Régies web
Les annonceurs tardent à suivre les nouveaux usages des internautes. Un décalage lié aux habitudes et à la complexité techniques du mobile. DIDIER SI AMMOUR@dsiammour

Comment s’adapter à la montée en puissance de l’internet mobile? La question taraude les régies, qui voient tous les indicateurs placer le smartphone au cœur des usages numériques... mais pas forcément au centre des stratégies des annonceurs. Pourtant, des changements notables de comportements sont à l'œuvre. Les annonceurs y répondent en dépensant l’an dernier dans le mobile 77% de plus qu’en 2013, soit 407 millions d’euros au total, selon l’Observatoire de l’e-pub du Syndicat des régies internet (SRI). Mais ce n'est encore que 14% des budgets publicitaires dans le web. D’où un marché français «en décalage par rapport aux comportements de consommation», pointe le SRI. Au Royaume-Uni, 23% des investissements publicitaires du numérique se font déjà dans le mobile. «Les annonceurs anglais ont compris qu’on s’y voit moins, mais qu’on s’y voit mieux, alors que la France n’a pas encore passé le cap du vieux paradigme du mass media indifférencié», explique Pierre Calmard, président d’Iprospect, le pôle marketing digital de Dentsu Aegis Networks.

Le mobile est en effet en passe de devenir un média de premier plan. Avec des dépenses qui «vont plus que doubler [de 28,72 milliards à 65,87 milliards de dollars]» entre 2015 et 2019, E-marketer prévoit une part de marché publicitaire majoritaire dans le digital dès 2016 aux Etats-Unis, et grimpant à 69,7% en 2018, contre 30,3% pour l’internet fixe. En France, Jérôme Léger, cofondateur d’Ad Moove, société de publicité mobile géolocalisée acquise en janvier par Hi-Media, estime que les annonceurs traditionnels «prennent seulement maintenant conscience de la place du mobile, quand le média touche plus de 25 à 30% de la population».

Absence de sites optimisés

Côté support, Facebook a adopté dès 2012 «une stratégie “mobile first”, c’est-à-dire où tout est pensé pour le smartphone et ensuite adapté à l’ordinateur», rappelle Benjamin Lequertier, responsable marketing France. En conséquence, la part publicitaire du mobile dans le réseau social est passée «de 0% au 2e trimestre 2012 à 14% au 3e trimestre 2012, 49% un an plus tard et 69% en 2014 », énumère-t-il. Peu étonnant quand 76% des abonnés français se connectent via leur portable à leur compte Facebook, où ils vont quatorze fois par jour, comme l'a rappelé Laurent Solly, le directeur général de l'IAB France, en novembre dernier.

L’importance du mobile n’est également plus à démontrer chez Google. L'analyse des requêtes sur le moteur de recherche montre des évolutions marquées: «Elles se font en majorité sur le mobile à différents moments, explique Olivier Madelenat, directeur grands groupes en France. Pour les thématiques automobile ou textile, elles atteignent 25% en France, mais sont en augmentation globale. Quand un tiers des requêtes sur certains thèmes se fait par mobile, il y a urgence à y être pour les annonceurs.» Les deux géants Google et Facebook sont d’ailleurs les grands bénéficiaires du mobile. «Pour le display, un euro sur deux va chez eux. Dans le search, un euro sur un va chez Google», évalue Jérôme Léger, d'Ad Moove.

Google a développé des fonctionnalités dans ses formats publicitaires intégrant un bouton d’appel ou de la géolocalisation. Cette dernière constitue d’ailleurs «l’un des leviers de croissance du mobile, pronostique Sophie Poncin, directrice générale d’Orange Advertising France. Elle place la data au cœur de la stratégie.» D’où l’intérêt d’appartenir à un opérateur télécoms, riche en données sur ses utilisateurs.

Pierre-Emmanuel Cros, président de Performics France, le pôle marketing digital de Zenith-Optimedia/Publicis, estime que le décalage français «reflète le retard du digital, en général, dans le mix plurimédia». Mais c'est aussi aussi le produit de l’histoire du marché du mobile, dont «l’image s’est longtemps résumée à des sonneries ou des logos, et à des performances basées sur le nombre de téléchargements», précise Jérome Léger, L’absence d’activité spécifique au mobile chez les clients-annonceurs constituerait un autre frein au développement: «30% des entreprises françaises du Top 200 n’ont pas de sites optimisés», illustre ainsi Olivier Madelenat, de Google. Or, l'absence de site web adapté («responsive design») se fait parfois cruellement sentir: «Une publicité sur mobile renvoyant vers un site non prévu pour ce support est catastrophique», relève Benjamin Lequertier, de Facebook, qui détecte une tendance globale à une fusion de l’internet mobile et de l’internet fixe. D’ailleurs, Auféminin, la filiale d'Axel Springer France, a préféré tout regrouper sur une plate-forme en «responsive design», adaptable aux différents écrans. Cette stratégie permet à Marmiton de faire 70% de son chiffre d’affaire dans l’internet mobile. Selon Agnès Alazard, la directrice générale de la régie du groupe Auféminin, «c’est la même expérience: il y a un environnement, une marque et une cible, c’est tout».

Un suivi plus compliqué

Depuis deux ans, l’élargissement de l’activité des e-commerçants au mobile a permis l’arrivée de nouveaux budgets publicitaires, suivis de ceux d’annonceurs plurimédias intégrant dorénavant ce support dans leurs plans. Mais le jeu en vaut-il la chandelle? «Pour des budgets de quelques dizaines de milliers d’euros, ils se retrouvent face à un marché fragmenté, qui rend l’achat laborieux», déplore Jérôme Léger. D’autant que la multiplication des systèmes, avec IOS et Android, et des formats publicitaires nécessitent beaucoup de technologies et de compétences. Et «le problème du tracking [le suivi des internautes], qui permettrait de mesurer l’efficacité du mobile, n’est pas résolu, alors que certains en sont déjà au multiécran», souligne Pierre-Emmanuel Cros, de Performics.

En outre, ce marché en pleine construction renoue avec certaines erreurs passées du web. Des régies privilégient le volume en multipliant les espaces publicitaires à l’infini. Et «quelques pratiques malhonnêtes ont ressurgi», pointe Erwan Le Page, directeur général d’Audience Square, l’un des deux ad-exchange des éditeurs. Certains acteurs commercialisent des offres qu’ils n’exploitent pas ou facturent des plans réalisés très partiellement. Pour s’en prémunir, «il vaut mieux favoriser les sites premiums», avance Sophie Poncin, d’Orange Advertising. «Le monde des applications offre aussi un environnement mieux maîtrisé. Mais leur suivi est plus compliqué que celui des sites, pour lequel des cookies suffisent», prévient le président du SRI, Arthur Millet.

Pour assurer un suivi, les applications doivent être équipées d’un logiciel spécifique, un Software Developpment Kilt (SDK). A l'instar de TF1 Connect, qui estime que ce «cookie de la télévision» sur le second écran offre des «perspectives publicitaires uniques». Le Figaro Médias prévoit d'avoir son SDK au second trimestre 2015, afin d 'assurer un meilleur suivi, notamment pour des campagnes publicitaires qui ne se font majoritairement pas sur le seul mobile. La régie 3W (C-Discount) fait presque figure d’exception, avec «des stratégies 100% smartphone qui représentent la moitié de notre activité du mobile, celle-ci assurant 15% du chiffre d’affaires», relate Christophe Blot, son directeur général.

Utilisation judicieuse des applis

Les applications posent néanmoins la question de leur utilisation réelle, le nombre de téléchargements n’indiquant pas grand chose: «95% sont abandonnées sous 30 jours et une sur quatre est utilisée une fois seulement», avance Olivier Madelenat, de Google France. Chez Auféminin, les applis sont pourtant mises à contribution pour les annonceurs. Ainsi, celle de Marmiton, qui bénéficie de 11 millions de téléchargements, utilise une fonctionnalité de «push notice». Elle permet d’adresser chaque jour un contenu à 1,7 million d’inscrits, «avec 40% d’ouverture dans l’élan, se félicite Agnès Alazard, de la régie du groupe. Il faut arriver, avec l’annonceur, à faire un contenu intéressant pour l’internaute.» Alors, application ou site? Pour l’annonceur comme pour le support, cela dépend du secteur d’activité. «Pour certains services, comme ceux relevant de la mobilité-taxi, hébergement, etc., l’appli a du sens car on y revient, décrypte Benjamin Lequertier, de Facebook. Mais pour vendre de l’électroménager, le site optimisé suffira.»

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