FOCUS Malgré la crise, les agences de design françaises ont plusieurs motifs d'espérer. Le développement international est l'un de ceux-ci.

Le design est tellement à la mode qu’on aurait pu imaginer les agences spécialisées portées par cette popularité. Hélas, ce n’est pas tout à fait le cas. Selon José Pons, consultant en management qui a mené l’année dernière une étude financière sur les trente-huit principales agences du secteur, les trois quarts sont «fragiles, malades ou très malades».

 

La plupart des agences préfèrent rester discrètes sur le sujet, mais certaines dévoilent la situation. Olivier Saguez, par exemple, ne fait pas mystère des difficultés des agences en général et de la sienne, Saguez & Partners, l’une des plus réputées, en particulier: «L’année dernière, pour la première fois, nous n’avons pas affiché de croissance et nous sommes juste à l’équilibre. Et ça devrait être pareil pour les deux années à venir.»

 

«Dans le packaging, les agences naviguent à vue et ne savent pas ce qu’elles feront d’un mois sur l’autre, reconnaît de son côté Frédéric Messian, CEO de Lonsdale et président de l’Association Design Conseil (ADC). Il y a une absence totale de visibilité.» Même l’architecture commerciale, nouvelle locomotive du secteur, toussote. Chez AKDV, Jean-Pierre Lefebvre, cofondateur et président, constate «des concepts de points de vente aux mêmes prix depuis dix ans».

«Pré-acquis positif à l'étranger»

Mais les agences ne baissent pas les bras et ont même certains motifs d’espérer. L’un des principaux est l’international. «Les designers français sont particulièrement appréciés à l’étranger et jusqu’à cinq fois mieux rémunérés», souligne Antoinette Lemens, fondatrice et présidente de Lemens Executive Search, le principal cabinet de recrutement du secteur, qui place déjà 40% des designers à l’international.

 

Hors de nos frontières, la «french touch» est particulièrement prisée. Nombre de nos designers sont connus dans le monde entier, tels Jean-Michel Wilmotte, Patrick Jouin ou Renan et Erwan Bouroullec. «Au-delà des réussites individuelles, il y a un pré-acquis positif à l’étranger sur le design français fondé sur une image de créativité, de culture, d’imagination et de raffinement, avance Gérard Caron. Si les Français allient à cela la précision et la rigueur, alors ils ont tous les atouts pour séduire.»

 

Du coup, les agences lorgnent de plus en plus l’international. Au-delà des partenariats et rachats, beaucoup y installent des bureaux (notamment en Chine, Etats-Unis, Brésil, Maroc, Emirats et Inde) pour accompagner des marques à l’international ou dans leurs marchés locaux. Avec pour maître-mot «glocal», à l'exemple d'Yves Rocher, client de BETC Design. «Si l’on garde des éléments de marque, chaque boutique doit coller à son environnement», raconte Christophe Pradère, CEO de l’agence. Ainsi, le point de vente new-yorkais de la marque de cosmétique abrite un mobilier en ferronnerie, celui de Londres joue sur les codes couleurs anglais, dont une façade prune, celui de Milan emprunte à l’élégance italienne avec des sols en pierre et des stores à baldaquins anciens.

 

Sur fond de marché français saturé et à la baisse, l’international, en progression constante, lui, représente en moyenne 15% à 20% du chiffre d’affaires des agences, parfois bien plus. «Demain, tous les projets seront internationaux», avance Olivier Saguez, qui prévoit d’ici cinq ans 80% de son activité hors de France, contre 40% actuellement.

Pluridisciplinarité

Autre tendance, nombre d’agences inventent de nouveaux modes de coopération pour répondre aux besoins actuels des clients. Fini le temps où le client se contentait d’un brief à l’agence. Les enseignes de design, à l’instar de Cent Degrés, Logic Design ou encore Bronson, essaient d’intégrer les équipes clients à celles de création le plus en amont possible.

 

Les offres et services spécifiques fleurissent. Chez Lonsdale, un département spécial pour les marques de luxe a été mis en place. Du côté de Saguez & Partners, des offres sont lancées pour les bureaux, les hôtels ou autour du design éditorial. «Les marques n’ont jamais été aussi bavardes», commente-t-on à l'agence Quatre, où l’on s’intéresse de près au langage des entreprises et qui y sont considérées comme des agents socio-culturels.

 

De même, dans les agences, les «labos» se multiplient. BETC Design vient d’ouvrir un laboratoire pluridisciplinaire d'innovation regroupant diverses expertises, de l’anthropologie à l’urbanisme en passant par la sémiologie. Même idée à l’agence Curius avec son Lab, une cellule en prospective de marque mixant des compétences éclectiques. De même, Dragon rouge a créé DR Innovation, une agence-conseil spécialisée en recherche d’insights, innovation et stratégie de marques s’appuyant sur de nouveaux outils (études créatives, design thinking, business models nouvelle génération) et des talents hybrides (consultants études, planning stratégique et designers d'idées).

 

Chez Landor Paris, c’est une nouvelle méthodologie de prototypage pour mieux (re)définir les marques qui vient d’être mise en place. «Innover est notre raison d’être», résume Luc Speisser, président Landor Paris et Genève. Christophe Fillâtre, le président de Carré noir, abonde: «Au temps révolu de l’adoration et de l’hyperconsommation, la méfiance et la défiance dessinent une formidable opportunité pour les marques.» Sur ce front-là, les agences de design se placent en première ligne.

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