INTERNATIONAL Le Japon exerce une indéniable fascination en France, mais l’inverse est-il vrai ? Gérard Caron, figure française du design et pionnier au Japon, s'entretient avec Yoshio Kato, président de la Japan Package Design Association.

Y a-t-il des particularités du design japonais?

Yoshio Kato. Au risque de vous surprendre, je dirais que le design japonais est simple et doux en général. Cette simplicité que, curieusement, vous prenez souvent pour de la sophistication a des racines dans notre mode de vie et notre culture. 

 

Expliquez-nous les sources de cette simplicité, pour mieux nous faire comprendre par effet de miroir ce qui nous différencie de vous…

Y.K. Disons qu’il y a cinq formes de «simplicité» dans la culture japonaise. «La beauté simple» se trouve dans la marge des choses, ce que vous appelez le vide. Regardez l’importance des blancs dans le design des produits japonais les plus réussis, dans leurs packagings. Contrairement au vôtre, notre vide… est plein! «La simplicité naturelle» est celle qui suit le cycle des saisons, avec leurs couleurs, leurs codes visuels… Surtout, ne pas aller contre la nature mais l’accompagner. C’est la beauté que l’on peut qualifier de beauté naturelle. 

 

C'est ce qui explique le nombre de produits saisonniers sur le marché japonais? Cela m’a toujours intrigué…

Y.K. Le Japon, pays à l’origine pauvre et paysan, a vécu très proche de la terre et donc des saisons. Nous en avons gardé la tradition dans notre époque, pourtant très urbanisée. Le troisième type de simplicité, «La beauté pure», correspond à un besoin de simplification extrême, souvent associé à l’image que vous avez de la philosophie zen. Les packagings «zen» sont ceux qui ont le plus de succès auprès des designers occidentaux!

 

Nous sommes loin des contraintes imposées par le marketing, là! Mais que dire du design un peu naïf, voire «cul-cul», genre Hello Kitty?

Y.K. Il s’agit de «La simplicité kawaii» [mignonne], avec des personnages, des animaux directement issus de mangas pour les plus jeunes. Elle évoque pour nous le besoin de douceur et de fraîcheur que symbolise le monde de l’enfance. Est-ce un antidote au rythme de la ville et à la codification de notre vie quotidienne de Japonais? Enfin, je terminerai cette énumération par «La beauté calligraphique», forme de design utilisant les caractères japonais comme principal, voire unique, élément de décor. Nos caractères étant des illustrations figuratives, à la base, ils sont par nature plus légitimes et plus faciles à utiliser pour exprimer une émotion, un concept. 

 

Peut-on dire qu’à vos yeux, le design japonais est supérieur au design français?

Y.K. Nul ne peut dire cela. Je considère par exemple que notre design, par sa simplicité et sa douceur, peut aussi manquer terriblement d’impact. Par ailleurs, nous ne savons plus aujourd’hui évoquer le véritable luxe. La France, dans la compétition internationale Pentawards que vous présidez, rafle de nombreux prix dans les catégories des produits de luxe. Nous avons si bien su le faire par le passé. 

 

Le design français, voire occidental, a-t-il influencé le design japonais?

Y.K. Les Japonais sont en général curieux et tolérants. Ils acceptent les idées des autres et possèdent le don de juxtaposer, de mélanger des ingrédients de leur culture avec ceux d’autres origines. Ainsi, l’impressionnisme, l’Art nouveau puis l’Art déco ont considérablement influencé le Japon dès la fin du XIXe siècle pour les produits cosmétiques, la bière, le whisky, la pâtisserie… Citons Suntory [propriétaire d'Orangina-Schweppes], brasseur créé en 1899, et la société de cosmétique Shiseido, en 1872. Ils ont commencé leur activité en imitant le design occidental, sans savoir qu’en retour, l’art de ces pays était influencé par la culture japonaise!

 

Dans un de vos livres, vous écrivez que le Japon est «comme une marmite»…

Y.K. Comme une marmite ou une casserole qui contiendrait plein de choses venues d’ailleurs, dont de France, et que nous accommodons au goût japonais. Le Japon est un petit pays avide de nouveautés et de différences. Peut-être n’avons-nous pas confiance en nous-mêmes. Cela dit, je préfère un pays qui doute à un pays trop confiant en ses valeurs.

 

Comment voyez-vous le futur du design, plus particulièrement dans le domaine du packaging?

Y.K. Le design doit commencer par une question. Plus on pose de questions, plus on ouvre de possibilités créative, jusqu’au moment où l’on trouve l’idée, la solution. Hélas, les grandes compagnies ne prennent plus de risques, ce sont les tests consommateurs qui valident les créations. Trop de packagings sont faits pour plaire à tous. Il n’y a pas de futur si l’on continue ainsi. Je crois beaucoup à la nécessité de revisiter sa culture, de créer des produits qui ont des racines, autrement dit de réaffirmer les valeurs du local.

 

Après avoir été en charge du design des produits Suntory, vous présidez aujourd’hui le Japan Package Design Association…

Y.K. C’est une énorme organisation qui réuni 820 designers en agence, en entreprise ou free-lances. Son but est de promouvoir le design dans les médias, sa formation auprès des écoles, de favoriser les échanges internationaux et nationaux, d’organiser des expositions, conférences, voyages, etc. Cela m'occupe beaucoup, mais je dois réserver du temps pour rédiger le livre que nous avons décidé d’écrire en commun. Il sera la continuation de votre dernier livre [Les Secrets du design universel], qui explique les bases du design et qui a eu un fort retentissement au Japon. Ce sera une excellente façon de démontrer que les designers français et japonais partagent des visions communes sur le futur de nos métiers…

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