Dossier télévision
La télévision connectée passera en 2011 d'une problématique de fabrication à une perspective d'édition, de distribution et de diffusion. Le point en quatre questions avant qu'elle ne devienne un marché de masse.

1. Le marché de la TV connectée existe-t-il déjà?

 

Oui, en 2010, on compte 800 000 téléviseurs connectables à Internet vendus en France sur un total de 8,5 millions de postes, soit 8% des ventes. A la fin 2011, le Syndicat des industries des matériels audiovisuels électriques table sur 2,5 millions de téléviseurs connectés distribués à la fin 2011, et près de 5 millions en 2012. Group M (WPP) va même jusqu'à avancer le chiffre de 7,6 millions de ces e-téléviseurs vendus en 2012. Pour que le marché explose, et que la télévision connectée devienne une réalité quotidienne pour les consommateurs, il faut que le parc de téléviseurs connectables soit important. Les fabricants misent sur le concept de «smart TV» (télévision intelligente). Chez LG, 55% des modèles sortis en 2011 seront connectables. Ils sont 75% chez Samsung, et même 90% chez Sony.

 

Mais pour que le marché se structure, l'adoption d'une norme commune s'impose. Il s'agit de la HBB TV (Hybrid Broadcast Broadband TV), un standard adapté aux technologies et aux données associées pour téléviseurs connectés. Adopté par la plupart des constructeurs (dont LG, Loewe, Toshiba, Philips, etc.) et des diffuseurs depuis juin 2010, approuvé par le CSA, il permettra d'asseoir le nouvel écran auprès des téléspectateurs. Concrètement, «le HBB TV permet d'envoyer des contenus additionnels via la TNT et par la voie hertzienne, et au consommateur d'interagir avec son écran via Internet», explique Arthur Mayrand, directeur des technologies des nouveaux services chez France Télévisions.

 

2. A quels contenus faut-il s'attendre?

 

Le groupe France Télévisions, qui travaille sur un portail d'information et des produits événementiels, présente déjà des démonstrations de ses programmes. A l'aide de sa télécommande, le télénaute est invité à voter sur la question du jour du journal de 20 heures de France 2, à consulter des fiches ou des vidéos de recettes en même temps qu'il regarde l'émission Côté cuisine de France 3, à partager sur les réseaux sociaux un magazine de France 5 et l'appréciation qu'on lui porte... Demain, il lui sera possible de répondre à Questions pour un champion en même temps que le candidat. Les informations s'affichent dans un coin de l'écran du téléviseur, en surimpression de l'image principale.

 

Internet couplé au téléviseur est ainsi une invitation permanente à poursuivre l'expérience d'un programme en accédant à des bonus. Exemples: l'interview d'un chanteur après son passage dans une émission comme X Factor (M6) ou des vidéos permettant de suivre un peu plus longtemps son héros préféré... Le tout sans quitter l'écran principal du foyer.

 

Mais il ne faut jamais oublier que ces contenus interviennent sur le téléviseur du salon. «La consommation restera collective, estime Valery Gerfaud, directeur général de M6 Web. Le lien communautaire avec les réseaux sociaux sera réservé aux autres écrans, comme le mobile ou les tablettes. Au mieux, on peut envisager l'inscription de messages alertant qu'un ami a rédigé un commentaire.»

 

L'interaction semble ainsi réservée aux autres écrans. Mais la TV connectée ne s'inscrit-elle pas dans un mouvement plus vaste de convergence? «Le potentiel est beaucoup plus important grâce aux smartphones, note Thomas Kruithof, directeur Digital Media de MTV France. Le portail des chaînes du groupe sur les téléviseurs connectés Philips, est, pour l'instant, réservé à de courts extraits d'émissions ou des bandes-annonces.»


Mais toutes ces tentations poussent aussi à quitter le programme principal. C'est pour cette raison que les chaînes désirent garder totalement la main sur leurs flux, et en interdire l'accès à un opérateur tiers.  Ainsi, même si la tentation est grande, les chaînes vont sans doute limiter les accès à des contenus «over the top» (des données associées) pour ne pas froisser leurs principaux clients, les annonceurs.

 

 

3. Les «pure players» vont-ils faire la loi?

 

C'est la grande question. Netflix, Hulu, Google, Yahoo... De nouveaux acteurs, le plus souvent américains, sont les bêtes noires des chaînes de télévision. La télévision connectée ouvre en effet le petit écran du salon sur des «pure players» qui n'obéissent à «aucune règle», qu'elles soient réglementaires ou fiscales, comme le soulignait le 28 avril le patron de TF1 Nonce Paolini, lors d'un colloque organisé sur le sujet par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). De leur côté, les éditeurs de chaînes continueront à se mouvoir dans un paysage  «bien régulé». «Quid d'un programme regardé à 18 heures sur Internet alors que ce même programme peut-être interdit à la même heure à la télévision?», demandait aussi Jean-Christophe Thiery, PDG de Bolloré Média.

 

D'autant que les grands acteurs de Internet passent à l'offensive... Hulu propose ainsi des services de vidéo à la demande, que ce soit pour la location ou l'achat de films. Idem pour Netflix, qui compte 20 millions d'abonnés et vient de rafler à HBO les droits exclusifs de la future série House of cards. Un précédent qui ne manque pas d'inquiéter en Europe où seul le poids des diffuseurs historiques sur la production limitent encore les assauts des géants du Web. «Les chaînes de télévision paient cher pour diffuser des séries», remarque Sylvie Girieud, consultante Nouveaux services audiovisuels à l'Idate.

 

A côté de cela, le Wall Street Journal annonçait le 8 avril l'intention de Google d'utiliser You Tube pour lancer en fin d'année vingt chaînes premium thématiques (cinéma, sport, musique, etc.), accessibles uniquement sur la télé connectée. Tandis que Facebook propose depuis mars - aux Etats-Unis pour des questions de droits - des films issus du catalogue Warner Bros.

 

Confrontés à un risque majeur d'éparpillement de leur audience, les acteurs historiques plaident donc pour que les mêmes règles du jeu s'appliquent à tous, notamment sur le plan fiscal, et qu'une harmonisation européenne soit engagée. Ils misent aussi sur la valeur de leurs marques et sur leur capacité à jouer un rôle de «tiers de confiance» (pour reprendre l'expression de Rémy Pflimlin, le patron de France Télévisions), capable d'aiguiller le téléspectateur vers un univers synonyme de qualité. En attendant, ils se préparent à résister avec de nouveaux programmes: le 28 avril, Bertrand Meheut, PDG de Canal+, annonçait ainsi le lancement de nouveaux services non linéaires… alors que le «pure player» Dailymotion prévoyait de créer des services linéaires. Le président du CSA, Michel Boyon, a déjà prévenu que ce ce sera «au marché de trancher», et qu'il déconseillait au législateur d'intervenir dans le débat.


4. Quel modèle économique?

 

Le téléviseur n'est pas seulement connecté à la Toile. L'appareil reste aussi accessible à la publicité et représente un nouveau support parmi d'autres dans un dispositif média à 360 degrés. Difficile, donc, d'attribuer au téléviseur connecté des schémas économiques propres et différenciants. Mais la première consommation via Internet sera celle de la vidéo. Ainsi, les service de vidéo à la demande trouveront un nouveau canal d'exposition. «Nous sommes dans un modèle classique de paiement à l'acte ou par abonnement, avec un accord de partage de revenus entre l'opérateur et le distributeur», indique Jean-François Mulliez, directeur des nouveaux médias chez ETF1. Et dans ce cas, les distributeurs, ce sont les constructeurs de téléviseurs.
Pour les services de télévision à la demande («catch-up TV»), le modèle est différent, car il n'y a pas de paiement à la séance et ils exigent de grosses capacités en haut débit pour un marché de masse. TF1 préfère réserver cette offre aux distributeurs qui seront capables de la monétiser. Clairement, si les constructeurs de téléviseurs désirent l'obtenir, il faudra le payer. Une position que partage M6.
Mais le plus gros des affaires pourrait provenir de la vente en ligne ou de l'e-commerce. La connexion Internet du téléviseur est une voie de retour idéale pour réaliser des achats en deux clics de télécommande. «Il y a une véritable logique de marketing direct», confirme Sylvia Tassan-Toffola, directrice de TF1 Publicité 361 et Digital. Assis dans son canapé, le téléspectateur pourra commander à l'envi le tee-shirt tendance d'un candidat d'émission de téléréalité ou cette lampe de salon vue dans une fiction. Là encore, le modèle économique fonctionnera avec un partage des revenus, entre le diffuseur, le producteur et, pourquoi pas, le constructeur.

 

(encadré)

Une chance pour la fiction française?

 

Futur déversoir de séries américaines piratées ou sous droits, la télévision connectée peut représenter une chance pour la fiction française, plus à l'abri des assauts des «pure players». Alors que la France est actuellement le seul pays d'Europe où la fiction américaine est davantage regardée que la création nationale, les chaînes de télévision peuvent chercher à se singulariser par la fiction française en négociant des droits nationaux qu'elles n'ont pas à disputer, comme ceux des majors d'Hollywood, aux géants mondiaux d'Internet.

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