Dossier
Aux prises à une concurrence protéiforme, les agences interactives revendiquent une triple expertise: créative, technologique et stratégique. Et bataillent auprès des annonceurs pour sortir d'un mode projet qui grève leur rentabilité.

La photo est loin d'être figée. En 2011, le paysage des agences françaises digitales continue de se dessiner. Pas de fracassantes acquisitions, comme en 2007 quand le groupe Publicis a mis la main sur Business Interactif, devenue aussitôt Digitas France, ou sur W Cube, rebaptisée Publicis Modem et adossée dans la foulée à l'agence de marketing services Publicis Dialog pour lui permettre de faire sa révolution numérique. Ou, comme en 2009, avec le rachat du réseau interactif Razorfish (toujours par Publicis) et de sa filiale française Duke, qui allait entraîner le départ de son cofondateur Matthieu de Lesseux, défenseur farouche du modèle «pure player», à la coprésidence d'une agence publicitaire DDB Paris. Un événement reconnu comme tel dans le landerneau, mais pas unique, puisque dans le même temps, le cofondateur et directeur de création de Publicis Net, Philippe Simonet, prenait ses quartiers à la vice-présidence de TBWA Paris.

Pas de mouvements de concentration structurants en 2010 et 2011, à l'exception toutefois de la fusion en novembre 2010 de la «hotshop» créative Marcel (30 personnes) avec l'agence digitale Publicis Net (170 personnes), assurant un nouveau départ à… Marcel. Et, à l'inverse, l'éclatement d'Isobar chez Aegis Media.

Mais des mouvements d'hommes et des réorganisations visant à affirmer ou à consolider des modèles. Avec l'émergence de nouveaux types de structure, à l'instar de We are Social, agence conversationnelle créée par Sandrine Plasseraud, et d'une multitude d'autres expertes dans le référencement et le «search», l'activation, l'influence, le «social media», le «social CRM», les applications smartphones, etc. Sans parler du marketing mobile (lire page 40) et de la propagation du digital dans toutes les agences (marketing, publicitaire, corporate, RP, etc.), qui aiguise la concurrence et réduit les parts du gateau. 

Tout le monde veut passer un cap

Dans leur ambition de remonter sur la stratégie de marque pour augmenter leur rentabilité avec des honoraires de conseil et accéder aux décisionnaires chez l'annonceur, les trois grandes agences digitales, Digitas, Fullsix et Nurun se renforcent. En mai 2011, Mathieu Morgenzstern, transfuge d'Isobar (Aegis Media), a été nommé PDG de Digitas France, entraînant le départ du directeur général Nicolas Gondeau, puis celui du directeur de la création Olivier Delas, en poste depuis 1999. «Digitas change de modèle et passe d'une Web agency à une agence de communication de l'ère numérique pour conseiller au plus haut niveau les marques, affirme son nouveau PDG. Nous avons en conséquence “séniorisé” la direction de la création, avec le recrutement de Bridget Jung (ex-Ogilvy), et le planning stratégique, avec l'arrivée prochaine d'un patron d'une grande agence-conseil. Nous ne ferons pas de spot TV, mais, avec Digitas US, nous allons fortement nous développer sur le “brand content”.»

Le groupe Fullsix qui veut devenir «lead agency» a recruté il y a deux ans le quinquagénaire Stéphane Amis pour présider Fullsix France et fait appel, en février 2011, au publicitaire Jean-Claude Boulet, cofondateur de BDDP devenue TBWA, comme «senior adviser». Le groupe a racheté en 2010 l'agence interactive anglaise Grand Union, fusionnée en France avec Six & Co, et fait évoluer 6 AM vers la publicité. Dirigée par Jocelyn Jarnier (ex-TBWA MAP), celle-ci a remporté en mars dernier le lancement de La Poste mobile contre BETC Euro RSCG et Havas City.

Nurun, enfin, a recruté en 2010 Henri Jeantet, patron du planning stratégique d'Australie, et en 2011 Raphaël Roy, directeur du digital et des médias chez Procter & Gamble. L'agence a gagné en mars dernier le budget sncf.com contre DDB et Isobar, et remonte sur le consulting.

Les agences digitales moyennes cherchent également à passer un cap. Gérer la croissance pour Dagobert (120 personnes), qui prépare son virage à l'international. Remonter sur la stratégie chez Duke Razorfish avec le recrutement, en juin, de Stéphane Guerry (ex-Euro RSCG C&O) qui, épaulé d'un planning renforcé, «vend» une approche corporate autour de la «brand utility» Se renforcer sur le «search» et le «Web analytics» pour Médiagong. Gagner en notoriété pour Vanksen, avec le recrutement du blogueur Emery Doligé comme directeur général et le lancement de baromètres sur l'e-réputation (avec la Fevad) et sur l'élection présidentielle avec un quotidien.

Tous les acteurs, quel que soit leur degré d'implication dans le digital, cherchent à donner des signes au marché. Comme BETC Euro RSCG, qui vient de lancer BETC Startup Lab, une cellule de consulting stratégique et créatif au service des start-up animée par Clarisse Lacarrau, directrice adjointe du planning, et Olivier Vigneaux, codirecteur général de BETC Digital. Ou encore Fullsix, qui publie régulièrement des études sur le marché numérique via sa cellule OTO Resarch.

Changer les relations avec les annonceurs

Un autre sujet préoccupe les agences digitales: la faible rentabilité d'un métier de production qui ne fonctionne pas sur des honoraires (réservés au conseil et à la création), mais sur la relation temps/homme. «La priorité vitale pour le modèle économique des agences digitales est de changer les types de relation avec les annonceurs et de sortir du mode projet ponctuel – c'est-à-dire de compétitions à répétition, qui coûtent 20% du revenu de l'agence – pour des contrats pluriannuels qui permettent, en y intégrant une partie de conseil sur la stratégie digitale, de garantir la rentabilité et de répondre aux attentes des annonceurs», indique Mathieu Morgensztern, président de Digitas France et de l'AACC Interactive.

Chez DDB Paris, qui défend un modèle intégré, c'est évidemment la position de Matthieu de Lesseux, dont l'agence propose avant tout du conseil, notamment à McDonald's ou à Bouygues, et a externalisé toute sa production digitale tout en créant la Digital University pour ses clients. Lucide sur les logiques de rémunération, TBWA Paris a pris l'option de distinguer le conseil digital délivré par l'agence publicitaire et les productions du «pure player» TBWA 365. Par ailleurs, pour élargir l'offre au contenu de marque divertissant, Philippe Simonet a débauché les fondateurs d'Arthur Schlovsky, Hugues Cholez et Frank Botbol. Sur cette question qui oppose mode projet à conseil sur la durée, les agences traditionnelles ont évidemment un avantage concurrentiel historique. 

Confrontation des modèles et des positionnements divers, le marché des agences digitales reste ouvert, varié et complexe. Pour aller plus loin et comprendre les enjeux du conseil digital, Stratégies a choisi dans les pages suivantes de donner la parole à quinze patrons qui, pionniers d'hier, construisent ce marché depuis plus d'une décennie.

 

Encadré

Publicis fait la course en tête

Il faut le dire, Maurice Lévy, président du directoire de Publicis Groupe, a structuré en France le marché du conseil digital. De manière pragmatique, sans imposer de modèles. Quatre ans après avoir acquis les réseaux internationaux Digitas et Modem, puis acheté Razorfish à Microsoft (contre notamment 3% du capital du groupe publicitaire) et mis la main en France sur les «pure players» Publicis Net, Business Interactif, W Cube et Duke (trouvé dans la corbeille de Razorfish) et sur l'agence de marketing mobile Phonevalley, Publicis Groupe déploie son ombre portée sur tout le marché. Des discussions seraient actuellement en cours entre son agence Saatchi & Saatchi France et Buzzman, celle de Georges Mohammed-Chérif. Dernier fait d'armes, l'annonce, le 7 novembre 2011, du lancement en 2012 avec Orange-France Télécom d'un fonds d'investissement initial de 150 millions d'euros destiné au financement de start-up, essentiellement françaises et européennes, dans le secteur des nouvelles technologies, œuvrant dans les services et contenus numériques (marketing en ligne, e-commerce, contenus et services mobiles, jeux en ligne, réseaux sociaux, etc.) ainsi que dans les technologies et infrastructures associées («middleware» [logiciel médiateur], «cloud computing», sécurité, paiements en ligne).

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