Dossier
Dépossédées de leur pouvoir sur les consommateurs, qui ont pris la parole sur Internet, les marques tentent d'investir les nouveaux lieux d'expression en ligne. Entre communication et conversation, elles tâtonnent pour reconquérir leur influence.

Pizza Hut Irlande n'a pas digéré la main du footballeur Thierry Henry, qui a permis à la France de se qualifier pour la Coupe du monde 2010. La marque a annoncé à ses fans sur Facebook qu'elle offrirait une pizza à chaque but encaissé par la France. Pizza Hut France a aussitôt contre-attaqué et, en signe de soutien aux Bleus, proposé le contraire à tout nouvel inscrit sur son compte Twitter!

Pas aussi anecdotiques qu'il n'y paraît, ces deux opérations donnent assez bien la mesure de la situation des marques face à l'inexorable montée en puissance du Web social. L'opération irlandaise est du registre de la fidélisation et témoigne qu'une marque sur Facebook se doit d'entretenir la relation avec ses fans par une prise de parole régulière allant au-delà d'une communication strictement commerciale et institutionnelle. Rebondir sur l'actualité en jouant l'empathie avec son public, c'est plutôt malin et opportun. L'opération française est clairement plus opportuniste, se situant davantage comme une opération de bruit médiatique: combien d'inscrits «artificiels» sur Twitter resteront une fois la pizza (une seule car l'équipe de France n'a marqué qu'un but en trois rencontres) gagnée?

Les réseaux sociaux, outils de l'immédiateté sont en vogue. Ils poussent les marques à une hyperréactivité, au risque de sacrifier à la mode et d'oublier la spécificité de ces lieux de conversation. «Les marques françaises confondent encore communication et conversation, et trop souvent buzz et influence numérique, estime le consultant Cédric Deniaud, coauteur de Mediasociaux.com. Le buzz sait faire parler de soi quand l'influence est une relation qui se construit dans la durée avec des clients enthousiastes pouvant devenir des ambassadeurs de la marque.» Parler avec les clients n'est pas la même chose que parler aux clients. Best Buy, aux États-Unis, l'a bien compris, qui a fait du service de microblogging Twitter son outil de relation client (25 000 abonnés). Comme Starbuck (8,2 millions de fans sur Facebook et 933 000 «followers» sur Twitter) qui, à l'instar de l'Idea Storm du fabricant informatique Dell, a lancé sa boîte à idées sur le Net. La part d'idées reprises par la marque est évidemment très faible, mais ce qui impressionne, ce sont les quelque 90 000 suggestions déposées par les clients (lire pages xx).

Aller dans une logique d'engagement

Les consommateurs ont toujours aimé partager leurs expériences avec leur entourage, que ce soit pr la recommandation ou la mise en garde contre telle marque ou tel service. Internet permet de le faire à l'échelle mondiale et en temps réel. Y a-t-il encore un internaute qui part en vacances sans lire des commentaires sur Tripadvisor ou qui achète un produit sans consulter les comparateurs de prix ou les avis de clients? Et combien d'heures passe une future maman sur les forums ou les blogs de filles?

La conversation bat son plein sur Internet, notamment dans les réseaux sociaux. Actuellement, on assiste à une sorte de bulle autour de Facebook, même si de plus en plus de voix s'élèvent pour s'inquiéter de son utilisation des données privées. Avec 519 millions d'utilisateurs en avril 2010, selon Comscore, et 21 millions en France en décembre 2009 selon Médiamétrie, comment rester en dehors du phénomène? «Les annonceurs vont où sont les consommateurs», rappelle, pragmatiquement Maxime Baffert, le directeur général adjoint de Performics. Aux États-Unis, Facebook est devenu le premier support publicitaire au premier trimestre 2010. En mars, le «trombinoscope» a même, pour la première fois, devancé Google dans le monde en termes de visites.

C'est dit, les annonceurs veulent en «être». Mais pour faire quoi? A minima pour écouter et veiller ce qui s'y dit. Pour le reste, ils ne savent pas bien… Dans la plupart des cas, la page est une reprise d'un site ou d'un blog préexistant. Selon une étude de Performics, 70% des gros annonceurs en «display» (bannières) possèdent bien une page officielle sur Facebook, mais totalisant moins de 10 000 fans en moyenne. «Ce qui prouve qu'ils ne sont pas encore dans une logique d'engagement, d'où le caractère limité de l'animation de leur page fan, et leur apport en contenus ou offre d'applications, tels les services, jeux, etc., qui sont des vecteurs de recrutement», commente Karim Eid, directeur général réseaux sociaux et CRM de Performics.

Le baromètre de l'intrusion 2010 de l'agence ETO indique, lui, que 77,4% des utilisateurs français ne sont fans d'aucune marque sur Facebook et que 60% n'y recommandent jamais une marque ou un produit à leurs amis. Sandrine Plasseraud, directrice générale de l'agence We are social, avance une explication: «En France, les médias sociaux sont encore abordés d'un point de vue tactique et s'inscrivent rarement dans une stratégie globale.»

«Dans les médias sociaux, les marques doivent créer des logiques de présence pérenne permettant de fédérer des communautés qui vont interagir et diffuser du contenu, indique Aziz Haddad, directeur de l'agence Noyz (Isobar). Une fois la page créée et les fans recrutés, il faut l'animer avec du contenu exclusif, des promotions, des rencontres, des tests de produits, de la vidéo, des sondages, des discussions et, surtout, il faut valoriser le contenu des utilisateurs.» À l'instar de la stratégie «Fan first» de Coca-Cola, qui privilégie la prise de parole des fans (photos, vidéos, avis, etc.).

Devenir un référent sur une thématique

En inventant le concept de «fans», Facebook promet aux marques un accès direct à ses clients les plus engagés. Mais le réseau ne répond pas à toutes les problématiques. Pour Maxime Baffert, de Perfomics, «Facebook est un bon outil pour les marques de grande consommation ciblant les 15-35 ans, avec une prise de parole de divertissement, d'information produit et de promotion». «C'est avant tout un espace pour être en relation avec ses amis, rappelle Damien Guinet, responsable «social media» d'Heaven. Les marques ont accès à des fans, mais via une plate-forme propriétaire qui impose des règles en perpétuelle évolution.» Un modèle fermé et commercial où toutes les données appartiennent à la régie…

Pour construire leur influence numérique, les marques ne doivent pas négliger les forums et les blogs fondés sur l'éditorial. «Les blogs permettent aux marques de transformer leur communication en contenus éditoriaux et de jouer la viralité pour les faire recommander», rappelle Frédéric Montagnon, cofondateur et président du réseau Overblog. Si, selon Damien Guinet, il ne faut pas abandonner Facebook, il ne faut pas non plus négliger les fondamentaux. «Le recrutement de fans sur Facebook coûte cher en achat médias et la qualité de la relation n'est pas garantie, affirme-t-il. En revanche, la sélection de blogueurs experts assure une visibilité à la marque, via le référencement de ces blogs dans Google, alors que le moteur de recherche n'indexe pas les “Fan pages” Facebook.»

La visibilité numérique d'une marque passe également par sa capacité à préempter un territoire d'expression pour devenir référent sur une thématique, à l'instar du blog Giiks, «le mag du geek mobile» de Bouygues Telecom, de Nike+ pour le running ou de Brèves de style du Comptoir des cotonniers.

Et le client dans tout ça?  «Les marques sont globalement asociales, assène Emmanuel Vivier, cofondateur et président de Vanksen. Elles continuent de privilégier l'approche publicitaire car leurs supports clients actuels ne sont pas adaptés à gérer des conversations en ligne qui supposent des porte-parole identifiés.» À cet égard, le consultant Cédric Daniaud met en garde contre le risque de «social media washing». Promettre du relationnel en se contentant de faire de la communication sans se donner les moyens d'entrer en conversation, et donc d'écouter les consommateurs, peut avoir un effet boomerang.

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