Diagnostic, décision, mission confiée aux agences... A l’heure de la mesure de la performance en temps réel et de l’explosion de la donnée, le pilotage de marque a paradoxalement besoin de temps. Muriel Jaouën @Murielja

Les études pointent un important décalage dans le pilotage des marques entre les référents en vigueur et les besoins liés aux évolutions de la consommation. Mais, au-delà de ce diagnostic général, comment les directeurs marketing envisagent-ils le pilotage des marques? Quels outils privilégient-ils ? Sont-ils véritablement confrontés à un trop plein d’indicateurs ? Bref, trop de KPI (indicateurs de performance) tuerait-il le KPI?

«Tout est question d’arbitrage. Consommation par acheteur, pénétration, taux d’engagement sur les réseaux sociaux… Il faut savoir arrêter les bons choix. Sachant que les incontournables demeurent incontournables», répond Jérôme François, directeur général communication consommateurs de Nestlé. Les incontournables? Au sein de l’écosystème Nestlé, comme chez la plupart des grands annonceurs, l’image de la marque reste l’indicateur central. Il n’en demeure pas moins que dans un horizon de plus en plus confus et imprévisible, les marques doivent évoluer en fonction d’objectifs dûment précisés. «Le fait de fixer des directions est devenu plus essentiel que jamais. Quant à la fréquence du suivi, elle reste fonction de la nature des objectifs à atteindre. Le point d’image, référent central, est typiquement un indicateur de moyen-long terme, qui se mesure tous les deux ans. La part de marché, autre indicateur majeur, relève du court et du moyen terme», ajoute-t-il.

Succès des approches prospectives

Mais les annonceurs doivent aussi suivre des indicateurs beaucoup plus immédiats, par exemple pour mesurer des actions en magasins. «On a tellement dit et répété qu’avec le digital on pouvait tout faire et tout mesurer en temps réel, ce qui est souvent vrai, que cela a fini par générer des demandes parfois inutiles. Il convient de réfléchir sérieusement à la valeur de l’instant T», remarque Claudie Volant-Rivet, directrice marketing et innovation de l’Union des annonceurs.

L’émergence du digital et de ses potentiels de mesure en temps réel a certes ébranlé la toute-puissance des business plans traditionnels ou des plans de développement à un ou deux ans. Pour autant, les approches prospectives ont le vent en poupe. «Nous sommes de plus en plus consultés sur la définition et la mise en musique de visions stratégiques», commente Brice Auckenthaler, cofondateur et président de Tilt Ideas. La fragilité des équilibres économiques incite en outre les annonceurs à engager des diagnostics de fond de leurs choix budgétaires. «Nous avons travaillé durant deux ans avec un cabinet-conseil sur l’amélioration du pilotage de notre budget, pour définir les bonnes équations entre médias et hors-médias, en et hors ligne», confirme Marc-Antoine Hennel, responsable stratégie et développement groupe de Philips.

L’heure est en effet à une certaine rationalisation. Il ne s’agit pas tant de refuser les enseignements du big data, ni d’écarter d’emblée la somme des nouveaux indicateurs délivrés par le digital, que de définir et de justifier des priorités. «Les annonceurs nous demandent de les aider à identifier ce qu’ils savent déjà, ce qu’ils ont besoin de savoir, et à faire l’inventaire de toute la connaissance dont ils disposent en interne sans même le savoir», note Rémy Oudghiri, directeur du département tendances & prospective d’Ipsos Public Affairs.

Les instituts d’études sont d’ailleurs en train de formater des offres pour répondre à cette nouvelle demande. A l’image d’Opinion Way, qui vient de développer un modèle permettant de mesurer le taux de clients engagés, l’impact et les leviers cet engagement sur la marque. «Nous avons observé un taux d’engagés très hétérogène, à la fois entre les secteurs d’activité, mais également, et surtout, au sein d’un même secteur, entre les différentes marques: de 1 à 10 par exemple dans l'e-commerce», explique Philippe Le Magueresse, directeur général adjoint d’Opinion Way.

«Ouvrir la data»

A l’heure de la mesure de la performance en temps réel et de l’explosion de la donnée, le pilotage des marques aurait donc paradoxalement besoin de temps. Du temps pour mener les bons diagnostics, pour faire et installer les bons choix. Du temps aussi pour engager de nouveaux protocoles de partenariat entre annonceurs et agences.

Pour Marc-Antoine Hennel, de Philips, il est même du rôle de l’annonceur d’aider ses agences à se transformer pour adopter des organisations et des process plus transversaux. «Le digital devrait représenter à terme 20% de nos ventes. Dès lors, notre capacité à ouvrir notre propre data à des agences extérieures devient une question centrale. Et c’est un chantier de taille, qui doit être mené dans le souci du développement de la marque.»

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