploi
Même si les signaux du marché ne virent pas toujours au rouge, les établissements d’enseignement supérieur sont en état d'alerte sur l'employabilité de leurs étudiants. Ils repensent l’accompagnement de leurs jeunes diplômés pour « limiter la casse » au sortir de leurs cursus.

« Génération sacrifiée », « Jeunesse agonisante », « On n’a plus rien à perdre »… Les pancartes brandies par les étudiants qui défilaient dans plusieurs grandes villes de France, le 20 janvier, en disent long sur l’isolement, le ras-le-bol, voire la détresse de ceux qui suivent des cours à distance et peinent à trouver un stage. Pourtant, le parcours des jeunes diplômés de 2020 a de quoi leur apporter des motifs d’espoir. En tout cas, à ceux qui sont issus des grandes écoles : « On a demandé à tous de nous prévenir de la moindre annulation de stage ou d’emploi, souligne Nicolas Glady, président de Télécom Paris et de la commission Aval de la conférence des grandes écoles (CGE). La baisse drastique à laquelle on pouvait s’attendre n’a pas lieu. L’impact est très faible sur l’employabilité de nos jeunes. Je ne vois pas de tendance positive, mais pas de signaux négatifs non plus.  Notre urgence porte davantage sur la dimension psychologique de nos étudiants que sur le volet économique de nos jeunes diplômés. » 

Un recul de 16 % des offres d'emplois

Jérémy Lamri, chef du pôle de recherche & Innovation de JobTeaser, confirme : « La réaction du marché est loin d’être aussi brutale qu’en 2008, où on a vu un arrêt de tous les recrutements. Là, il n’y a pas d’onde de choc. On recrute des jeunes diplômés tous les jours, même si l’information, négative, pèse sur le moral…  »

Les données quantitatives ne sont pas légion, à ce stade de l’année, l’entrée sur le marché de l’emploi de la promotion 2020 ayant lieu de juin à décembre. La conférence des grandes écoles lancera son enquête annuelle en mars prochain. Toutefois, Indeed, métamoteur de recherche d’emploi, constate bel et bien une contraction du marché, avec un recul de 16 % des offres, tous niveaux de qualification confondus – à analyser à l’aune d’un PIB en recul de 8,3 %. Les pics d’offres habituellement enregistrés en juin et novembre ne sont pas au rendez-vous en cette année de Covid. Plus sombre, le focus sur le marché des jeunes diplômés - à bac+5 - réalisé par l’Apec pointe une baisse de 38 % en moyenne (versus -26 % pour les cadres confirmés), avec des réalités différentes selon les secteurs.
Coaching à haute dose
En réponse, les établissements d’enseignement supérieur musclent les dispositifs d’accompagnement au sortir des études. Marielle Lassarat, responsable du parcours carrière à l'EM Normandie, fait ses comptes. L’École de management (EM) Normandie a ainsi débloqué un budget supplémentaire de 8 000 à 10 000 euros afin de recruter 25 coachs susceptibles d’épauler des groupes de quatre ou cinq étudiants et jeunes diplômés :  « personnal branding », rémunération… Tout y passe. L’EM Lyon a aussi dopé son budget de 25 %, pour des webinars et un MOOC (Massive Open Online Courses), en partenariat avec Bpifrance, axé sur les opportunités dans les PME et les entreprises à taille intermédiaire (ETI)... Le career center de Montpellier business school planche de son côté sur le programme d’un nouveau séminaire qui abordera, entre autres, la gestion des émotions. « Les jeunes ont moins confiance en leurs capacités de s’insérer et se révèlent moins convaincants lors des entretiens, explique Laurence Flinois, la directrice. Nous ne sommes pas inquiets pour eux, mais pour leur perception de la situation. » Comment présenter son CV, passer un entretien à distance ou faire un suivi de ses candidatures ?  Quand relancer ? Le groupe IGS-RH prévoit de signer une convention avec l’Apec pour les campus de Paris, Toulouse et Lyon afin d’offrir une réponse adaptée à chaque bassin d’emplois. « Une réponse 100 % personnalisée ». Le groupe GES, l’école d’ingénieurs Estia, Brest business school, Excelia group La Rochelle, avec le déploiement de son Pacte (plan d’action Covid tous ensemble) mise pour leur stratégie de recherche d’emplois, sur la mobilisation des alumni… De « quoi faire remonter plus d’offres, et sans doute une partie du marché jusque-là caché », souligne Pascal Capellari, directeur d’écoles spécialisées chez Excelia. 

« La demande des écoles s’est intensifiée depuis ces derniers mois, commente Alexandra Amda, DRH d’Adveris, agence conseil en communication digitale. Avec moins de recrutements à la clé, les entreprises sont plus regardantes sur les savoirs techniques, mais surtout sur le savoir-être. Les futurs diplômés doivent apprendre à argumenter leurs choix, les compétences acquises, structurer leur présentation. À défaut, c’est de nature à plomber leur insertion. »

L'insertion, un business model pour les écoles

« La prise de conscience est la même partout », note Sébastien Fromm, responsable du centre Apec Franklin Roosevelt. Que ce soit à Sciences Po, au Celsa, à l’université Sorbonne Paris Nord, à l’Iscom, à l’Efap, à l’ECS, à l’EHESS, à Excelia… « Mais la capacité à mobiliser les étudiants et les jeunes diplômés n’est pas identique, explique-t-il. C’est plus compliqué pour les universités. Les écoles ont d’autres enjeux. Avec des cursus payants, l’insertion est un élément important de leur communication. On parle là de leur business model. » L’ambition de l’Apec ? Avoir aidé 50 000 jeunes d’ici à l’été 2021 dans le cadre de son dispositif « Objectif premier emploi », lancé en septembre 2020. Cet atelier gratuit de quatre heures propose au postulant de faire le point sur ses démarches et de mesurer ses marges de progrès, de délivrer des conseils pratiques, d’orienter vers les outils Apec qu’il faut savoir mobiliser pour progresser. Surtout, chacun ressort avec un « plan d’action personnalisé ». La bonne nouvelle ? L’atelier est en présentiel, avec de vraies gens !


Trois questions à

Karl Rigal, directeur de Stedy, cabinet conseil en industrie et en ingénierie

«Leur quête de sens est structuelle»

 

Parler de « génération sacrifiée » pour de jeunes diplômés ingénieurs, n’est-ce pas noircir le tableau ? 

Les jeunes ingénieurs sont confiants dans leurs chances de trouver un emploi une fois diplômés, mais à 62 %, ce chiffre est en recul : ils étaient 92 % en 2019. C’est ce qui ressort d’une enquête d’Epoka, réalisée pendant le premier confinement. Et avec des études souvent chères, des petits boulots qui n’existent plus, un accès plus compliqué aux enseignants… ils vivent les mêmes troubles que les autres.


Leur insertion va-elle se révéler problématique ?
Structurellement, le marché compte 4 % d’offres supérieures au nombre de sortants. Ce delta restera d’actualité quelques temps. Et si on parle souvent du cloud, de la data, de l’ingénierie logiciel, d’autres secteurs recrutent. Des exemples ? Le naval, la défense, l’énergie, le BTP, redevenu « sexy »… Ce secteur a su montrer que s’investir dans cette filière permet d’avoir un impact concret sur la société.


L’état du marché est-il de nature à faire renoncer les jeunes diplômés à leur quête de sens ?
Leur quête de sens est structurelle. Loin de diminuer, cette tendance s’accélère même dans ce contexte. A quoi mon investissement professionnel va-t-il servir ? Est-ce que je suis prêt à transiger avec ça ? L’étude d’Epoka voit passer la responsabilité sociétale des entreprises de la 11ème place en 2018 à la 3e place des critères de choix des jeunes. Ils sont capables de décisions plus tranchées pour construire un monde plus vertueux.

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