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Face à l'explosion du Web 2.0, les entreprises s'intéressent de plus en plus à cette nouvelle méthode de gestion de leur clientèle et de leur communication. Radiographie d'un métier qui a le vent en poupe.

Community manager, c'est le «buzzword» du moment qui affole le marché. Tout le monde en parle et en réclame, annonceurs comme agences. Si ces experts ès conversations sur la Toile sont si recherchés, c'est que l'explosion du Web 2.0 et de ses avatars (forums, blogs, réseaux sociaux) modifie en profondeur les relations entre marques et consommateurs. Que les entreprises le veuillent ou non, leurs moindres faits et gestes sont analysés et commentés par des internautes désormais rassemblés en communautés. Les marques ne peuvent rester absentes de ces conversations.

«Le community manager, c'est la version 2.0 du webmaster, résume Grégory Pouy, directeur de la stratégie de contacts chez Nurun. Il personnifie la marque sur Internet.» Michael Artaut, vingt-six ans, formé au community management à Montréal, complète la définition: «Au Québec, on traduit “community manager” par “médiateur de conversation”. Son rôle consiste à animer les échanges avec les internautes et à véhiculer les valeurs de l'entreprise dans les contenus. C'est un pont entre la marque et les internautes.»

Concrètement, le community manager fait d'abord de la veille en ligne à l'écoute des discussions sur la marque. Il identifie les communautés et mesure leur influence. «Il cherche à déceler les internautes enthousiastes sur la marque, qui ne sont pas les blogueurs influents», souligne Grégory Pouy. Il entre en conversation avec eux et les invite à rejoindre les plates-formes d'expression de la marque (son blog, son compte Twitter ou sa page fan sur Facebook) pour les rassembler autour d'un contenu ou de services. Autrement dit, en mode proactif, le gestionnaire de communauté cherche à reprendre le contrôle de la conversation via les propres supports de la marque.

Profil de commercial ou de journaliste

«Il est beaucoup plus qu'un modérateur de forum, insiste Jérôme Wallut, directeur associé de W&Cie. Un bon community manager est l'expert permanent d'une thématique pour le compte d'une marque, reconnue légitime par sa communauté.» C'est le cas de Franck Lassagne, chef de projet Web à la direction Internet de Bouygues Telecom, qui anime Giiks, le blog média sur le multimédia mobile lancé par l'opérateur conseillé par son agence Human to Human.

Quelles sont les qualités d'un gestionnaire de communauté? La curiosité, l'empathie, la passion, le sens du contact, etc. «Outre être des experts de leur sujet, ajoute Stéphane Guerry, directeur associé chez Euro RSCG C&O, ils doivent avoir la culture des réseaux sociaux, la compréhension des problématiques clients corporate et commerciales, et une culture générale et de l'actualité.» Les deux community managers qui animent le compte Twitter "Bons Plans shopping" d'Ebay France sont diplômés de Sciences Po et d'une d'école de commerce. Ils alertent les abonnés du compte, mais doivent aussi répondre à leurs demandes de bons plans. Le gestionnaire de communauté du blog d'Orange Foot, géré par Euro RSCG C&O, est quant à lui journaliste. Souvent ce métier en devenir est laissé à un stagiaire pour la partie animation (quiz, tests, etc.). Dans les faits, il ne représente aujourd'hui qu'une centaine de postes en France, répartis pour moitié en agence, pour moitié chez l'annonceur.
«Beaucoup d'agences prétendent faire du community management afin d'attirer des clients désireux d'avoir leur page Facebook pour être dans le coup, considère Rémi Marcelli, codirecteur général adjoint responsable des stratégies chez DDB Paris. Mais, en fait, la plupart des agences ne disposent pas de ce type de profil.» Confirmation de Michael Artaut, ce "médiateur de conversation" venu du Canada passer des entretiens à Paris: «Sur 30 agences contactées, 20 m'ont répondu que ce métier n'existait pas. Les 10 autres m'ont vu comme le messie et m'ont proposé un rendez-vous immédiat.»

«Derrière ce vocable, les agences vendent tout et n'importe quoi, s'agace Benoît Faverial, créateur de community-manager.biz, un site consacré à la profession. Si l'on se borne à envoyer des messages unilatéraux et à faire de la communication virale, on peut être qualifié de super-RP en ligne, d'influenceur, de lobbyiste du Web, mais pas s'autoproclamer community manager. Le fondement de ce métier, c'est le dialogue avec les communautés.»

Coût humain

Ce flou sur le périmètre de la profession est notamment entretenu par les agences de RP en ligne, qui recrutent des community managers ne s'occupant que d'une partie du métier. «Notre travail consiste à faire venir des blogueurs influents sur les opérations et les événements de nos clients, explique Cyril Montana, fondateur de l'agence Montana&Co. Nos gestionnaires de communauté sont des experts d'Internet, de ses outils et de ses applications. Ils savent identifier et parler aux blogueurs, nouveaux relais d'information.»

Sous cet angle, le community manager est davantage un faiseur d'audience, à l'instar de ceux employés par la régie spécialisée Ad Rider. «Une fois la campagne définie avec l'annonceur, notamment via la création d'un blog ou d'une page Facebook, notre community manager aura à la fois un travail de recrutement d'internautes sur la thématique du client et d'animation du site par des contenus», explique David Levy, responsable du département "social media" de la régie.

Le métier chez l'annonceur? Il s'agit d'une fonction transversale, en relation avec les différents services de l'entreprise: de la recherche et développement à la fabrication, en passant par le commercial, le marketing, la gestion client et même le service après vente. Autant dire, comme le rappelle Stéphane Guerry d'Euro RSCG C&O, que «les entreprises organisées en silos ne favorisent pas ce type de fonction décloisonnée».

Une plate-forme d'aide aux créateurs d'entreprise testée sur Viadeo pour les Banques populaires a révélé le coût humain d'un tel projet. «En trois mois, le community manager a recruté 1200 membres, raconte Stéphane Guerry. Il organisait des tchats et des forums, publiait des fiches conseils. Mais pour obtenir l'information et mobiliser les différents services en interne, c'était le parcours du combattant.» Benoît Faverial, qui a pratiqué le métier chez Goa et Vidal, confirme: «Bienvenue entre le marteau et l'enclume ! C'est ainsi que sont accueillis les nouveaux dans les services de community management, raconte-t-il. Car s'il doit gérer une communauté sur le Web, le community manager doit aussi gérer sa communauté de collègues!»«On peut être perçu en interne comme l'oiseau de mauvais augure, confie Jean-Yves Lemesle, gestionnaire de communauté chez Doctissimo. Car notre mission est aussi de remonter les complaintes de consommateurs et de confronter les différents services à leurs insuffisances.»

Au-delà de l'effet de mode, ce métier est-il promis à un bel avenir? Assurément pour Damien Créquer, fondateur du cabinet de chasseurs de têtes Taste: «Si les community managers sont entrés par effraction dans les entreprises, ils sont en train de s'y installer durablement.» «Pour le moment, le métier en est à ses balbutiements, observe Grégory Pouy. Car le marché n'est pas encore mature ni organisé, les annonceurs n'ont pas réfléchi à ce qu'ils sont prêts à partager et à dire, et surtout il n'existe pas d'outil générique pour mesurer l'efficacité de ces conversations en ligne.»
«Quand l'annonceur entrera en conversation dans la durée avec une vraie valeur ajoutée en tant que marque "sociale" capable d'intéresser une communauté, il aura, comme pour les RP, un service en interne et une agence», prédit Stéphane Guerry, d'Euro RSCG C&O.

Aux États-Unis, l'opérateur télécoms AT & T (11 comptes Twitter) ou le fabricant informatique Dell ont créé autant d'accès aux communautés qu'ils ont de centres d'intérêt, car le community management n'est pas uniquement un poste mais une façon plus personnalisée de concevoir la relation client. «Certaines entreprises, comme Michel et Augustin, font du très bon community management sans poste à cet effet», remarque Benoît Faverial. Idem sur le compte Twitter du site américain Best Buy, où ce sont les vendeurs qui répondent en temps réel. C'est peut-être cela, l'avenir : des entreprises où chaque salarié serait un gestionnaire de communauté en puissance.

 

Les salaires et devis de la profession

Les community managers sont jeunes et gagnent très bien leur vie. Après quelques années, un professionnel même pas trentenaire peut escompter entre 40 et 50 milliers d'euros brut de salaire annuel. Côté prestation, l'agence W&Cie estime le devis moyen d'un gestionnaire de communauté à 45000 euros HT par an sur une base de 89 jours. Soit 1h30 par jour pour écouter, veiller, cartographier, modérer les plates-formes du client, 50 tweets et 8 billets sur le blog par mois, 4 newsletters par an.

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