Robot extraverti, aspirateur poli, voiture agressive… Demain, les entreprises penseront le caractère d’un objet comme elles travaillent le bruit d’une portière ou le craquant des céréales. Après la vague de la personnalisation des produits, voici venu le temps de la personnification. Explications d’Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’Internetactu.net.

L’équipe de Taezoon Park, du programme de recherche d’ingénierie des facteurs humains à Singapour, a construit deux robots, rapporte le Boston Globe. L’un était une infirmière conçue pour prendre la tension et fixer un rendez-vous avec un médecin, l’autre un système de surveillance. Dans leur expérience, les chercheurs ont donné à chacun des robots deux personnalités différentes. Le premier était extraverti, parlait fort et rapidement, commençait les conversations au lieu d’attendre qu’on lui parle et faisait des gestes plus animés. Le second était plus réservé, se déplaçait moins, parlait plus lentement et laissait l’usager initier la communication. Visiblement, les utilisateurs ont préféré l’infirmière robot extravertie et le robot de sécurité introverti.
Programmer des personnalités aux robots semble encore relever de la science-fiction, mais pour les roboticiens, la robotique sociale est devenue un objectif primordial qui influence notre acceptation et notre perception de leur efficacité, comme le rappelle Cynthia Breazeal, du Media Lab du MIT, spécialiste du sujet et conceptrice du récent ordinateur robotique Jibo. Les recherches montrent que la personnalité que l’on donne à son programme compte tout autant que ses qualités techniques, et que celle-ci doit évoluer selon les tâches à réaliser et les modes d’interaction des robots avec les humains.
Une étude menée par Bernt Meerbeek, chercheur au sein du groupe d’électroménager Philips, a montré que les propriétaires d’aspirateurs autonomes appréciaient qu’ils soient routiniers, « calmes, polis et coopératifs ». Vanessa Evers, professeur en interface homme-machine à l’université de Twente (Pays-Bas) et Wendy Ju, du Centre de recherche en design de l’université de Stanford (Etats-Unis), vont prochainement s’intéresser aux personnalités idéales des voitures autonomes. Selon Google, elles doivent savoir être agressives pour ne pas trop céder le passage aux autres véhicules et même être capables de dépasser les limitations de vitesse imposées pour s’ajuster aux flux du trafic !
Les roboticiennes Maja Mataric et Adriana Tapus, du laboratoire d’interaction dépendant du laboratoire de recherche en robotique de l’université de Californie du Sud, ont dirigé une étude impliquant des robots qui assistaient des personnes dans des exercices de rééducation physique. Résultat : les robots compréhensifs et positifs étaient plus appréciés par les personnes introverties, alors que les robots plus directifs et fermes étaient plus efficaces avec les personnalités extraverties.     
Jennifer Goetz et Sara Kiesler, de l’Institut d’interaction homme-machine de l’université Carnegie Mellon, en Pennsylvanie, ont observé des robots utilisés pour amener des jeunes à suivre un entraînement sportif. En conclusion, le robot le plus ludique, celui qui plaisantait pour mieux faire accepter l’effort, était le plus apprécié mais s’est avéré moins efficace que le robot plus directif. Pour les chercheurs, un robot sympathique n’est pas des plus utiles pour obtenir la coopération des humains…
Notre capacité de contrôle du robot peut aussi influer sur sa personnalité. Meerbeek a mené une étude sur des robots aidant les humains à choisir leur programme télé. Lizzy, machine conviviale et extravertie, était en compétition avec Catherine, moins expressive et plus formelle. Lorsque le robot était programmé pour prendre davantage d’initiatives, les utilisateurs préféraient la bavarde Lizzy, mais lorsqu’il était programmé pour poser plus de questions et attendre des autorisations des humains, ces derniers ont préféré Catherine.     
Aaron C. Elkins, du groupe de travail Ibug, travaille sur le programme de garde-frontière robotique Avatar, un robot détecteur de mensonges capable de poser des questions aux voyageurs pour analyser leur discours et leur langage corporel. Ses recherches ont montré qu’un garde souriant et aimable était peu pris au sérieux, alors qu’un robot morose et accusatoire semblait davantage refléter l’autorité.
Pour Leon Neyfakh, l’auteur de l’article du Boston Globe, la question de la personnalité des robots n’est pas sans poser des questions de fond dans notre rapport aux machines. Comment interagir avec des machines calibrées pour nous traiter exactement de la manière dont nous le souhaitons ? Leurs personnalités seront-elles transportables sur tous nos objets ? Voulons-nous qu’elles se comportent différemment quand nous sommes seuls à la maison et quand nous sommes avec d’autres personnes ? Comment va évoluer notre rapport aux machines quand celles-ci posséderont des personnalités qui nous correspondront alors parfaitement ? « Nous pourrions commencer à préférer la compagnie des robots à celle des autres, les humains, moins parfaitement optimisés », avance Leon Neyfakh.
Au-delà de la robotique, dont le quotidien nous paraît encore lointain, cette question de la personnalité se pose également pour les objets et les logiciels qui nous entourent. Si pour l’instant, ces machines sont rarement dotées de personnalité, la question des modes d’interaction avec les humains risque de se poser avec acuité. Un programme d’entraînement sportif doit-il s’adresser à nous gentiment ? Doit-il parler de la même manière à un sportif accompli qu’à un non-sportif, qui trouvera toujours une bonne raison pour ne pas tenir ses résolutions en matière de remise en forme ? A-t-on envie que les programmes avec lesquels nous interagissons nous parlent de la même manière, de cette façon impersonnelle et polie, lisse, pareille au courrier d’un service marketing dont se plaignait récemment la journaliste Joanne McNeil en évoquant la standardisation des sollicitations dont nous sommes l’objet le jour de notre anniversaire ?
Alors que l’on commence à bien percevoir les limites de la personnalisation, il est peut-être temps de s’interroger sur le paradigme qui lui succédera et certainement le prolongera : celui de la personnification, cette incarnation de la personnalité dans les programmes.
Attribuer des propriétés humaines aux services web que l’on utilise est certainement une façon simple de développer l’engagement de l’utilisateur. Encore faut-il que les intégrateurs qui programmeront ces personnalités maîtrisent des rudiments de psychologie et d’économie comportementale, pour ne pas proposer des outils qui aillent à l’encontre de ce qui favorise la motivation, comme nous le dénoncions à propos de Pavlok, ce bracelet qui délivre des chocs électriques si nous ne tenons pas nos engagements…
Comme l’expliquait sur FirstRound le designer Soleio Cuervo, l’inventeur du « like » de Facebook, désormais à la tête du design chez Dropbox, les développeurs doivent se souvenir qu’ils ne sont pas tant en concurrence avec d’autres services qu’en concurrence avec les habitudes des utilisateurs. Or plus de personnalisation aidera-t-elle à s’insérer dans ces habitudes ? à mesure qu’un nombre croissant d’outils de personnalisation fera son apparition, le produit aura besoin d’être de plus en plus nuancé, prédit Soleio Cuervo. Et la meilleure manière pour y parvenir n’est-elle pas de le doter de personnalité ? Quel type de relation souhaitons-nous avoir avec les services qui nous entourent ? Souhaitons-nous qu’ils soient agréables ? Préférons-nous qu’ils nous bousculent ?
Timeful, cet agenda intelligent qui remplit algorithmiquement notre emploi du temps selon nos volontés, est capable de faire varier son niveau d’intrusion dans notre agenda selon l’agressivité demandée en fonction de la hiérarchie des tâches programmées. Nous voulons donner la priorité au sport ? Il va démultiplier les ruses pour les placer dans notre agenda et nous rappeler nos résolutions. Que Google et Facebook nous fêtent nos anniversaires, soit. Mais qu’ils le fassent sur un mode unique, qui ne sache finalement pas prendre en compte le fait que je n’aime pas ça ou qu’un clin d’œil ironique me paraîtrait plus approprié qu’une recommandation servile, est à la base de l’échec même de nombre de démarches marketing. Peut-être que le meilleur moyen de nous proposer des services plus personnalisés est de nous proposer des services personnifiables, qui puissent s’adapter à qui nous sommes plutôt que seulement nous considérer comme un amas de données.

 

 

A propos de l'auteur

Journaliste et éditorialiste spécialisé dans le décryptage des enjeux des nouvelles technologies, Hubert Guillaud est rédacteur en chef d’Internetactu.net, média de la Fondation internet nouvelle génération (Fing) et d’A lire ailleurs, la revue de veille de la Fing. Serial blogueur, notamment sur La Feuille, blog invité du Monde, il écrit sur l’innovation dans l’édition. Il est également auteur et directeur de la collection « Washing Machine » sur Publie.net, dans laquelle il a signé plusieurs livres. Son dernier opus : Des robots et des hommes.

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